Quelle que soit la cause, la néphroprotection s’impose !
Par Charlotte Dumas De La Roque1, Christian Combe1, 2, Claire Rigothier1, 21. Service de néphrologie, transplantation et dialyse, centre hospitalier universitaire de Bordeaux. 2. Inserm U 1026, université de Bordeaux.
Le syndrome néphrotique (SN) est défini par une protéinurie abondante et permanente, supérieure à 3 g/j (ou protéinurie/ créatininurie > 3 g/g) associé à une hypo-albuminémie (< 30 g/L). Il peut être primitif (principalement à lésions glomérulaires minimes [LGM], hyalinose segmentaire et focale [HSF] et glomérulonéphrite extramembraneuse [GEM], idiopathiques 40 % des cas) ou secondaire à d’autres pathologies (maladie de système, infection, médicaments, cancer, obésité, réduction néphronique ou mutation génétique, 60 % ; encadré).
Signes évocateurs : œdèmes et protéinurie à la bandelette urinaire. Sont parfois associés : insuffisance rénale aiguë, HTA ou hématurie. On parle alors de syndrome néphrotique impur. Le caractère pur oriente vers une LGM.
Le passage d’une grande quantité d’albumine dans l’urine résulte d’une perméabilité anormale de la barrière de filtration glomérulaire, secondaire à une modification structurale (un SN témoigne donc d’une atteinte glomérulaire).1

Suspicion clinique et bilan

La clinique se limite à un syndrome œdémateux avec des œdèmes blancs, mous, indolores, déclives, bilatéraux et symétriques, prenant le godet. L’évolution pondérale est souvent informative avec une prise de poids rapide, contemporaine de l’apparition de ce syndrome, d’où l’importance de la surveiller. Il y a parfois des signes d’anasarque (épanchement pleural, péricardique, péritonéal et troubles digestifs).
L’interrogatoire s’attache à identifier un éventuel facteur déclenchant : prise de médicament, vaccination, syndrome infectieux récent, manifestations allergiques.
En cas de syndrome néphrotique secondaire à une maladie systémique, des signes extrarénaux sont à rechercher précocement et systématiquement : éruption cutanée, arthrite, œil rouge, rhinite, sinusite, toux, dyspnée, déficit sensitivo-moteur. Dès la suspicion un avis néphrologique est requis en urgence.
Le bilan initial à réaliser en ville comprend :
– une analyse urinaire sur échantillon avec protéinurie, albuminurie et créatininurie pour confirmer le diagnostic et mettre en évidence le caractère sélectif de la protéinurie (faite de 80 % ou plus d’albumine) ;
– un ECBU à la recherche d’une infection urinaire et d’une hématurie microscopique ;
– des dosages sanguins : urée, créatinine, sodium, potassium, chlore, réserve alcaline, albuminémie, NFS, plaquettes et bilan de coagulation pour détecter des complications métaboliques, une insuffisance rénale et une contre-indication éventuelle à la biopsie rénale (anémie, thrombopénie, troubles de la coagulation) ;
– une échographie des reins et des voies urinaires.
Après confirmation du diagnostic, le bilan étiologique spécialisé recherche des anomalies immunologiques : anticorps anti-nucléaires, anti-ADN natif, ANCA, anti-MBG, anti-PLA2R, complément (C3, C4, CH50), cryoglobuline, électrophorèse et immunofixation des protéines sériques, chaînes légères libres sériques. On traque aussi les infections bactériennes, virales ou parasitaires et une néoplasie.
Tout SN de l’adulte impose une biopsie rénale en l’absence de contre-indication.

Prise en charge des plus fréquents

LGM et HSF idiopathiques2, 3

Ils sont traités par corticoïdes (tableau 1). à noter : le LGM peut aussi être secondaire à une prise d’AINS ou un lymphome non hodgkinien. Causes possibles de la HSF : réduction néphronique, obésité, drépanocytose, VIH, héroïne IV.
Le suivi est néphrologique. La rémission est dite partielle si la protéinurie baisse entre 0,3 et 3 g/j et complète en dessous de 0,3 g/j (elle est globalement de 80 % dans le LGM, 50 % si HSF).
La corticodépendance est définie par la survenue d’une rechute dans les 2 semaines suivant l’arrêt du traitement. La corticorésistance, rare chez l’adulte, est la persistance d’une protéinurie malgré 16 semaines de corticoïdes à 1 mg/kg/j.
Le traitement des rechutes dépend de la sensibilité initiale. En cas de SN corticosensible, le même schéma est reproduit. Si corticodépendance ou résistance, un immunosuppresseur peut être prescrit : ciclosporine (3 à 5 mg/kg/j) ou tacrolimus (0,1 mg/kg/j) ou mycophénolate mofétil (1 à 2 g/j). Ce traitement sera poursuivi 1 à 2 ans. En cas d’échec des lignes précédentes, le rituximab peut se discuter après obtention d’une rémission.

GEM primitive4

La membrane basale glomérulaire est optiquement épaissie, spiculée avec des dépôts granuleux d’IgG et de C3 sur son versant externe en immunofluorescence. Causes des formes secondaires : cancers solides, lupus, HBV, AINS…
En l’absence de signe de gravité : néphroprotection et traitement antiprotéinurique durant 6 mois (rémission spontanée à 5 ans : 5 à 30 % de RC et 25 à 40 % de RP). Si le SN persiste après ce délai, on traite par corticothérapie et cyclophosphamide en alternance sur un semestre : 3 bolus de 1 g de solumédrol puis 0,5 mg/kg/j de corticoïdes per os les 1er, 3e, 5e mois et 2 mg/kg/j de cyclophosphamide per os les 2e, 4e et 6e mois.5
Comme précédemment, le suivi est néphrologique. La rémission est dite complète en cas de protéinurie inférieure à 0,3 g/j sur 2 dosages à 1 semaine d’intervalle, avec normalisation de la créatinine et de l’albuminémie ; partielle si la protéinurie est inférieure à 3 g/j avec une baisse ≥ 50 % par rapport au pic de protéinurie et une albuminémie en voie de normalisation.
Le traitement des rechutes fait appel en première intention au rituximab selon l’étude Gemritux.6 Alternatives : ciclo-sporine (3,5 à 5 mg/kg/j associé à 0,15 mg/kg/j de corticoïdes) ou tacrolimus (0,05 à 0,075 mg/kg/j en monothérapie) pendant 6 à 12 mois.

Néphropathie diabétique7

En microscopie optique, on voit une expansion mésangiale, une sclérose nodulaire (nodules de Kimmelstiel-Wilson), une hyalinose artériolaire.
En première intention, il est crucial d’obtenir un équilibre optimal du diabète, de la pression artérielle et du poids. La cible d’HbA1c est inférieure à 7 % pour les néphropathies de stade 3 (DFG entre 30 et 59 mL/min/1,73 m2) ; inférieure à 8 % pour les stades 4-5 (DFG < 30).8 L’objectif tensionnel est inférieur à 130/80 mmHg sous IEC/ARA2, avec une cible d’albuminurie inférieure à 30 mg/g de créatininurie (ou protéinurie < 0,5 g/j). Le suivi est multidisciplinaire.

Néphropathie lupique9

La prise en charge dépend de la nature des lésions histologiques (tableau 2). Les formes avec prolifération III et IV sont graves. évolution vers l’insuffisance rénale : 20 % à 10 ans.
Le suivi est multidisciplinaire, néphrologique, interniste, rhumatologique (selon les atteintes).

Cryoglobulinémie10

En microscopie optique : glomérulonéphrite avec prolifération sous forme de croissants extracapillaires et dépôts endomembraneux granuleux d’IgG et/ou de C3 en immunofluorescence.
Le traitement est étiologique si elle est associée au VHC ou à une hémopathie. En cas d’atteinte rénale sévère, un immunosuppresseur peut être administré : 4 injections hebdomadaires à 1 semaine d’intervalle de rituximab (375 mg/m2). Le suivi est néphrologique et/ou hépatologique en cas d’hépatite C.

Traitement symptomatique

Quelle que soit l’étiologie, il est indispensable : restriction sodée + diurétique de l’anse (furosémide, bumétanide) associé en cas de résistance à un thiazidique ou à l’amiloride. Il faut aussi prévenir et traiter les complications.
Risque thrombotique par hypercoagulabilité. Un traitement anticoagulant curatif (les études disponibles sont fondées sur l’utilisation de la warfarine en relais de l’héparine non fractionnée ou fractionnée, en absence d’altération du DFG, lors du diagnostic) est indiqué en dessous de 20 g/L d’albuminémie, exception faite des glomérulonéphrites extramembraneuses où le seuil d’anticoagulation curative est une albuminémie inférieure à 25 g/L.
Le risque infectieux est favorisé par l’hypogammaglobulinémie et les immunosuppresseurs. On conseille les vaccinations contre la grippe, le pneumocoque, Haemophilus. La corticothérapie et les immunosuppresseurs contre-indiquent les vaccins vivants.
On traite l’hyperlipidémie par statines, si le syndrome néphrotique résiste à 6 mois de traitement spécifique.
En cas d’HTA, les objectifs tensionnels sont inférieurs à 130/ 80 mmHg, les médicaments de première intention étant les bloqueurs du système rénine-angiotensine : IEC ou ARA2 à dose maximale tolérée.
Le traitement néphroprotecteur doit être mis en place et poursuivi à vie.11 Il est commun à toutes les maladies rénales chroniques, fondé sur une éviction des situations à risque d’insuffisance rénale aiguë et des règles hygiénodiététiques. Toute introduction ou modification de dose d’un bloqueur du système rénine-angiotensine doit faire réaliser un contrôle biologique de la créatinine à 5 et 15 jours afin de s’assurer de l’absence d’hyper- kaliémie et d’élévation de plus de 20 % de la créatinine. Les apports sodés ne doivent pas dépasser 6 g/j. Pour les protéines : entre 0,8 et 1 g/kg/j. La posologie des médicaments doit être adaptée à la fonction rénale (calcul de DFG et adaptation des doses disponibles sur le site du GPR, accessible sur internet : www.sitegpr.com). Les AINS sont formellement contre-indiqués quelle que soit la voie d’administration (per os ou topique).
En cas de nécessité, les examens avec injection de produit de contraste iodé doivent être pratiqués sous couvert d’une hydratation adaptée au niveau de la fonction rénale et après suspension des diurétiques et des bloqueurs du système rénine-angiotensine.
* Rein unique, reflux vésico-urétéral.
Encadre

Étiologies des syndromes néphrotiques secondaires

• Diabète• Lupus érythémateux disséminé• Cryoglobulinémie• Amylose AL primitive ou secondaire à un myélome• Amylose AA secondaire à une maladie inflammatoire chroniqueInfection

• Virus de l’hépatite B ou C ; VIH

• Glomérulonéphrite aiguë post-infectieuse

• Infection d’un shunt atrio-ventriculaire

• Autres : paludisme, syphilis, parvovirus B19, CMV, EBV

• Tumeurs solides (bronchique, mammaire, colique, mélanome)

• Hémopathies (myélome, lymphome non hodgkinien)

• Gammapathie monoclonale isolée

• AINS, lithium, D-pénicillamine, traitement anti-VEGF

• Prééclampsie, obésité, réduction néphronique*, mutation génétique

* Rein unique, reflux vésico-urétéral.
Encadre

Que dire à vos patients

Autosurveillance par bandelettes urinaires, pesée régulière et automesure tensionnelle sont nécessaires.

Le traitement spécifique est fondamental pour induire la rémission du syndrome néphrotique.

La néphroprotection doit être poursuivie à vie pour ralentir la progression de la maladie rénale.

Le traitement symptomatique permet de contrôler les complications du syndrome néphrotique.

Un livret d’information sur le syndrome néphrotique idiopathique (LGM, HSF) est disponible sur le site internet de la fondation du rein : https://bit.ly/2zrWAho.

Recourir au médecin traitant en urgence en cas de signes de rechute ou de complications.

références
1. Audard V, Lang P, Sahali D. Pathogénie du syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes. Med Sci (Paris) 2008;24:853-8.

2. Beck L, Bomback AS, Choi MJ, et al. KDOQI US commentary on the 2012 KDIGO clinical practice guideline for glomerulonephritis. Am J Kidney Dis 2013;62:403-41.

3. Sahali D, Audard V, Rémy P, Lang P. Syndromes néphrotiques idio-pathiques. Physiopathologie et prise en charge thérapeutique spécifique chez l’adulte. Néphrologie Thérapeutique 2012;8:180-92.

4. Ronco P, Debiec H. Membranous nephropathy: A fairy tale for immuno-pathologists, nephrologists and patients. Mol Immunol 2015;68:57-62.

5. Ponticelli C, Altieri P, Scolari F, et al. A randomized study comparing methylprednisolone plus chlorambucil versus methylprednisolone plus cyclophosphamide in idiopathic membranous nephropathy. J Am Soc Nephrol 1998;9:444-50.

6. Dahan K, Debiec H, Plaisier E, et al.; GEMRITUX Study Group. Rituximab for Severe Membranous Nephropathy: A 6-Month Trial with Extended Follow-Up. J Am Soc Nephrol 2017;28:348-58.

7. Fioretto P, Steffes MW, Brown DM, Mauer SM. An overview of renal pathology in insulin-dependent diabetes mellitus in relationship to altered glomerular hemodynamics. Am J Kidney Dis 1992;20:549-58.

8. HAS. Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Janvier 2013. https://bit.ly/2JDFL7P

9. Bajema IM, Wilhelmus S, Alpers CE, et al. Revision of the International Society of Nephrology/Renal Pathology Society classification for lupus nephritis: clarification of definitions, and modified National Institutes of Health activity and chronicity indices. Kidney Int 2018;93:789-96.

10. Ramos-Casals M, Stone JH, Cid MC, Bosch X. The cryoglobulinaemias. Lancet 2012;379:348-60.

11. HAS. Maladie rénale chronique de l’adulte. Parcours de soins. Mai 2012.https://bit.ly/2OkHdg5

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essentiel

Tout SN de l’adulte doit être pris en charge en néphrologie pour biopsie rénale.

Le SN regroupe plusieurs entités physiopathologiques évoluant le plus souvent par poussées avec un risque important de progression vers la maladie rénale chronique terminale (LMG 10 %, HSF : 50 à 70 %).

Le traitement étiologique doit être rapidement mis en place en milieu spécialisé, en coordination avec le médecin traitant.

Le SN primitif est sur la liste des affections longue durée exonérantes (ALD 30)

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