La constatation d’une hyperéosinophilie sanguine, symptomatique ou non, n’est jamais à négliger et doit toujours être un signe d’alerte pour le clinicien. La HAS a mis en ligne des recos sur la conduite à tenir en cas de syndromes hyperéosinophiliques. Synthèse pour le médecin traitant.
Les syndromes hyperéosinophiliques (SHE) sont définis par une hyperéosinophilie (HE) sanguine ≥ 1 500/mm3 et/ou tissulaire d’évolution prolongée (> 1 mois) associée à des dommages tissulaires (quels qu’ils soient) en rapport avec la toxicité des éosinophiles. Il s’agit d’une entité hétérogène qui comprend les SHE clonaux (ou néoplasiques), dont la leucémie chronique à éosinophiles, et les SHE réactionnels (secondaires) causés le plus souvent par une infection parasitaire ou uneprise médicamenteuse, plus rarement par une maladie inflammatoire ou néoplasique (causes précisées dans le tableau ci-contre) . Les médicaments incriminés sont nombreux : AINS, antibiotiques, antiépileptiques, sulfamides, allopurinol, anticoagulants. Toutefois, malgré un bilan causal exhaustif large, on estime qu’environ 50 % – voire ¾ – des SHE restent d’origine indéterminée.
Quand évoquer le diagnostic ?
La constatation d’une hyperéosinophilie sanguine, symptomatique ou non, doit toujours alerter le clinicien. Son origine « allergique » ne doit pas être retenue par excès, surtout si l’hyperéosinophilie dépasse 1,5 G/L.
Un SHE doit être évoqué devant toute HE sanguine ≥ 1 500/mm3 et/ou tissulaire associée à une dysfonction d’organe. Les manifestations cliniques sont diverses (v. encadré) mais les atteintes dermatologiques, respiratoires et digestives sont les plus fréquentes ; celles cardiaques et thrombotiques sont plus rares mais plus graves. Bien qu’il existe quelques symptômes préférentiels (atteinte cardiaque au cours des SHE clonaux, angiœdèmes et manifestations articulaires au cours des SHE lymphoïdes), toutes les manifestations d’un SHE sont possibles quel que soit le type.
Quel bilan ?
Tout patient ayant une HE > 1 500/mm3 doit bénéficier d’un bilan minimal, pour rechercher la cause et évaluer le retentissement :
- Contrôle de l’hémogramme
- Ionogramme sanguin, créatinine
- Bilan hépatique complet
- LDH, CPK
- Calcémie, phosphorémie
- Troponine, BNP
- Électrophorèse des protéines plasmatiques
- Tryptase sérique
- Vitamine B12
- IgE totales
- CRP
- Sérologie VIH
- Sérologie toxocarose
- Autres sérologies parasitaires et sérologie HTLV1 en fonction du contexte
- Examen parasitologique des selles (avec méthode de Baermann, en cas de suspicion d’anguillulose)
- Scanner thoraco-abdomino-pelvien
Les autres investigations sont guidées par les données de l’examen clinique ainsi que par le type de SHE. Une preuve histologique ou cytologique (lavage broncho-alvéolaire par exemple) est souhaitable. En son absence, le diagnostic peut être retenu quand tous les critères suivants sont présents : HE sanguine, atteinte d’organe compatible avec un SHE (en l’absence de diagnostic différentiel) et parallélisme d’évolution entre l’atteinte d’organe et l’HE sanguine.
Prise en charge thérapeutique
Les traitements, leurs modalités (ponctuels versus prolongés) et leurs objectifs (normalisation de l’hémogramme versus contrôle des symptômes tout en tolérant un certain niveau d’éosinophilie persistante) sont fonction du type de SHE, de la sévérité de la maladie, du risque de rechute, du terrain (âge, comorbidités). Un algorithme général de prise en charge est rapporté dans la figure 1.
Le traitement des SHE repose essentiellement : sur les inhibiteurs de tyrosine kinase (imatinib) et l’hydroxycarbamide dans les SHE clonaux ; sur la corticothérapie, l’interféron alfa-2a et l’hydroxycarbamide dans les SHE réactionnels et idiopathiques. Les biothérapies ciblant l’IL-5 sont prometteuses : le mépolizumab, efficace et bien toléré, a obtenu une AMM européenne et il devrait être bientôt remboursé en France.
En l’absence de symptômes, une HE peut être tolérée dans certains cas, sous réserve d’une surveillance régulière (notamment cardiaque).
D’autres traitements (notamment préventifs) sont associés selon les atteintes et l’évolution. La prise en charge est généralement multidisciplinaire, éventuellement en lien avec un centre de référence et/ou de compétence du Cereo.
Que faire dans un contexte d’urgence ?
Des manifestations graves cardiaques (myocardite ++) ou thrombotiques, une détresse respiratoire aiguë, une atteinte neurologique centrale ou périphérique requièrent la mise en place d’un traitement urgent (v. fig. 2), sans attendre les résultats du bilan étiologique. Son pilier est la corticothérapie (prednisone : 0,5-1 mg/kg/j selon la gravité).
Dans les SHE réactionnelles : associer le traitement de la pathologie sous-jacente ou l’éviction du médicament incriminé.
En cas de bilan étiologique négatif, un traitement antiparasitaire d’épreuve est généralement proposé : flubendazole (100 mg pendant 3 j, puis 100 mg dose unique 15 j plus tard) ou albendazole (400 mg/j pendant 1 à 3 j puis 400 mg/j à J15) si HE < 1 500/mm3 ; albendazole (10 à 15 mg/kg/j sans dépasser 800 mg/j en 2 prises/j pendant 10-15 j) si HE > 1 500/mm3. De plus, un traitement par ivermectine est systématique en prévention de l’anguillulose maligne chez les patients chez qui une corticothérapie générale est indiquée et ayant un antécédent de séjour en zone d’endémie, quelle qu’en soit l’ancienneté.
Attention : en l’absence de manifestations cliniques, le chiffre d’éosinophiles, même très élevé (> 10 000/mm3 par exemple), n’est pas une indication à débuter un traitement en urgence.
Cas particuliers
En cas de grossesse ou post-partum, la démarche diagnostique initiale est la même, avec recherche de complications d’organes (cardiaques +++). Un avis doit être pris au moindre doute auprès d’un centre expert. Attention aux médicaments potentiellement fœtotoxiques (hydroxycarbamide, imatinib). Une exposition paternelle à certains médicaments peut aussi contre-indiquer provisoirement le projet de grossesse.
Chez l’enfant, devant une HE inexpliquée, une hémopathie maligne doit être écartée en cas de grande HE (ex : > 10 000/mm3) et/ou d’anomalie(s) associée(s) de l’hémogramme, de splénomégalie, de cortico-résistance initiale.
Quel suivi ?
- Surveiller l’efficacité des traitements (évolution des symptômes et du taux d’éosinophiles circulants).
- Dépister les autres atteintes d’organe potentielles en lien avec une HE persistante.
- Dépister et traiter précocement les rechutes.
- Évaluer et corriger les facteurs éventuels de mauvaise observance.
- Limiter, dépister, prendre en charge précocement les complications potentielles liées au traitement (retentissement staturo-pondéral chez l’enfant) et les séquelles liées à la maladie.
- Évaluer le retentissement psychologique, familial, scolaire et socioprofessionnel et en limiter les conséquences.
Le rythme de surveillance est variable mais 2 consultations spécialisées par an sont généralement suffisantes lorsque la maladie est bien contrôlée. À chaque consultation : examen clinique complet, suivi trimestriel de l’hémogramme, voire autres examens complémentaires (radiologiques, endoscopiques…) selon les manifestations cliniques. En cas de persistance d’une HE sanguine > 1 500/mm3, des explorations cardiaques (dosage de troponine, BNP et réalisation d’une échographie cardiaque trans-thoracique) annuelles sont recommandées, même en l’absence de tout symptôme.
En effet, même si la survie s’est énormément améliorée grâce aux thérapies ciblées, l’atteinte cardiaque reste l’une des principales causes de mortalité.
Principales manifestations cliniques des SHE
- Cutanées : prurit, eczéma, urticaire, angiœdème, bulles, ulcérations des membres ou des muqueuses, hémorragies sous-unguéales en flammèches, fasciite, livedo, purpura.
- Pulmonaires : asthme, bronchiolite, bronchiectasies, pneumopathie.
- Cardiaques : myocardite, péricardite, valvulopathie, fibrose endomyocardique, cardiomyopathie dilatée, thrombus intracavitaire, spasme coronarien.
- Neurologiques : accidents vasculaires cérébraux ischémiques (volontiers bilatéraux et jonctionnels), neuropathie périphérique, myélite.
- Digestives : œsophagite à éosinophiles, gastroentérite et colite à éosinophiles, ascite à éosinophiles, cholangite à éosinophiles.
- Thromboses artérielles et/ou veineuses.
- Rhumatologiques : arthrite, ténosynovite, myosite.
- Vasculopathies « Buerger-like » ou vascularites à éosinophiles (hors GEPA ou PAN).
NB : l’asthme hyperéosinophilique associé à une polypose nasosinusienne est une même maladie des voies aériennes, mais qui peut également s’intégrer dans le cadre du terrain associé à un SHE.
D’après : HAS. Hyperéosinophilies et syndromes hyperéosinophiliques. 6 octobre 2022.
HAS. Hyperéosinophilies et syndromes hyperéosinophiliques. 30 juin 2022.
Pour en savoir plus :
Groh M, Lefèvre G, Ackermann F, et al. Syndromes hyperéosinophiliques. Rev Prat 2019;69(7);767-73.