Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) – ou maladie de Willis-Ekbom – est une pathologie neurologique fréquente qui touche 4,2 % de la population française.1 Lorsque qu’il est sévère, le SJSR est source d’insomnie, d’anxiété, de dépression, de risque de suicide, de somnolence diurne et d’altération de la qualité de vie.1-3 Les mécanismes physiopathologiques du SJSR sont encore mal connus, mais pourraient impliquer une prédisposition génétique, une carence martiale au niveau cérébral et une dérégulation de la dopamine.2 En l’absence de biomarqueur, le diagnostic du SJSR repose essentiellement sur l’interrogatoire. Le SJSR est fréquemment associé à des mouvements périodiques des jambes (MPJ) qui surviennent pendant le sommeil. Contrairement au SJSR, le diagnostic des MPJ est polysomnographique.2 En 2018, un groupe d’experts français spécialistes du sommeil a publié un consensus sur le diagnostic et la prise en charge du SJSR (fig. 1).

Quand y penser ?

Les patients atteints de SJSR se plaignent rarement d’impatiences de façon spontanée. Le plus souvent, c’est la plainte d’insomnie qui est au premier plan. Lors de l’enquête étiologique, le clinicien doit rechercher les cinq critères essentiels du SJSR ; lorsque le diagnostic n’est pas évident, en cas de comorbidités algiques associées ou d’interrogatoire difficile, des critères de support peuvent aider au diagnostic (encadré 1).

Il est important de distinguer les impatiences légères – entraînant rarement des insomnies et très fréquentes en population générale (environ 10 %) – d’un authentique SJSR sévère – quotidien, avec des répercussions nocturnes et diurnes.1

Un tableau clinique hétérogène

Les tableaux cliniques du SJSR sont très hétérogènes. Toutefois, l’envie de bouger les jambes est toujours présente. Les patients ont souvent du mal à décrire leurs symptômes. Les principaux rapportés sont des décharges électriques, des tiraillements, des fourmillements, des picotements, des sensations d’étau, de chaleur, voire de brûlure. Le registre affectif décrit par les patients est toutefois similaire : ces dysesthésies sont qualifiées d’« agaçantes », « embêtantes », « énervantes », « gênantes ». 

La topographie des dysesthésies intéresse les jambes (uni- ou bilatérale), plus rarement les cuisses et les bras. Dans les formes très sévères, ou en cas de syndrome d’augmentation, les symptômes peuvent être généralisés (fig. 2). 

Les symptômes du SJSR surviennent le soir après le repas, lorsque le patient veut se reposer, et peuvent se poursuivre au cours de la première partie de nuit, jusqu’à 2 ou 3 h du matin. Certains patients rapportent des impatiences présentes dès l’après-midi, lors de la sieste. Le matin est une période qui reste longtemps libre de tout symptôme, sauf dans les formes très sévères ou en cas de syndrome d’augmentation.

L’examen neurologique est normal en cas de SJSR idiopathique. Il peut être anormal en cas de SJSR comorbide (poly­neuropathies, maladie de Parkinson, sclérose en plaques).

Une fois le diagnostic posé, il convient d’apprécier la sévérité de la maladie. À cet effet, une échelle a été développée par l’International Restless Legs Syndrome Study Group (IRLSSG) [encadré 2].

Un continuum de plusieurs formes

Selon un nouveau modèle d’interaction gène-environnement développé à partir de données génétiques et cliniques récentes, le SJSR peut être considéré comme un continuum entre :

  • une forme idiopathique, avec un âge de début précoce, une évolution lentement progressive, une histoire similaire dans la famille, où la prédisposition génétique jouerait un rôle prépondérant ;
  • et des formes comorbides ou multimorbides, avec un âge de début plus tardif, une évolution rapidement progressive, peu d’histoire familiale de SJSR, où l’environnement jouerait un rôle délétère.4
 

Les deux principales comorbidités du SJSR sont la carence martiale et l’insuffisance rénale sévère. D’autres pathologies peuvent également être associées au SJSR, comme les maladies cardiovas­culaires (infarctus, trouble du rythme, insuffisance cardiaque), le syndrome métabolique (diabète, obésité, hypertension), les pathologies neurologiques (migraine, accident vasculaire cérébral, polyneuropathie, syndrome parkinsonien traité) et digestives (syndrome de malabsorption, maladie de Crohn, rectocolite hémorragique).4

Quel bilan complémentaire ?

Une fois le diagnostic de SJSR posé, il convient de réaliser un bilan biologique incluant au minimum la ferritinémie, le coefficient de saturation de la trans­ferrine et la protéine C-réactive (CRP). En cas de carence en fer (ferritinémie ≤ 50-75 µg/L, coefficient de saturation de la transferrine ≤ 20 %) et en l’absence d’inflammation biologique (CRP ≤ 5 mg), une supplémentation martiale per os ou par voie parentérale est indiquée.

L’enregistrement du sommeil n’est pas obligatoire, mais recommandé. Des mouvements périodiques des jambes, des troubles respiratoires nocturnes (syndrome d’apnées du sommeil) sont à rechercher, tout en appréciant le comportement algique typique du SJSR à la vidéo.

Diagnostics différentiels

Le diagnostic du SJSR peut être difficile, surtout en présence de comorbidité ­algique le mimant. Les principaux diag­nostics différentiels sont les radi­culo­pathies et myélopathies, l’insuffisance veineuse des membres inférieurs, la fibro­myalgie, l’arthrite, les crampes nocturnes, les myalgies, l’inconfort positionnel, l’anxiété.

Prise en charge : d’abord hygiénodiététique

Avant la mise en place d’un traitement pharmacologique, il est important d’éliminer tout facteur favorisant : carence martiale, théine/caféine, tabagisme, alcool, sédentarité, iatrogénie (alternative aux antidépresseurs sérotoninergiques, neuroleptiques cachés tels que les phénothiazines).

En cas de persistance de symptômes sévères à très sévères (score IRLSSG > 20), un traitement pharmacologique est indiqué. Trois classes thérapeutiques sont reconnues comme étant efficaces, et peuvent être prescrites en monothérapie ou en association.5 Les posologies initiales et maximales recommandées sont reportées dans le tableau. Il est important d’expliquer aux ­patients que les traitements dans le SJSR sont symptomatiques et ne permettent pas de guérir de la maladie. 

Agonistes dopaminergiques

Ils sont très efficaces sur le SJSR et les mouvements périodiques des jambes. Ils peuvent néanmoins exposer au syndrome d’augmentation, surtout en cas de fort dosage, et plus rarement à des troubles du contrôle des impulsions. Il est donc important de ne pas dépasser les posologies maximales recommandées (tableau). Les agonistes dopaminergiques sont indiqués dans le SJSR associé à des mouvements périodiques des jambes, en cas de dépression, ou de contre-indication aux autres classes thérapeutiques.

α2δ ligands 

Ils sont efficaces sur les dysesthésies et l’insomnie, mais agissent très peu sur les mouvements périodiques des jambes. Ils n’exposent jamais au syndrome d’augmentation. Les α2δligands sont indiqués en cas de plainte d’insomnie disproportionnée, d’anxiété importante, de comorbidités algiques ou de contre-indication aux agonistes dopaminergiques.

Opiacés 

Ils sont très efficaces sur le SJSR et les mouvements périodiques des jambes. Les opiacés faibles, pris à la demande, sont indiqués en cas de symptômes fluctuants survenant moins de trois fois par semaine, seuls ou en association avec les autres classes thérapeutiques. Les opiacés forts (morphine, fentanyl, oxycodone) sont réservés aux formes très sévères et pharmacorésistantes, après une exploration polysomnographique dans un centre du sommeil spécialisé. 

Évolution et complications à long terme

Le SJSR est une maladie chronique qui évolue de façon défavorable tout au long de la vie ; il est donc important d’en informer le patient et de lui recommander de ne pas augmenter seul les poso­logies s’il est traité.

La principale complication du SJSR traité est le syndrome d’augmentation, et se rencontre exclusivement avec les agonistes dopaminergiques. Il se manifeste par une extension topographique des impatiences (cuisses, bras, abdomen) et leur apparition beaucoup plus tôt dans la journée. Il est recommandé dans ce cas de corriger une éventuelle carence martiale, de diminuer la dose d’agonistes dopaminergiques et de la fractionner en plusieurs prises. Une alternative thérapeutique doit alors être envisagée (opiacés ou α2δ ligands).

Sans traitement, le SJSR expose à un risque accru de maladies cardiovasculaires et de dépression, avec un impact socio-économique important.2. 

Encadre

1. Critères diagnostiques du syndrome des jambes sans repos, selon l’International Restless Legs Syndrome Study Group

Critères essentiels (devant impérativement être présents pour poser le diagnostic)

- Une envie de bouger accompagnée d’une sensation désagréable siégeant dans les membres inférieurs, plus rarement dans une autre partie du corps.

- L’envie de bouger et la sensation désagréable débutent ou s’aggravent dans les périodes de repos ou d’inactivité (allongé ou assis).

- L’envie de bouger et la sensation désagréable sont partiellement ou totalement soulagées par les mouvements.

- L’envie de bouger et la sensation désagréable sont ou deviennent plus sévères le soir et la nuit.

- Ces symptômes ne sont pas mieux expliqués par une autre pathologie.

Critères de support (pouvant aider à résoudre un diagnostic incertain)

- Mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil.

- Histoire familiale de syndrome des jambes sans repos.

- Réponse favorable aux agonistes dopaminergiques.

Caractéristiques cliniques associées

- Évolution spontanée du trouble.

- Troubles du sommeil fréquents.

- Bilan clinique et examen physique normaux (sauf si SJSR comorbide).

Encadre

2. Échelle de sévérité du syndrome des jambes sans repos

Entourez une seule réponse par question

1. De manière générale, comment évaluez-vous les sensations désagréables dans vos jambes ou vos bras dues au SJSR ?

4 - Très importantes

3 - Importantes

2 - Modérées

1 - Légères

0 - Inexistantes

2. De manière générale, comment évaluez-vous votre besoin de bouger à cause des symptômes du SJSR ?

4 - Très important

3 - Important

2 - Modéré

1 - Légère

0 - Inexistant

3. De manière générale, les sensations désagréables dans vos jambes ou vos bras dues au SJSR ont-elles été soulagées par le fait de bouger ?

4 - Aucun soulagement

3 - Léger soulagement

2 - Soulagement modéré

1 - Soulagement complet ou presque complet

0 - Aucun symptôme à soulager

4. Quelle est l’importance des troubles du sommeil dus aux symptômes du SJSR ?

4 - Très importants

3 - Importants

2 - Modérés

1 - Légers

0 - Inexistants

5. Quelle est l’importance de la fatigue ou de la somnolence ressenties pendant la journée à cause des symptômes du SJSR ?

4 - Très importantes

3 - Importantes

2 - Modérées

1 - Légères

0 - Inexistantes

6. Dans l’ensemble, comment évaluez-vous votre SJSR ?

4 - Très important

3 - Important

2 - Modéré

1 - Léger

0 - Inexistant

7. Avec quelle fréquence avez-vous des symptômes du SJSR ?

4 - Très souvent (6 ou 7 jours par semaine)

3 - Souvent (4 ou 5 jours par semaine)

2 - Parfois (2 ou 3 jours par semaine)

1 - De temps en temps (1 jour par semaine)

0 - Jamais

8. Lorsque vous avez des symptômes du SJSR, quelle est, en moyenne, leur importance ?

4 - Très importants (8 heures ou plus sur 24 heures)

3 - Importants (3 à 8 heures ou plus sur 24 heures)

2 - Modérés (1 à 3 heures ou plus sur 24 heures)

1 - Légers (moins de 1 heure sur 24 heures)

0 - Inexistants

9. D’une manière générale, quel est l’impact des symptômes du SJSR sur votre capacité à accomplir vos activités quotidiennes (par exemple, mener de manière satisfaisante votre vie à la maison, avec votre famille, vos activités avec les autres, votre vie sociale ou professionnelle) ?

4 - Très important

3 - Important

2 - Modéré

1 - Léger

0 - Inexistant

10. Quelle est l’importance de vos troubles de l’humeur (par exemple, colère, déprime, tristesse, anxiété ou irritabilité) dus aux symptômes du SJSR ?

4 - Très importants

3 - Importants

2 - Modérés

1 - Légers

0 - Inexistants

Appréciation de la sévérite des troubles :

0 point : aucune

1 à 10 points : légère

11 à 20 points : moyenne

21 à 30 points : sévère

31 à 40 points : très sévère

Adapté de la version française du questionnaire élaborée par le Réseau Morphée, d’après The International Restless Legs Syndrome Study Group. Validation of the International Restless Legs Syndrome Study Group rating scale for restless legs syndrome. Sleep Medicine 2003;4(2):121-32.
Références
1. Allen RP, Walters AS, Montplaisir J, et al. Restless Legs Syndrome Prevalence and Impact: REST General Population Study. Arch Intern Med 2005;165(11):1286-92.
2. Manconi M, Garcia-Borreguero D, Schormair B, et al. Restless legs syndrome. Nat Rev Dis Primers 2021;7(1):80.
3. Chenini S, Barateau L, Guiraud L, et al. Depressive Symptoms and Suicidal Thoughts in Restless Legs Syndrome. Movement Disorders 2022;37(4):812-25.
4. Trenkwalder C, Allen R, Högl B, et al. Restless legs syndrome associated with major diseases. Neurology 2016;86(14):1336-43.
5. Garcia-Borreguero D, Silber MH, Winkelman JW, et al. Guidelines for the first-line treatment of restless legs syndrome/Willis–Ekbom disease, prevention and treatment of dopaminergic augmentation: a combined task force of the IRLSSG, EURLSSG, and the RLS-foundation. Sleep Medicine 2016;21:1-11.

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essentiel

Le syndrome des jambes sans repos est une maladie sensitivomotrice fréquente qui entraîne insomnie, anxiété et dépression.

Le diagnostic se fait à l’interrogatoire, et repose sur cinq critères essentiels.

Le bilan martial incluant au minimum un dosage de la ferritinémie est nécessaire.

Les traitements sont réservés aux formes sévères et reposent sur les agonistes dopaminergiques, les α2δ ligands et les opiacés.