Le tabagisme chez les adolescents reste un problème de santé publique malgré la baisse de la consommation chez les jeunes de 17 ans. L’influence des pairs, des médias, de l’industrie du tabac ainsi que certains facteurs individuels expliquent cette consommation. Environ 80 % des fumeurs commencent à fumer avant l’âge de 18 ans, et chaque année 200 000 jeunes entrent dans le tabagisme en France. Or la dépendance à la nicotine s’installe rapidement. L’âge de la première cigarette a certes légèrement reculé, de 12 ans au début des années 2000 à 14,4 ans actuellement, mais les mesures préventives – incluant des mesures collectives et le soutien individuel aux jeunes fumeurs voulant arrêter – doivent rester de mise.
De nouveaux modes de consommation
En France, l’enquête Escapad confirme un recul important des consommations traditionnelles du tabac chez les jeunes de 17 ans en 2022 : moins de la moitié des adolescents de 17 ans (46,5 %) disent avoir expérimenté le tabac, contre quasiment 60 % en 2017 et 78 % en 2000. En revanche, l’usage de la cigarette électronique est en nette progression :1 68 % des adolescents qui ont essayé au moins une fois la cigarette électronique n’ont jamais été fumeurs auparavant. L’arrivée du vapotage rend le tabac obsolète : l’image de la vapoteuse apparaît plus moderne. Les « puffs » – cigarettes électroniques jetables et aromatisées – sont très appréciées des adolescents, avec le risque d’addiction rapide (elles contiennent de la nicotine) et de dépendance comportementale (geste), constituant une porte d’entrée vers le tabagisme. L’interdiction récente de leur commercialisation a été permise, entre autres, par l’engagement de plusieurs associations (dont Alliance contre le tabac).2
Certains adolescents se procurent du snus (tabac humide, à placer au niveau de la gencive) ou utilisent la chicha (pipe à eau).3
La consommation de cannabis – en général associée au tabac – et d’autres produits licites (alcool) ou illicites doit toujours être recherchée.
En 2017, l’exposition au tabagisme passif chez les jeunes de 17 ans restait importante malgré la législation en vigueur : 24 % déclaraient être exposés à la fumée de tabac à domicile et 62,9 % devant leur établissement scolaire.4
L’adolescent et la cigarette : entre pression sociale et recherche d’identité
La dépendance au tabac et l’apparition des symptômes de sevrage sont responsables du maintien du tabagisme, mais la prise de la première cigarette résulte de l’interaction entre trois paramètres :
- des facteurs de risque liés au produit : les premières cigarettes sont souvent fumées par comportement d’imitation. Du degré de sensibilisation et du développement de la tolérance à la nicotine découle une évolution vers un comportement de fumeur à forte consommation si les effets de récompense perçus lors des premières cigarettes consommées sont importants ;
- des facteurs individuels de vulnérabilité : certains traits de tempérament sont liés à la prise de substances addictives (niveau élevé de recherche de sensations et de nouveautés, faible évitement du danger). L’association de troubles psychopathologiques est fréquemment retrouvée (anxiété, dépression, phobie sociale, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) ;
- des facteurs de risque environnementaux, culturels et sociétaux (marketing de Big Tobacco, omniprésence du tabac dans les médias, dont les films et séries, ou sur les réseaux sociaux, presque sans contrôle), les habitudes tabagiques de la famille, les pairs qui ont un rôle majeur dans l’initiation tabagique, le contrôle du poids et l’usage social de la cigarette (lors de fêtes, ou en aide en cas d’affect négatif).
Des conséquences à plus ou moins long terme
Les adolescents fumeurs perçoivent peu les risques liés au tabagisme. Or, à court terme, l’installation de la dépendance à la nicotine est rapide : on estime qu’il se passe moins d’un an entre la première cigarette et le tabagisme quotidien. Pour la repérer, le test HONC (encadré) est validé chez les jeunes fumeurs.5 La nicotine, hautement addictive, perturbe l’activité cérébrale qui est encore en plein développement et donc très vulnérable à cette période.
À long terme, les conséquences du tabagisme sont connues, compromettant, entre autres, la croissance pulmonaire. Concernant les risques de cancérogenèse pulmonaire, la durée du tabagisme a davantage d’effets que la quantité quotidienne fumée. Fumer à l’adolescence a aussi des conséquences sur la santé respiratoire à travers les générations : des changements épigénétiques sont transmis par les cellules germinales mâles.6 Des conséquences psychosociales peuvent enfin être observées chez les jeunes fumeurs : phénomène d’exclusion, stigmatisation.
Stratégies de prévention et de réduction de la consommation de tabac chez les adolescents
En France, en 2021, l’objectif a été fixé d’une génération qui aura 20 ans en 2030 et sera « la première génération sans tabac ».
Actions de prévention et de sensibilisation
Réalisée en famille, dans les clubs sportifs, dans les espaces culturels et à l’école, la prévention, sous forme de campagnes structurées, insiste sur les conséquences du tabagisme sur l’apparence physique (vieillissement prématuré, mauvaise haleine, troubles de l’érection) qui peuvent marquer les adolescents. Mais si elle se limite à la peur des maladies et aux méfaits de la cigarette, son efficacité n’est pas établie.
Des programmes validés de prévention des conduites addictives en milieu scolaire sont développés – Unplugged en est un exemple –,7 visant surtout à développer les compétences psychosociales chez les enfants (figure). Ils sont animés par les jeunes eux-mêmes dans leurs collèges ou quartiers, lors d’événements festifs et sportifs, dans le cadre de forums d’information et de sensibilisation aux addictions, avec des formats ludiques. Par ailleurs, il est nécessaire de montrer à ces jeunes la façon dont ils sont manipulés par les stratégiesmarketing des industriels du tabac.
Réglementation de la publicité et de la vente de tabac
L’interdiction des publicités attractives sur les lieux de vente et celle de la vente de tabac aux mineurs doivent être respectées. Les autres mesures permettant un meilleur contrôle du tabagisme sont à encourager : interdiction de fumer dans les lieux publics, les parcs, les aires de jeux, les campus ou dans l’habitacle d’un véhicule en présence d’un enfant mineur, instauration du paquet neutre, limitation de l’accessibilité au produit…
Soutien et accompagnement : la clé pour arrêter
Une approche personnalisée doit être développée, utilisant des outils interactifs adaptés au style de vie et aux préférences des adolescents (applications, suivi sur smartphone, plateformes en ligne, SMS d’encouragement répétés, ligne Tabac info service [39 89], « Mois sans tabac »).
À cet âge, l’entretien motivationnel est un outil très intéressant dans la prise en charge des conduites addictives.8 Les techniques comportementales sont privilégiées, souvent réalisées en groupe.
Chez les jeunes fumeurs déjà dépendants, le recours à des substituts nicotiniques (patchs, pastilles, gommes) peut être envisagé à partir de l’âge de 15 ans (18 ans pour le spray buccal), avec des résultats encourageants à court terme mais inefficaces à long terme.9
Médecin généraliste : une figure de confiance
Le médecin généraliste – souvent de famille – est bien placé pour aborder ce sujet avec l’adolescent. Il lui revient de toujours évaluer si le jeune consomme du tabac et d’autres substances psychoactives. Il peut alors expliquer simplement quels en sont les effets néfastes à court et à long termes.
Il détermine le niveau de motivation de l’adolescent à arrêter ou à réduire sa consommation et détaille toujours les bénéfices apportés par l’arrêt.
Il peut proposer des interventions comportementales : comment appréhender les situations de tentation, comment gérer le stress et comment remplacer les habitudes liées au tabac.
Si nécessaire, l’adolescent motivé est orienté vers une consultation de tabacologie : Consultations jeunes consommateurs (CJC) – voir le site internet https ://www.drogues-info-service.fr/ – ou directement en service d’addictologie.
Que dire à vos patients ?
L’adolescence est une période de vulnérabilité pour l’expérimentation du tabac.
Il existe une dépendance physique (syndrome de sevrage…), comportementale (liée à la gestuelle) et psychologique. Il est possible de reconnaître les signes précoces de la dépendance au tabac (test HONC).
Chez les adolescents, les facteurs de risque de fumer sont la pression sociale, le tabagisme familial et des pairs, le stress, la faible estime de soi, l’anxiété et/ou la dépression.
Il convient d’adopter une approche proactive en abordant régulièrement le sujet du tabac, en fournissant des informations sur les stratégies de prévention et d’aide au sevrage. Les parents, si l’adolescent souhaite les impliquer, peuvent jouer un rôle d’accompagnement.
Des brochures (exemple de « Tabac et ados » : https ://bit.ly/46UgNv0) peuvent renforcer le discours du médecin ; la participation à un groupe de soutien et le recours à une assistance téléphonique (Tabac info service : 39 89) peuvent également aider.
Enfin, certains réseaux sociaux peuvent soutenir cette démarche : par exemple TikTok regroupe des influenceurs addictologues (https ://www.tiktok.com/@kettydls.addicto).
Test HONC de mise en évidence de la dépendance tabagique
Le test HONC (Hooked on Nicotine Checklist) est un test en dix items qui permet de mettre en évidence la perte de contrôle vis-à-vis de la consommation de tabac chez les jeunes fumeurs.
Une réponse positive à un seul item suffit à indiquer une perte d’autonomie liée à la consommation de tabac. Plus le score est élevé (1 point par réponse positive), plus il fait évoquer une perte d’autonomie, donc une dépendance. Un score supérieur ou égal à 7 indique un niveau de forte dépendance à la nicotine.
- Avez-vous déjà essayé d’arrêter de fumer sans y parvenir ?
□ Oui □ Non
- Fumez-vous actuellement parce que c’est vraiment difficile d’arrêter ?
□ Oui □ Non
- Pensez-vous être dépendant(e) du tabac ?
□ Oui □ Non
- Avez-vous déjà eu des envies impérieuses de fumer ?
□ Oui □ Non
- Avez-vous déjà eu un grand besoin d’une cigarette ?
□ Oui □ Non
- Est-ce difficile de ne pas fumer aux endroits où c’est interdit, comme à l’école ?
□ Oui □ Non
- Quand vous essayez d’arrêter ou quand vous n’avez pas fumé depuis un certain temps : Était-il difficile de vous concentrer ?
□ Oui □ Non
- Avez-vous été plus irritable parce que vous ne pouviez pas fumer ?
□ Oui □ Non
- Avez-vous senti un besoin urgent, une envie impérieuse de fumer ?
□ Oui □ Non
- Vous êtes-vous senti(e) nerveux(se), incapable de rester tranquille ou angoissé(e) parce que vous ne pouviez pas fumer ?
□ Oui □ Non
D’après DiFranza JR, Savageau JA, Fletcher K, et al. Arch Pediatr Adolesc Med 2002 ;156(4) :397 - 403.
2. Alliance contre le tabac. 1 ado sur 10 a déjà utilisé la puff. L’ACT réclame l’interdiction immédiate des cigarettes électroniques jetables. Communiqué de presse, 25 octobre 2022. https://bit.ly/44DHZwG
3. Peiffer G, Underner M, Perriot J. La chicha : engouement et nocivité. Rev Prat 2020;70(10):1125-7.
4. Le Nezet O, Janssen E, Brissot A, et al. Les comportements tabagiques à la fin de l’adolescence. Enquête Escapad 2017. Bull Epidémiol Hebd 2018;(14-15):274-82.
5. Chaffee BW, Halpern-Felsher B, Jacob P 3rd, et al. Biomarkers of nicotine exposure correlate with the Hooked on Nicotine Checklist among adolescents in California, United States. Addict Behav 2022;128:107235.
6. Accordini S, Calciano L, Johannessen A, et al. Prenatal and prepubertal exposures to tobacco smoke in men may cause lower lung function in future offspring: a three-generation study using a causal modelling approach. Eur Respir J 2021;58(4):2002791.
7. Bourduge C, Brousse G, Morel F, et al. “Intervention Program Based on Self”: A Proposal for Improving the Addiction Prevention Program “Unplugged” through Self-Concept. Int J Environ Res Public Health 2022;19(15):8994.
8. Naar-King S, Suarez M. L’entretien motivationnel avec les adolescents et les jeunes adultes. Paris: InterEditions, 2011.
9. Myung SK, Park JY. Efficacy of Pharmacotherapy for Smoking Cessation in Adolescent Smokers: A Meta-analysis of Randomized Controlled Trials.Nicotine Tob Res 2019;21(11):1473-9.