En raison de la fréquence du TDAH (environ 5 % des enfants, soit au moins un par classe !) et de la pénurie de pédopsychiatres, les médecins généralistes sont amenés à recevoir de plus en plus de familles consultant pour ce trouble. Mais toutes les plaintes parentales correspondent-elles à un véritable TDAH ? Comment le différencier de situations non pathologiques ? Quelles interventions concrètes proposer en médecine générale ? On vous dit tout dans cet entretien avec le Pr Olivier Bonnot, pédopsychiatre, hôpital Barthélémy Durand (Essonne).

Comment savoir si un enfant a un TDAH ou est juste turbulent ou « tête en l’air » ?

Le trouble de l’attention, l’impulsivité et éventuellement l’hyperactivé constituent une base du diagnostic de TDAH. Mais leur présence concomitante n’est pas suffisante pour l’affirmer, car ces signes sont communs et peu spécifiques. L’hyperactivité, qui n’est pas nécessaire au diagnostic, est le signe le plus souvent remarqué car plus gênant pour l’entourage (difficultés à tenir en place sur sa chaise à l’école, par exemple). Inversement, l’inattention, l’impulsivité et la distractibilité, qui sont les signes principaux et doivent être présents pour poser le diagnostic, sont plus « silencieux »…

En pratique, en psychiatrie – a fortiori pour l’enfant et l’adolescent –, l’affirmation du diagnostic doit tenir compte à la fois du contexte (évaluer l’enfant dans sa globalité), des signes observés en consultation et de leur évolution (aspects développementaux), mais surtout de leur retentissement fonctionnel, sur la qualité de vie et l’estime de soi. Ce retentissement est un critère crucial pour conclure à une situation pathologique : difficultés sur le plan scolaire en raison du manque de concentration ou difficultés relationnelles en raison de l’impulsivité sont autant de signes d’alerte qui doivent faire orienter vers le pédopsychiatre.

Il est aussi important de s’assurer que le trouble est présent au moins dans deux environnements de vie différents, qu’il ne s’arrête pas aux frontières de l’école ou à celles de la maison (v. ci-après).

De fait, les évolutions de la société ont joué un rôle majeur dans la détection croissante des enfants ayant un TDAH : lorsqu’il était plus facilement accepté qu’un enfant, en particulier une fille, soit « tête en l’air », moins de cas de TDAH étaient diagnostiqués. Le TDAH, de plus, a bénéficié d’une reconnaissance médicale assez tardive, en particulier en France. 

Sur quels outils peut s’appuyer le médecin généraliste pour dépister un TDAH ?

Les questionnaires et échelles sont une excellente porte d’entrée. Une liste est disponible dans notre livre, avec les liens vers les sites gratuits. Classiquement, on utilise le questionnaire de Conners, qui permet en quelques minutes de préciser le comportement de l’enfant et sa relation avec les autres (sa version abrégée comporte 10 questions ; un score supérieur à 15 oriente vers une situation pathologique).

Le plus important est d’avoir : 1) le regard clinique du médecin face au patient, en lien avec la plainte des parents ; 2) le regard d’une personne extérieure, en particulier à l’école – il ne faut pas hésiter à fournir aux enseignants un questionnaire à remplir. Cette double évaluation permet de s’assurer que les symptômes retentissent dans au moins deux environnements de vie différents de l’enfant. 

Quels diagnostics différentiels et comorbidités rechercher en priorité ?

Les signes précédemment évoqués n’étant pas spécifiques, il est important d’écarter d’autres pathologies (diagnostic différentiels ou parfois troubles associés) avant d’entamer une prise en charge. 

En premier lieu : troubles du sommeil, troubles psychiatriques et psychoaffectifs (dépression, anxiété), qui sont des diagnostics différentiels très fréquents, mais peuvent aussi être des comorbidités associées au TDAH.

Ce dernier peut également s’apparenter à un refus ou une phobie scolaire (« Je ne veux pas aller l’école », « Je ne suis pas bien quand je vais à l’école »), que les parents peuvent mettre facilement sur le compte du caprice.

Enfin, des anomalies développementales constatées à l’anamnèse peuvent orienter vers d’autres troubles du neurodéveloppement (troubles du spectre de l’autisme, troubles des apprentissages…). Des bilans paramédicaux ou psychologiques sont nécessaires en cas de signes d’appel.

Y a-t-il des particularités chez les filles ?

Elles ont majoritairement la composante de l’inattention plutôt que l’hyperactivité. Dès lors, en raison des stéréotypes de genre – il a pu être considéré par le passé comme « normal » qu’une fille soit plus repliée sur soi –, un TDAH peut passer inaperçu chez elles.

Mais attention aux idées reçues ! Il n’existe pas, en l’état actuel des connaissances, de raison développementale, neurobiologique ou génétique expliquant une prétendue prépondérance du TDAH chez les garçons. Pendant longtemps, le rapport était de trois garçons diagnostiqués pour une fille ; il est actuellement de trois garçons diagnostiqués pour deux filles. Dans les années à venir, il va probablement s’équilibrer – les évolutions sociétales faisant qu’on y prête davantage d’attention.

Les délais de consultation en pédopsychiatrie étant longs, est-il possible de mettre en place des interventions comportementales d’emblée ?

Oui, il n’est pas nécessaire d’attendre le diagnostic officiel pour essayer certaines méthodes qui permettent à l’enfant de gagner de l’autonomie et de la confiance en soi. Par exemple :

  • Une « attention positive » de la part des parents a d’excellents effets : faire des demandes précises en établissant un contact visuel, ce qui évite la frustration de répéter la même liste de consignes indéfiniment en vain ; valoriser les comportements appropriés avec sourires, compliments, système visuel de réussites (étoiles sur une carte, mots dans un bocal…) ; commenter le comportement de l’enfant et non sa personnalité (« Tu ne te comportes pas sagement » versus « Tu n’es pas sage ») pour éviter une baisse de son estime de soi…
  • Favoriser les capacités d’organisation : établir des routines, des plans d’actions visuels (planning de semaine) ; fractionner les tâches en étapes courtes suivies de pauses (v. encadré pour des conseils concernant les devoirs)…
  • Pour réduire l’agitation à la maison : prévoir du temps d’activité physique avant les moments de concentration ; réserver des endroits où l’enfant peut bouger à son aise et, inversement, des endroits réservés au calme ; limiter les surstimulations (émissions télé violentes, jeux vidéo intenses) et contrôler le bruit environnant…

La prescription du méthylphénidate a beaucoup augmenté en France dernièrement. Cette molécule est-elle surprescrite ? 

Il y a eu en effet unehausse de sa prescription sur les quinze dernières années, du fait notamment des progrès diagnostiques et de la « mise en avant » du TDAH : classification plus adaptée en tant que trouble du neurodéveloppement dans le DSM- 5, recommandations plus claires de dépistage et de prise en charge (OMS, HAS…). 

Toutefois, le taux de prescription du méthylphénidate étant à l’origine extrêmement bas en France, le niveau de prescription reste très en deçà de celui des pays anglo-saxons et d’autres pays européens, même en tenant compte de ces augmentations. On estime que, dans notre pays, seul un patient ayant un diagnostic de TDAH sur cinq est traité avec ce médicament, ce qui peut être considéré comme une proportion faible.

Le méthylphénidate n’est pas un traitement de première intention. Sont privilégiées en première ligne : la psycho-éducation (informer, expliquer et s’assurer de la bonne compréhension du trouble par l’enfant et la famille), l’adaptation du fonctionnement familial et des capacités éducatives (« habiletés parentales », pour lesquelles il existe des programmes d’entraînement spécifiques), les aménagements scolaires et pédagogiques, la thérapie cognitivo-comportementale dans certains cas.

Lorsque ces thérapies de première intention ne fonctionnent ou ne suffisent pas à opérer un changement et que le retentissement du TDAH est trop important, le méthylphénidate doit être envisagé. 

L’avantage de cette molécule est qu’elle est remarquablement efficace, très rapidement (en quelques jours). Elle est par ailleurs assez bien tolérée, mais demande une surveillance en particulier du poids (une perte d’appétit est possible) et une surveillance cardiovasculaire en cas de facteurs de risque.

Les parents peuvent être réticents (la crainte de « droguer son enfant » est forte, vécue comme une forme de stigmatisation), il peut alors être convenu de faire un essai sur quelques semaines avant d’instaurer le traitement sur le plus long terme. Si le traitement est symptomatique et ne guérit pas le trouble, il n’est pas pour autant à prendre à vie, car une amélioration du trouble est possible avec l’âge (les processus attentionnels de l’enfant se renforcent) et grâce aux mesures non médicamenteuses.

Pour rappel, depuis 2021, la prescription initiale annuelle n’est plus obligatoirement hospitalière. Elle reste réservée aux neurologues, psychiatres ou pédiatres, mais le renouvellement est, lui, possible par tout médecin au cours de l’année, en conformité avec la réglementation des stupéfiants (ordonnance sécurisée, manuscrite, en toutes lettres, mentionnant la pharmacie qui dispensera le traitement et précisant une durée maximale de 28 jours par renouvellement).

Encadre

TDAH : conseils aux parents pour la réalisation des devoirs

Pour éviter l’inattention et la distractibilité :

  • choisir un lieu calme ;
  • contrôler au maximum les distracteurs (bruits, notifications des téléphones, lumières changeantes, proximité des frères et sœurs…) ;
  • si possible, rester à côté de l’enfant ou travailler face à lui ;
  • le faire commencer par le plus facile, poursuivre avec un exercice plus difficile, finir par un exercice simple ;
  • fractionner les tâches et féliciter l’enfant à la fin de chacune ;
  • ne pas mettre toute la liste des devoirs face à l’enfant (cela pourrait lui paraître insurmontable).

Pour gérer l’hyperactivitémotrice :

  • prendre un temps de pause suffisant avant de se mettre aux devoirs ;
  • à chaque pause entre deux tâches, faire des exercices de relaxation (respiration, chant…) ;
  • faire apprendre les leçons debout, en marchant, etc.
Pour en savoir plus
Bonnot O, Ollivier L. « Et si c’était un TDAH ? Paris : Marabout, 224 p.
TDAH France : https://tdah-france.fr
Canadian ADHD Resource Alliance : https://www.caddra.ca/fr/