En France, les enfants d’un même niveau de scolarité ont jusqu’à 12 mois d’écart d’âge. Par exemple, ceux ayant 6 ans au cours d’une année civile rentrent en CP début septembre de cette même année (l’enfant né en décembre a donc en moyenne 11 mois de moins que celui né en janvier).
En découle un effet d’âge relatif, c’est-à-dire un avantage des sujets nés plus tôt. Cet effet, bien établi en sciences de l’éducation avec des performances scolaires globalement inférieures pour les plus jeunes qui peuvent persister parfois à l’âge adulte, est aussi observé dans les milieux sportifs de haut niveau.
Dans le domaine médical, cet effet documenté pour le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) : une vingtaine d’études internationales (États-Unis, Canada, Australie, plusieurs pays européens, Israël, Taïwan, etc.) ont montré que les enfants les plus jeunes au sein d’un même niveau scolaire recevaient plus souvent un diagnostic de TDAH et les traitements psychostimulants associés, par rapport à leurs camarades plus âgés. Néanmoins, très peu de données françaises étaient disponibles à ce sujet jusqu’à présent. Par ailleurs, l’effet n’avait pas été étudié pour la rééducation orthophonique, souvent associée à d’autres troubles neurodéveloppementaux comme les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) – même si des études précédentes ont suggéré un risque plus élevé de difficultés d’apprentissage chez les plus jeunes par rapport aux plus âgés au sein d’un même niveau scolaire.
Pour la première fois, une vaste étude de cohorte nationale française a examiné l’effet d’âge relatif sur le risque d’initier un traitement par méthylphénidate – indiqué dans le TDAH – ou d’avoir recours à l’orthophonie, avec un groupe comparateur pour quantifier ce risque et des analyses par sous-groupes (sexe, âge gestationnel, rang au sein de la fratrie, niveau socio-économique).
Enfants nés au dernier trimestre : un risque environ 50 % plus élevé de traitement psychostimulant ou de recours à l’orthophonie
Cette étude de cohorte nationale prospective a recueilli de façon quasi-exhaustive les données des enfants nés en France de 2010 à 2016 (4 769 837 participants), grâce au Système national des données de santé (SNDS). Les enfants étaient suivis entre le 1er septembre de l’année civile des 5 ans et jusqu’au 31 juillet des 10 ans ou jusqu’à la fin de l’étude (31 juillet 2022).
L’étude n’a pas inclus les enfants ayant, avant la date d’entrée dans la cohorte, des anomalies chromosomiques, des malformations congénitales, des troubles mentaux, un diagnostic de troubles du comportement ou du développement, une prescription de méthylphénidate ou d’autres psychotropes, ou une rééducation orthophonique.
Le traitement par méthylphénidate a concerné 0,8 % de la cohorte (taux d’incidence de 2,3/1 000 personnes-années) et le recours à l’orthophonie 16,5 % (53,1/1 000 personnes-années).
Parmi les enfants d’un même niveau de scolarité, l’initiation de méthylphénidate et d’orthophonie augmentait régulièrement selon le mois de naissance de janvier à décembre. En effet, comparés à ceux nés en janvier, ceux nés en février avaient 7 % de risque supplémentaire de se voir prescrire du méthylphénidate et 3 % d’avoir recours à l’orthophonie ; ceux nés en avril, respectivement 9 % et 12 % ; en juillet, 29 % et 30 % ; en octobre, 46 % et 49 % ; en décembre, 55 % et 64 %.
L’effet était plus marqué à partir du CE1 (7 ans) pour le traitement par méthylphénidate ; il n’était pas observé en grande section de maternelle (5 ans) et était très atténué en CP (6 ans). Le recours à la rééducation orthophonique était toujours plus élevé chez les plus jeunes au sein d’une année scolaire quel que soit le niveau de scolarité considéré, mais l’effet prédominait en grande section et CP puis diminuait.
Cet effet d’âge était observé dans toutes les analyses de sous-groupes (sexe, âge gestationnel, rang au sein de la fratrie, niveau socio-économique). Il serait plus marqué chez les filles, alors qu’elles ont un taux de diagnostic et de traitement plus faible que les garçons ; le même résultat a été observé dans d’autres études, mais selon certains auteurs l’effet peut être dû à un artefact lié précisément aux effectifs moins importants de diagnostics et de traitement.
Enfin, les auteurs ont estimé que 20 % des traitements par méthylphénidate et 22 % des recours à l’orthophonie seraient attribuables uniquement à cet effet d’âge relatif, en considérant l’ensemble des facteurs de risques pour les enfants nés entre le 2e et le dernier trimestre d’une année par rapport à nés au premier trimestre.
Comment l’expliquer ?
Pour expliquer ces écarts, les auteurs invoquent un possible biais de diagnostic du TDAH et des TSLA dû à une immaturité relative des enfants nés en fin d’année par rapport à leurs camarades nés en début d’année. À l’entrée au CP, un enfant de 6 ans et 8 mois a vécu 13 % d’année de vie supplémentaire qu’un enfant de 5 ans et 9 mois ; ce dernier a donc une moindre maturation neurologique, liée à son âge réel, que le premier.
Par conséquent, les enfants plus jeunes seraient confrontés à des exigences scolaires et comportementales disproportionnées par rapport à leur âge, surtout au cours des premières années d’école : ils peuvent sembler moins attentifs, plus hyperactif et impulsifs que leurs camarades de classe plus âgés, et seraient donc plus susceptibles de recevoir un diagnostic de trouble du neurodéveloppement.
Cette hypothèse est étayée par les résultats d’études réalisées dans des pays où, contrairement à la France, la pratique de retarder l’entrée à l’école des enfants jugés immatures par rapport au niveau scolaire est courante (Danemark, Israël, Écosse) : l’effet d’âge relatif s’affaiblit ou devient nul pour le diagnostic du TDAH au sein d’un niveau scolaire donné.
Les auteurs recommandent donc aux praticiens de rappeler aux parents et aux enseignants de tenir compte de cet effet, et donc de la date de naissance de l’enfant, lorsqu’ils fournissent des informations sur des symptômes pouvant évoquer un TDAH ou un TSLA. Cette vigilance pourrait éviter des surdiagnostics et un surtraitement chez les plus jeunes, mais aussi éventuellement un sous-diagnostic chez les plus âgés (plus aptes à compenser certains symptômes du fait d’une plus grande maturité).
Ces conclusions seront intégrées aux recommandations de bonne pratique sur le diagnostic et la prise en charge des enfants et adolescents atteints de TDAH qui sont en cours d’élaboration par la HAS.