La nicotine pourrait protéger contre l’infection par le SARS-CoV-2 ! Hypothèse à creuser ou allégation non fondée mais amplement médiatisée… Tout a commencé en Chine avec les premières observations, paradoxales, d’un faible taux de fumeurs dans les cohortes de personnes atteintes du Covid-19. Était-ce là un simple biais statistique où une réalité à explorer ?
Makoto Miyara et Zahir Amoura, deux spécialistes de médecine interne à La Pitié-Salpêtrière se sont penchés sur ce constat. Dans un groupe de 343 malades, ils ont établi que seuls 4,4 % fumaient quotidiennement du tabac. La proportion était de 5,3 % chez les 139 suivis en ambulatoire. Soit une probabilité beaucoup plus faible (d’un facteur cinq) de faire une infection – d’intensité moyenne ou grave – par le SARS-CoV-2 quand on est fumeur, après prise en compte des facteurs confondants que sont l’âge et le sexe…
Des chercheurs du CNRS, de l’Inserm, de Sorbonne université, du Collège de France et de l’Institut Pasteur sous l’égide du neurobiologiste français Jean-Pierre Changeux ont publié dans les Comptes-rendus de biologie de l’Académie américaine des sciences une hypothèse fondée sur un rôle central du « récepteur nicotinique de l’acétylcholine » dans la propagation et la physiopathologie de Covid-19. Selon les auteurs, la forte prévalence des manifestations neuropsychiatriques au cours du Covid-19 est en faveur d’un neurotropisme de SARS-CoV-2 à partir de la muqueuse olfactive » 1
Dans ce contexte théorique, et compte tenu de l’urgence sanitaire, il est apparu souhaitable pour ces chercheurs « d’évaluer rapidement l’impact thérapeutique des agents modulateurs du récepteur nicotinique sur l’infection par SARS-CoV-2 ». Des études cliniques visant à tester cette hypothèse sont en cours d’élaboration : des patchs nicotiniques vont être proposés à des soignants (à but préventif et versus un groupe témoin) ainsi qu’à des personnes hospitalisées, en réanimation ou pas.
Mais les tabacologues alertent : les non-fumeurs ne peuvent tolérer que de très petites doses de nicotine sous peined’être victimes de céphalées ou de vomissements. Cela compliquerait son usage à des fins préventives ou curatives.
Enfin, question plus générale de santé publique : comment faire pour que la médiatisation de cette approche et de ces études n’ait pas pour conséquences d’inciter à la consommation de tabac – a fortiori en période de confinement connue pour favoriser les comportements addictifs ? Comment mettre en garde pour qu’une consommation dont la toxicité massive n’est plus à démontrer (75 000 décès prématurés annuels en France) ne soit pas perçue comme un moyen efficace contre une infection pour laquelle on ne dispose d’aucun traitement préventif ni curatif ? Comment faire la promotion de cette expérimentation sans inciter à s’automédiquer avec des substituts nicotiniques comme d’autres le font avec l’hydroxychloroquine ?
Pour éviter la ruée sur les patchs, un arrêté ministériel récent en encadre la dispensation dans les pharmacies d’officine et limite la quantité délivrée au nombre de boîtes nécessaires pour un traitement d’une durée d’un mois avec la suspension des ventes via internet.
Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, a rapidement perçu les dangers. « Il faut être très prudent dans ces études observationnelles, a-t-il expliqué. Tout ceci mérite une confirmation totale. La recherche doit être encouragée, mais j’invite les Français à ne pas confondre pistes de recherche et faits établis. ». Et pour finir : « Nous déconseillons fortement à la population de reprendre le tabac ». Covid-19 ou pas.
1. Covid-19 : l’hypothèse du rôle central du récepteur nicotinique de l’acétylcholine et ses implications préventives et thérapeutiques. Communiqué de presse AP-HP, 22 avril 2020. https://bit.ly/3bLVGhE
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