Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA), décrit pour la première fois il y a une quarantaine d’années, est une allergie alimentaire caractérisée par des vomissements prolongés et parfois une diarrhée d’apparition tardive.

Une pathologie de plus en plus fréquente 

Le SEIPA touche principalement le nourrisson, avec un âge médian lors du premier épisode entre 5 et 7 mois,1 mais il peut survenir à tout âge. Les antécédents familiaux ou personnels d’atopie sont plus fréquents chez les patients ayant un SEIPA qu’en population générale, notamment un eczéma atopique ou des allergies alimentaires IgE-médiées, dans presque 1 cas sur 10.2 

Peu de données épidémiologiques sont disponibles sur ce syndrome, qui reste cependant moins fréquent que l’allergie IgE-dépendante. En 2021, une revue de la littérature confirmait que le SEIPA aurait une prévalence chez l’enfant de 0,5 % (entre 0,01 et 0,7 %) dans la plupart des pays occidentaux, avec environ 1 million de personnes atteintes aux États-Unis.3 D’autres études suggèrent une augmentation des cas de SEIPA ces dix dernières années,2 peut-être du fait d’un meilleur diagnostic.

Si le diagnostic chez l’adulte est également de plus en plus fréquent,3 l’évolution de cette pathologie semble toutefois favorable car l’incidence baisse fortement à 0,008 % après l’âge de 3 ans.1 

Les différences géographiques concernant les taux d’incidence, les phénotypes, les aliments déclencheurs et l’histoire naturelle de la maladie peuvent s’expliquer par des critères de diagnostic variables et l’absence de biomarqueurs fiables.

Physiopathologie : encore à éclaircir

Si le SEIPA est communément décrit comme une hypersensibilité alimentaire non IgE-médiée, sa physiopathologie exacte fait toujours l’objet de recherches. Ce syndrome résulterait d’une combinaison de processus d’immunité innée et cellulaire impliquant des cellules T spécifiques de l’antigène et des cytokines, conduisant à une inflammation intestinale dans le côlon et l’iléon à des degrés variables.4,5 Cette inflammation provoquerait une augmentation de la perméabilité intestinale et des déplacements de liquide dans la lumière gastro-intestinale.6 

Des études mettent en évidence une augmentation de l’expression sérique des interleukines IL- 2, IL- 5 ou IL- 8 chez des patients ayant une récidive clinique lors d’un test de provocation orale. La réponse immunitaire humorale peut également être impliquée dans la physiopathologie du SEIPA avec une augmentation des IgA spécifiques et une diminution des IgG4 spécifiques.Des données récentes mettant en évidence une majoration de la tryptase dans les heures suivant la réaction suggèrent un rôle majeur des neutrophiles et des mastocytes dans ce syndrome ;8 une neutrophilie a été observée chez les patients souffrant de SEIPA aigu, atteignant un pic à 6 heures du début des symptômes.

Bien que plusieurs modifications immunitaires aient été recensées chez les patients atteints de SEIPA, la physiopathologie n’a pas été clairement éclaircie et nécessite une caractérisation plus approfondie.

Quand y penser ?

Si les allergologues connaissent désormais bien le SEIPA, cette entité reste mal connue de certains médecins généralistes, pédiatres et urgentistes.

Deux tableaux cliniques de SEIPA sont possibles :

  • une forme aiguë survenant lorsque l’aliment est ingéré de manière intermittente et à petite dose (tableau 1) ;
  • une forme chronique survenant uniquement lorsque l’aliment est ingéré fréquemment (encadré 1).
 

La forme aiguë comme la forme chronique peuvent conduire à une déshydratation sévère, avec acidose métabolique, hypotension et choc hypovolémique.

Forme aiguë, la plusfréquente 

Dans sa forme aiguë – la plus fréquente –, le SEIPA se caractérise par des vomissements alimentaires incoercibles et répétés, survenant une à quatre heures après l’ingestion de l’aliment en cause, souvent associés à une léthargie, une hypotonie et une pâleur (tableau 1). Ces symptômes peuvent être confondus avec d’autres diagnostics (infection, sepsis, anaphylaxie…). Dans 50 % des cas, des diarrhées sont associées, survenant en moyenne six à huit heures plus tard. Les symptômes s’amendent habituellement en moins de vingt-quatre heures, mais dans le cas de réactions très sévères, des douleurs abdominales et/ou des diarrhées peuvent persister quelques jours.

Forme chronique : des symptômes d’aggravation progressive

La forme chronique se rencontre lorsque l’aliment est ingéré quotidiennement (encadré 1). Les signes sont peu spécifiques : vomissements intermittents parfois associés à une diarrhée chronique sanglante ou glaireuse avec des symptômes d’aggravation progressive ayant un retentissement staturopondéral (faible prise de poids) pour la forme sévère ; vomissements intermittents et diarrhée sans déshydratation ni troubles du métabolisme acidobasique pour la forme légère – lorsque l’aliment est consommé quotidiennement mais en petite quantité.

Aliments en cause : d’abord le lait de vache !

Dans la très grande majorité des cas (94 %), le SEIPA est dû à un seul aliment. Tous les aliments peuvent être responsables de SEIPA. En France, les plus fréquemment incriminés chez l’enfant sont le lait de vache, l’œuf, les poissons, les viandes (poulet, bœuf), le blé, le riz et certains légumes (haricots verts, carottes, pommes de terre). Le lait de vache est également le principal aliment en cause en Europe (Allemagne, Italie), en Amérique du Nord et en Australie ; dans ces pays, viennent ensuite le soja, les poissons, les œufs, le riz, les légumes.

Les patients ayant un SEIPA au lait de vache ou aux œufs guérissent plus rapidement que ceux ayant un SEIPA au poisson.9

Chez l’adulte, les études sont moins nombreuses, mais les principaux aliments en cause dans cette population seraient les mollusques (huîtres, moules…) et les crustacés (crevettes, crabes…).3 

Diagnostiquer : importance de  l’anamnèse 

Le diagnostic de SEIPA est clinique. Dans le SEIPA aigu, la consommation ponctuelle de l’aliment provoque des symptômes aigus stéréotypés. Dans le SEIPA chronique, l’aliment est consommé quotidiennement, entraînant des symptômes chroniques plus insidieux. 

L’interrogatoire minutieux reprend l’âge de survenue des symptômes, la sévérité de la réaction, les symptômes aigus ou chroniques. 

Les signes de diagnostic différentiel sont à éliminer : gastroentérite infectieuse, entérocolite ulcéronécrosante, maladie cœliaque, intolérance et aversion alimentaires, œso-gastro-entéropathies à éosinophiles (tableau 2).

La conférence de consensus de 2017 a précisé les critères diagnostiques des SEIPA aigu et chronique (tableau 1 et encadré 1).10 

Lorsque l’anamnèse n’est pas clairement évocatrice – réaction unique, pas d’aliment suspecté, chronologie atypique, persistance des symptômes malgré l’éviction de l’aliment, SEIPA chronique –, il est possible de réaliser un test de provocation orale en milieu hospitalier, gold standard pour diagnostiquer toute allergie alimentaire. Il n’existe, à ce jour, aucun examen paraclinique permettant d’affirmer le diagnostic de SEIPA, mais uniquement d’éliminer les diagnostics différentiels. En effet, les explorations allergologiques usuelles (tests cutanés, dosage des IgE spécifiques) n’ont pas d’intérêt diagnostique puisque le SEIPA est une allergie non médiée par les IgE.10 

Quelle prise en charge en médecine générale ? 

Une fois le diagnostic de SEIPA posé, l’éviction du ou des aliments responsables est la règle.11 Elle permet la résolution complète des symptômes – plus lente dans le cas du SEIPA chronique. 

Seules les mères allaitantes dont l’enfant est symptomatique doivent respecter un régime d’éviction. 

La guérison spontanée étant fréquente, une réassurance des parents est conseillée. 

En outre, aucune prise en charge ne permet l’accélération de l’acquisition de tolérance. L’immunothérapie orale – ou désensibilisation – est inefficace dans cette forme d’allergie.

Réorienter sans délai les cas graves et persistants 

Léthargie, hypotonie, hypothermie et signes évoquant une déshydratation nécessitent une prise en charge hospitalière avec réhydratation intraveineuse, voire remplissage et rééquilibrage électrolytique, selon la sévérité clinique. En parallèle, l’ondansétron et les corticoïdes par voie intraveineuse permettent de contrôler les symptômes digestifs.

Une prise en charge spécialisée, notamment par un gastroentérologue, est conseillée en cas de persistance des symptômes digestifs malgré un régime d’éviction bien mené et sans ingestion accidentelle, en cas de retentissement staturopondéral persistant, ou de signe atypique de SEIPA évoquant un diagnostic différentiel (tableau 2). 

Pour attester de la guérison du SEIPA, il est recommandé de réaliser un test de provocation en milieu hospitalier par une équipe entraînée à gérer ce type d’allergie. 

La réintroduction de l’aliment doit être réalisée à distance – au moins un an – de la dernière réaction. Ce délai peut être ajusté en fonction de l’histoire naturelle prévisible de chaque aliment : dès douze à dix-huit mois pour le lait de vache ; pas avant cinq ans pour le poisson. 

En l’absence de guérison, l’éviction reste de rigueur, et un nouvel essai à distance peut être tenté. 

Encadre

1. Critères diagnostiques d’un SEIPA chronique

  • Résolution des symptômes après éviction de l’aliment en cause et présence de symptômes aigus au moment de la réintroduction.
  • Présentation sévère si l’aliment en cause est consommé quotidiennement : vomissements intermittents et diarrhée (+/- rectorragies) avec faible prise de poids.
  • Présentation légère si l’aliment en cause est consommé en petites quantités : vomissements intermittents et diarrhée sans déshydratation ni troubles du métabolisme acido-basique.
SEIPA : syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires.
SEIPA : syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires.
Encadre

2. SEIPA et accueil en collectivité

  • L’accueil en collectivité d’un enfant atteint du syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires nécessite la mise en place d’un projet d’accueil individualisé (PAI). Celui-ci doit comporter – comme pour toute allergie alimentaire – la liste des aliments en éviction, les symptômes pouvant faire évoquer une réaction et la prise en charge à effectuer ainsi que les médicaments à administrer. 
  • La trousse d’urgence d’un enfant atteint de SEIPA comprend : 1 mg/kg de corticoïdes oraux, des solutés de réhydratation orale, voire de l’ondansétron pour les nourrissons âgés de plus de 6 mois. 
  • Des documents (PAI et plan d’action spécifiques) validés par les sociétés savantes sont en cours d’élaboration.
Références 
1. Ruffner MA, Wang KY, Dudley JW, et al. Elevated Atopic Comorbidity in Patients with Food Protein-Induced Enterocolitis. J Allergy Clin Immunol Pract 2020;8(3):1039-46.
2.Caubet JC, Ford LS, Sickles L, et al. Clinical features and resolution of food protein-induced enterocolitis syndrome: 10-year experience. J Allergy Clin Immunol 2014;134(2):382-9.
3. Cianferoni A. Food protein-induced enterocolitis syndrome epidemiology. Ann Allergy Asthma Immunol 2021;126(5):469-77.
4. Gryboski JD. Gastrointestinal milk allergy in infants. Pediatrics 1967;40(3):354-62. 
5. Goldman H, Proujansky R. Allergic proctitis and gastroenteritis in children. Clinical and mucosal biopsy features in 53 cases. Am J Surg Pathol 1986;10(2):75-86.
6. Powell GK, McDonald PJ, Van Sickle GJ, et al. Absorption of food protein antigen in infants with food protein-induced enterocolitis. Dig Dis Sci 1989;34(5):781-8.
7. Caubet JC, Nowak-Węgrzyn A. Current understanding of the immune mechanisms of food protein-induced enterocolitis syndrome. Expert Rev Clin Immunol 2011;7(3):317-27.
8. Caubet JC, Bencharitiwong R, Ross A, et al. Humoral and cellular responses to casein in patients with food protein-induced enterocolitis to cow’s milk. J Allergy Clin Immunol 2017;139(2):572-83.
9. Lemoine A, Colas AS, Le S, et al. Food protein-induced enterocolitis syndrome: A large French multicentric experience. Clinical and Translational Allergy 2022;12(2):e12112. 
10. Nowak-Węgrzyn A, Chehade M, Groetch ME, et al. International consensus guidelines for the diagnosis and management of food protein–induced enterocolitis syndrome: executive summary – Workgroup Report of the Adverse Reactions to Foods Committee, American Academy of Allergy, Asthma & Immunology. J Allergy Clin Immunol 2017;139(4):1111e4-1126e4.
11. Nowak-Wegrzyn A, Berin MC, Mehr S. Food Protein-Induced Enterocolitis Syndrome. J Allergy Clin Immunol Pract 2020;8(1):24-35. 

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essentiel

Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA), touchant principalement le nourrisson, est une forme d’allergie alimentaire non IgE-dépendante, dont les manifestations sont essentiellement digestives.

La forme aiguë est caractérisée par des vomissements typiques car itératifs et incoercibles, survenant une à quatre heures après l’ingestion de l’aliment incriminé, sans atteinte cutanée ni respiratoire, associés ou non à une pâleur, une hypotonie, une léthargie, une déshydratation et/ou une diarrhée.

L’éviction de l’aliment responsable est obligatoire. Il s’agit le plus souvent du lait de vache, dans tous les pays du monde.

La guérison spontanée est fréquente et est évaluée par un test de provocation en milieu hospitalier.