Le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) est une maladie auto-immune caractérisée par une infiltration lymphocytaire des glandes exocrines, en particulier salivaires et lacrymales, entraînant une sécheresse buccale (xérostomie) et oculaire (xérophtalmie).
Le SGS touche plus souvent les femmes, avec un rapport femme/homme de plus de 9 pour 1. Le pic de fréquence de la maladie se situe autour de 50 ans. Sa prévalence est variable selon les données, mais estimée dans les études récentes entre 0,01 et 0,09 %, faisant de cette pathologie une maladie rare.1
Comme pour de nombreuses maladies auto-immunes, l’origine du SGS est multifactorielle, associant des facteurs environnementaux à un terrain génétique prédisposant.
Le SGS peut être primitif ou lié à une autre maladie auto-immune systémique (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux disséminé, myopathies inflammatoires ou sclérodermie) ou spécifique d’un organe (thyroïdite auto-immune, cirrhose biliaire primitive).
Les critères de classification du SGS, proposés en 2016 par l’American College of Rheumatology (ACR) et l’European Alliance of Associations for Rheumatology (EULAR), reposent sur l’association de critères objectifs cliniques, de signes histologiques sur biopsie de glande salivaire et de la présence d’auto-anticorps anti-­SSA (tableau 1).2

Des symptômes invalidants et des complications parfois sévères

L’évaluation clinique du patient permet à la fois d’objectiver la présence de certains des critères diagnostiques, de mesurer l’altération de sa qualité de vie et de repérer les éventuelles complications systémiques du SGS.

Manifestations cliniques

La triade clinique associant sécheresse, douleurs et asthénie, est responsable d’une importante altération de la qualité de vie. Le retentissement de la maladie lié à ces symptômes se mesure à l’aide d’un score simple dédié aux patients : l’ESSPRI (EULAR Sjögren’s syndrome patient-reported index).3
L’augmentation de volume des glandes parotides (parotidomégalie) ou des glandes sous-maxillaires, ou une polyarthrite non destructrice peuvent aussi constituer des modes de découverte du SGS. De même, l’association de ces symptômes à une hyper­gammaglobulinémie ou à une cryo­globulinémie oriente vers ce diagnostic.

Sécheresse

Le SGS provoque une sécheresse oculaire et buccale, mais elle peut également être vaginale, cutanée, nasale ou bronchique.
La mesure du débit lacrymal (test de Schirmer) permet d’objectiver la sécheresse oculaire. L’examen standard à la lampe à fente et les tests de coloration analysent l’aspect de la cornée et de la conjonctive, à la recherche d’ulcérations secondaires à la sécheresse (kératoconjonctivite sèche). Ils permettent de définir l’Ocular Staining Score (OSS).
L’atteinte des glandes salivaires peut se manifester par une parotidomégalie, le plus souvent indolore et bilatérale. La sécheresse buccale est évaluée par une mesure du flux salivaire (pathologique s’il est inférieur à 1,5 mL/15 min). Sévère, elle peut se compliquer de caries, de déchaussements des dents et de mycoses buccales.
Le syndrome sec oriente cependant vers d’autres diagnostics possibles, qu’il s’agit d’éliminer (encadré et tableau 2).

Douleurs

Les douleurs sont un signe fréquent de la maladie. Il s’agit souvent de polyarthro­myalgies. Rarement, elles peuvent être inflammatoires et/ou accompagnées de synovites, en cas d’atteinte systémique.

Asthénie

La fatigue est un symptôme fréquemment retrouvé chez les patients atteints de SGS, mais ne s’accompagne généralement pas de signes généraux.

Complications

Environ 30 à 50 % des patients atteints de SGS primitif ont des complications systémiques.4 Multiples, elles concernent presque tous les organes (tableau 3).
Le score de mesure ESSDAI (EULAR Sjögren’s syndrome disease activity index) permet de mesurer l’activité de la maladie liée à ces atteintes.3
Les anticorps anti-SSA/Ro pourraient jouer un rôle pathogène direct sur le tissu conducteur cardiaque du fœtus, entraînant potentiellement un lupus néonatal, avec un risque de bloc auriculo-ventriculaire néonatal. Leur présence nécessite donc une surveillance cardiaque fœtale.
Le risque de lymphome au cours du SGS est environ 15 fois supérieur à celui de la population générale ; il touche 5 à 10 % des patients au cours de l’évolution de leur maladie. Ce risque est clairement associé à la présence de signes d’activité de la maladie (en particulier des anomalies biologiques en lien avec l’hyperactivité lymphocytaire B, telles que la cryo­globulinémie, la présence de facteurs rhumatoïdes et une baisse du complément [C4]). Les localisations les plus fréquentes sont salivaires mais aussi gastriques et pulmonaires. La plupart des lymphomes compliquant le SGS sont des lymphomes de la zone marginale ou de type MALT (mucosa-­associated lymphoid tissue). La survenue d’une parotidomégalie asymétrique ou fixe doit ainsi faire réaliser des explorations d’imagerie complémentaires.

Quel bilan paraclinique ?

Outre les tests cliniques de Schirmer, l’OSS et la mesure du débit salivaire, le score diagnostique du SGS intègre la recherche d’anomalies histologiques et biologiques. Les examens complémentaires permettent également de mesurer l’activité de la maladie et d’en chercher les complications.

Biopsie de glandes salivaires acceSSoires : utile au diagnostic !

Il s’agit d’un geste simple : des glandes salivaires accessoires sont prélevées à la face endobuccale de la lèvre inférieure après une anesthésie locale.
L’examen histologique recherche la présence d’une sialadénite lymphocytaire et détermine le focus score (quantification des amas lymphocytaires).
Cet infiltrat lymphocytaire est considéré comme pathologique si le focus score est supérieur ou égal à 1 (nombre d’amas d’au moins 50 cellules lympho­plasmocytaires sur un champ de 4 mm² de tissu salivaire).

Des anticorps à rechercher

La prévalence des anticorps anti­nucléaires varie de 50 à 80 % selon les auteurs. Les anticorps anti-SSA/Ro sont mis en évidence chez environ 50 à 70 % des patients. On distingue les anticorps anti-Ro52 et les anti-Ro60. Les anti-Ro60 sont plus spécifiques du SGS que les anti-Ro52. Les anticorps anti-­SSB/La apparaissent quasi-exclusivement chez des malades ayant déjà des anticorps anti-SSA/Ro.
La recherche de facteurs rhumatoïdes est positive dans 50 à 80 % des cas de SGS primitif. Ils constituent un marqueur d’activité de la maladie et sont associés au risque de survenue d’un lymphome.
Les anti-CCP (anticorps antipeptides cycliques citrullinés, plus spécifiques de la polyarthrite rhumatoïde) sont, quant à eux, généralement négatifs, et leur positivité doit faire suspecter une poly­arthrite rhumatoïde associée.

Biologie usuelle : des anomalies inconstantes

La biologie standard est le plus souvent normale. Certaines anomalies peuvent cependant être observées :
– une lymphopénie (considérée comme un marqueur d’activité), une thrombopénie et une neutropénie d’origine auto-­immune sont possibles ;
– la vitesse de sédimentation (VS) est souvent accélérée du fait de l’hypergammaglobulinémie polyclonale fréquente, mais la protéine C-réactive (CRP) reste normale ;
– une hypokaliémie (acidose hyperchlorémique) peut être observée, quoique rarement. Elle impose la recherche une atteinte rénale ;
– enfin, l’hyperactivation lymphocytaire B est marquée par une hypergammaglobulinémie polyclonale, une cryoglobulinémie, une élévation de la bêta-2-microglobuline, la présence de chaînes légères libres d’immunoglobulines sériques ou d’un pic monoclonal.

Améliorer la qualité de vie et individualiser la prise en charge

Le SGS primitif est caractérisé par une triade clinique et des complications systémiques. La prise en charge du patient diffère selon qu’il présente, ou non, des complications et des marqueurs d’activité de la maladie.

Traiter les symptômes…

Pour les patients qui n’ont aucune complication systémique, et en l’absence de marqueurs d’activation lymphocytaire B, la prise en charge est principalement symptomatique, et l’évolution généralement bénigne.

Syndrome sec

La sécheresse buccale altère la qualité de vie. Quelques conseils peuvent être donnés au patient pour le soulager :
– éviter les agents irritants (fumée, vent...) et les médicaments aggravant la sécheresse ;
– consommer régulièrement des boissons non sucrées ou des chewing-gums sans sucre pour stimuler la sécrétion salivaire ;
– être vigilant sur l’hygiène buccale et dentaire (fil dentaire et brossage fréquent) pour éviter le risque de caries ;
– utiliser des substituts salivaires, bien que leur efficacité soit limitée.
Des médicaments agonistes des récepteurs muscariniques peuvent être prescrits (chlorhydrate de pilocarpine, disponible en préparation magistrale remboursable). Ils doivent être introduits à doses progressivement croissantes en raison d’un risque d’effets indésirables (sueurs).
La sécheresse oculaire peut être améliorée par l’utilisation de larmes artificielles (gels à base de carbomère ou d’acide hyaluronique). Il n’y aucune restriction à leur utilisation.
L’occlusion des canaux lacrymaux inférieurs par des bouchons siliconés, pour préserver le film lacrymal, peut être efficace. Dans les formes sévères, la ciclo­sporine en collyre a montré une efficacité.

Douleurs

Les antalgiques de palier I sont à privilégier car ils n’ont pas d’effet asséchant.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être efficaces mais ils doivent être utilisés uniquement sur de courtes durées.
La corticothérapie peut être employée à petites doses (10 à 15 mg) et pour une courte durée en cas de poussée d’une atteinte articulaire inflammatoire. Elle n’a pas de place dans la prise en charge du syndrome douloureux arthromyalgique et ne doit jamais être poursuivie au long cours.
La gabapentine, la prégabaline ou les antidépresseurs tricycliques à faible dose sont envisagés en cas de douleurs neuropathiques.
Enfin, en cas de syndrome dépressif associé, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont une alternative. Ils ont peu d’effet indésirable asséchant.

... et les complications systémiques

Lorsqu’elles sont mises en évidence, ou en présence de marqueurs d’activation lymphocytaire B (risque de complications), le patient doit être pris en charge de façon multidisciplinaire, en concertation avec un centre spécialisé, au mieux en centre de référence ou de compétence maladies rares. Des recommandations ont été proposées par l’EULAR en 2020,5 et dans le protocole national de soins (PNDS) établi par la filière maladies rares (FAI2R) en 2022.6

Traitements de fond classiques

L’absence de traitement global agissant simultanément sur toutes les manifestations du SGS ainsi que l’hétérogénéité des atteintes rendent la prise en charge thérapeutique particulièrement complexe et celle-ci doit être individualisée. Aucun traitement de fond n’a réellement fait la preuve de son efficacité pour diminuer la sévérité des signes cliniques de la maladie.
L’hydroxychloroquine est souvent utilisée, bien que son effet sur les principaux symptômes de la maladie soit discuté. En pratique, ce traitement reste essentiellement proposé en cas de polyarthralgies inflammatoires invalidantes. Un essai de faible effectif a montré que la combinaison hydroxychloroquine-léflunomide permet d’obtenir une diminution de l’ESSDAI à 24 semaines. Ces résultats sont intéressants mais restent à confirmer.
Le méthotrexate (0,3 mg/kg/semaine) est généralement proposé devant une polyarthrite vraie, bien qu’aucun essai randomisé n’ait évalué ce médicament dans le SGS.
Le cyclophosphamide, le mycophénolate mofétil ou les immunoglobulines intraveineuses sont parfois utilisés dans certaines atteintes sévères.

Corticothérapie

Elle doit être évitée autant que possible, du fait des effets indésirables et du peu de bénéfice attendu à long terme. Elle est malgré tout utile dans les formes graves, en attendant l’effet des traitements de fond. Elle est parfois indiquée, pour une courte durée, en cas de poussée de parotidomégalie.

Biothérapies

Le bélimumab, anticorps anti-BAFF mis sur le marché dans le traitement du lupus, a montré des résultats prometteurs, avec une diminution de l’ESSDAI ainsi qu’une amélioration des biomarqueurs biologiques de l’activation lymphocytaire B dans des études ouvertes.
Le rituximab (anticorps monoclonal anti-CD20) a fait l’objet de deux essais thérapeutiques contre placebo, qui se sont révélés négatifs. Toutefois, cette molécule est efficace sur un certain nombre d’atteintes graves de la maladie : atteintes neurologiques ou rénales compliquant la cryoglobulinémie, polyarthrites réfractaires au méthotrexate et cytopénies.
D’autres thérapeutiques ont montré une efficacité sur l’ESSDAI telles que l’anticorps anti-CD40 (iscalimab).
L’infliximab a été la première biothérapie évaluée dans le SGS, mais l’essai s’est révélé négatif, et la classe des anti-TNF n’est pas utilisée dans le SGS. L’abatacept et le tocilizumab ont également été évalués mais n’ont pas montré d’efficacité. Enfin, un anticorps anti-BAFF récepteur (ianalumab) a récemment montré son efficacité sur la diminution de l’ESSDAI, dans une étude de phase IIb7.
Encadre

Syndrome sec : diagnostics différentiels du syndrome de Gougerot-Sjögren

– Prise de médicaments, en particulier psychotropes (tableau 2)

– Carence œstrogénique post-ménopausique et plus généralement vieillissement physiologique

– Port prolongé de lentilles de contact

– Antécédents de radiothérapie cervico-faciale

– Réaction du greffon contre l’hôte

– Diabète décompensé

– Amylose, sarcoïdose, syndrome hyper-IgG4

– Certaines infections virales (VHC, VIH)

Références
1. Maldini C, Seror R, Fain O, et al. Epidemiology of primary Sjögren’s syndrome in a French multiracial/multiethnic area. Arthritis Care Res 2014;66(3):454-63.
2. Shiboski CH, Shiboski SC, Seror R, et al. 2016 American College of Rheumatology/European League Against Rheumatism classification criteria for primary Sjögren’s syndrome: A consensus and data-driven methodology involving three international patient cohorts. Ann Rheum Dis 2017;76(1):9-16.
3. Seror R, Bootsma H, Saraux A, et al. Defining disease activity states and clinically meaningful improvement in primary Sjögren’s syndrome with EULAR primary Sjögren’s syndrome disease activity (ESSDAI) and patient-reported indexes (ESSPRI). Ann Rheum Dis 2016;75(2):382-9.
4. Mariette X, Criswell LA. Primary Sjögren’s Syndrome. N Engl J Med 2018;378(10):931-9.
5. Ramos-Casals M, Brito-Zerón P, Bombardieri S, et al. EULAR-Sjögren Syndrome Task Force Group. EULAR recommendations for the management of Sjögren’s syndrome with topical and systemic therapies. Ann Rheum Dis 2020;79(1):3-18.
6. https://www. fai2r.org/pnds
7. Bowman SJ, Fox R, Dörner T, et al. Safety and efficacy of subcutaneous ianalumab (VAY736) in patients with primary Sjögren’s syndrome: a randomised, double-blind, placebo-controlled, phase 2b dose-finding trial. Lancet 2022;8;399(10320):161-71 .

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essentiel

Le diagnostic de SGS est souvent évoqué devant la triade de symptômes : sécheresses oculaire et buccale, douleurs et fatigue.

Des complications systémiques peuvent survenir chez 30 à 40 % des patients.

Le risque de développer un lymphome B est augmenté au cours du SGS par rapport à la population générale, particulièrement en présence de marqueurs biologiques.

En cas de complication systémique, des agents immunosuppresseurs peuvent être utilisés, en concertation avec un centre spécialisé.