Aujourd’hui, à cause d’un début de consommation précoce, l’immense majorité des fumeurs ont une véritable addiction organique et non un problème de comportement. La psychothérapie et l’entretien motivationnel risquent d’être inefficaces si l’on n’a pas d’abord soulagé le manque par une substitution nicotinique adaptée, qui n’entraîne pas de dépendance. Comment faire en pratique ? Avec quels produits et selon quel protocole ? Le point par le Pr Bertrand Dautzenberg, Sorbonne Université, Institut Arthur Vernes, Paris.

 

Le tabac fumé induit-il une dépendance ?

Les fumeurs disent quasiment tous que la première cigarette fumée au lever n’est ni un plaisir ni un comportement volontaire : c’est une exigence absolue de leur corps en manque (en hyponicotinémie).

L’hyponicotinémie peut être comblée par une cigarette, mais cela a deux inconvénients majeurs :

1. On inhale 1 milliard de particules fines PM2,5 à chaque bouffée (ce qui correspond à une journée d’exposition à l’air d’une ville très polluée – niveau alarmant, avec 50 µg/m3 de PM2,5 !). La fumée de tabac produit aussi des centaines de substances toxiques, dont des dizaines de cancérogènes, elle est responsable de la mort de la moitié des fumeurs.

2. Prendre 15 bouffées d’une cigarette en quelques minutes a un autre effet : augmenter le nombre de récepteurs nicotiniques et les désensibiliser par un phénomène d’up regulation provoqué par le pic de nicotine. Fumer une cigarette, c’est prendre la nicotine « cul sec » ! Chaque cigarette augmente la nécessité de fumer la suivante.

Comment remplacer la cigarette ?

De nombreuses sources de nicotine corrigent l’hyponicotinémie sans apport de particules solides, de monoxyde de carbone (CO), et avec infiniment moins de cancérogènes et de produits irritants, diminuant ainsi considérablement les dommages. La nicotine est apportée progressivement, sans pic, évitant ainsi l’up regulation et conduisant à la régression du nombre de récepteurs nicotiniques d’environ 1 % par jour : au bout de 90 jours, les besoins de nicotine sont le plus souvent réduits de 90 %. La substitution nicotinique complète, outre qu’elle soulage le manque, est aussi un outil de mise en rémission de la dépendance tabagique.

Les autres produits du tabac fumé proposés par l’industrie du tabac sont à bannir :

• les cigarillos, utilisés en remplacement des cigarettes, ont les mêmes effets néfastes et maintiennent l’addiction ;

• les nouveaux tabacs chauffés contiennent certes moins de particules mais ils sont conçus pour être addictifs, avec la nécessité de prendre toute la dose de nicotine en quelques minutes (3,5 min sur un des modèles !). Les données épidémiologiques issues des études publiées montrent que ces produits (IQOS, Ploom et GLO) sont davantage des portes d’entrée que de sortie du tabagisme. Étant donné qu’ils ne plaisent pas suffisamment aux fumeurs, la grande majorité soit les abandonne, soit les utilise combinés aux cigarettes conventionnelles ;

• la chicha, bien qu’elle soit moins addictive du fait d’une montée lente de la nicotine, ne peut absolument pas être recommandée car chaque bouffée produit autant de particules nocives qu’une cigarette entière !

La vape a-t-elle un intérêt ?

La cigarette électronique a été et est une solution pour des millions de fumeurs.

Ce n’est pas un dispositif médical, mais un produit de consommation courante. Cependant, comme les substituts nicotiniques oraux, elle corrige rapidement l’hyponicotinémie, sans phénomène d’up regulation et avec une toxicité infiniment moindre que celle de la fumée du tabac.

Le principal produit potentiellement toxique qui persiste est la nicotine, qu’il faut formellement déconseiller aux non-fumeurs mais qui, chez les fumeurs, comble bien le manque si la dose délivrée est la même qu’avec la cigarette. Sous cigarette électronique seule (sans consulter) ou associée à des patchs nicotiniques prescrits par un médecin ou conseillés par le pharmacien, l’adaptation de dose est facilitée et le manque peut être totalement comblé en 1 à 2 semaines tout au long de la journée. Il faut rassurer les fumeurs, qui sont pour la plupart nicotinophobes et très inquiets vis-à-vis de la nicotine non fumée.

Ainsi, la vape a toute sa place dans l’arrêt du tabac. Comme les substituts nicotiniques oraux, elle n’est efficace que si elle plaît.

La seule grande erreur de manipulation est de la faire fonctionner sans liquide ; elle dégage alors une odeur de brûlé imposant de changer la résistance et ses mèches.

L’achat en boutique spécialisée permet d’essayer différents e-liquides et augmente les chances d’en trouver un qui soit satisfaisant.

Comment réaliser une substitution en pratique ?

Pour être efficaces, les substituts nécessitent une adaptation progressive de posologie (v. tableau ci-dessous).
Le plus simple est de partir d’une dose un peu en dessous de celle estimée nécessaire, et de laisser le patient fumer autant que le corps le demande. Il faut l’encourager les premiers jours à consommer des cigarettes qui sont « bonnes jusqu’au bout », car s’il peut les terminer sans éprouver un mauvais goût, voire des nausées, c’est qu’il reste sous-dosé en nicotine. Un sujet bien compensé éteint toutes les cigarettes qu’il allume avant la fin.

Par exemple, si le premier jour un fumeur consomme plus de 10 cigarettes avec un patch de grande taille (Pg), il faut en ajouter un supplémentaire le lendemain et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il fume moins de 5 cigarettes par jour.

On conseille cependant de ne pas dépasser 3 patchs simultanés par jour sans avis médical (certains patients, en particulier les schizophrènes, en ont parfois besoin de beaucoup plus).

On demande au fumeur de garder la même marque en cours de traitement car, par exemple, le patch carré étiqueté 21 mg Niquitin délivre plus rapidement la nicotine et a une aire sous la courbe plus importante que le patch rond 21 mg Nicotinell ou Nicopatch.

Les formes orales des substituts nicotiniques – pastilles sublinguales, comprimés à sucer, gommes à mâcher, inhaleurs ou sprays buccaux – sont d’autant plus efficaces qu’elles plaisent. Il est donc important d’inciter le patient à bien lire les conseils d’utilisation et goûter plusieurs produits afin de choisir celui qu’il préfère. Attention : pour traiter au mieux l’hyponicotinémie 24 h/24, le médecin doit idéalement trouver la bonne dose en 1 ou 2 semaines.

Tableau

 

Quelle place pour la varénicline ?

L’efficacité de cette molécule (Champix) agissant sur les récepteurs a4b2 nicotiniques est bonne en monothérapie, même si certains patients doivent attendre 3 à 8 semaines pour abandonner les dernières cigarettes. Dose : 0,5 mg 1 fois/j du 1er au 3e jour ; 0,5 mg 2 fois/j du 4e au 7e j ; 1 mg 2 fois/j du 8e jour à la fin du traitement (12 semaines au total). La posologie peut être réduite de moitié (1 mg/j) en cas d’effets secondaires, si plus aucune cigarette n’est fumée.

Les principaux effets secondaires sont une bouche pâteuse et des nausées (donnant la sensation d’avoir trop fumé) considérées comme des effets indésirables par certains patients, mais bénéfiques pour d’autres car ils dégoûtent du tabac. Les perturbations du sommeil sont fréquentes, avec souvent des rêves colorés semblables à ceux parfois décrits avec les substituts nicotiniques.

D’après : Dautzenberg B. Addiction au tabac : une vraie maladie !  Rev Prat Med Gen 2018;32(1006);596-7.

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

À lire aussi :

Dautzenberg B. E-cigarette : moyen de sevrage ?  Rev Prat Med Gen 2020;34(1043);474-5.