Ces derniers mois ont vu émerger de nombreuses offres de plateformes de télémédecine, notamment depuis que la règlementation en la matière a évolué. À première vue, ce nouvel outil semble adapté à la psychiatrie, spécialité particulièrement touchée par la difficulté d’accès aux soins. Mais quelles sont ses limites ?

Particularités du contexte français

Un Français sur cinq a été, est ou sera concerné par un trouble psychique au cours de sa vie. Le coût économique et social des troubles mentaux est évalué à 109 milliards d’euros par an1 et les dépenses de santé sont en constante augmentation.
Plusieurs raisons expliquent ces chiffres :
disparités géographiques : malgré une bonne dotation en praticiens (22,8 psychiatres pour 100 000 habitants en France versus 15,5 en moyenne dans l’OCDE),2 leur répartition est très inhomogène sur le territoire. Il en résulte un allongement du délai de consultation, qui avoisine en général les 67 jours pour un 1er rendez-vous (21 en psychiatrie générale et 116 en psychiatrie infanto-juvénile) ;3
stigmatisation des troubles psychiques et non-consultation : 1 Français sur 5 associe les termes « maladie mentale » et « psychiatre » à la folie. Consulter ce thérapeute de son domicile, confortablement installé sur un canapé, est plus facile que franchir la porte d’un cabinet. Cela peut être un premier pas avant la consultation physique ;
retard d’innovation technologique de la France par rapport à ses voisins européens. Moins de 1 % des médecins et des patients utilisent des outils de « e-santé mentale », soit 8 fois moins que dans les autres pays d’Europe ;
L’objectif de la téléconsultation est de favoriser l’accès aux soins, mais aussi de réduire la stigmatisation.

Comment ça marche ?

La télé- ou visioconsultation est une consultation entre un médecin et un patient, qui peut ou non être accompagné par un professionnel de santé, par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication.
Depuis la publication du décret n° 2018-788 du 13 septembre 2018 relatif à la télémédecine,5 la réglementation s’est assouplie : ces actes médicaux sont à présent remboursables par la Sécurité sociale (sur la base de 46,70 €, comme au cabinet). Néanmoins, ils doivent respecter le parcours de soins. Accessible depuis le 15 septembre 2018, la téléconsultation n’est pas là pour remplacer le suivi ambulatoire, mais plutôt pour compléter l’offre de soins. Actuellement, on estime en Europe qu’elle représente 0,4 % des visites médicales : il s’agit d’une évolution des pratiques qui nécessite une éducation.

Quels résultats ?

Bien que le contact physique avec le thérapeute manque, cette pratique semble adaptée à la psychiatrie, puisque l’examen clinique n’est pas nécessaire dans la plupart des cas.
Les preuves de son efficacité sont de plus en plus nombreuses. En 2014, l’équipe de Birgit Wagner (université de Leipzig en Allemagne) l’a testée chez des patients dépressifs, en comparant les effets d’un entretien d’une heure par semaine avec un psychothérapeute en ligne pendant 2 mois versus une consultation classique (en face à face).
Les symptômes se sont améliorés chez 53 % des participants du groupe visioconférence contre 50 % de ceux de l’autre groupe.5 La rencontre « réelle » avec le thérapeute était plus efficace dans les dépressions légères, mais c’était l’inverse pour les formes plus sévères. De plus, l’amélioration a été plus durable chez les patients du premier groupe. Selon les chercheurs, les sujets « connectés » prendraient davantage leur thérapie en main, se focalisant sur les exercices à effectuer et les aspects très concrets du traitement, tandis que ceux qui rencontrent le médecin auraient tendance à entamer des discussions plus générales (météo, actualités…).6
On distingue 2 types de patients :
– ceux déjà suivis par leur psychiatre : ce dernier leur propose d’alterner visites au cabinet et téléconsultations. Les avantages sont multiples : réduire le nombre de déplacements, possibilité de rapprocher le suivi en cas d’urgence, éviter les annulations de rendez-vous (patient qui doit garder son enfant malade au domicile…) et les ruptures de lien (sujet qui part 6 mois en stage à l’étranger) ;
– les « nouveaux » patients, qui seront pris en charge uniquement via la téléconsultation. Il s’agit dans la plupart des cas de personnes qui ne trouvent pas de psychiatre à proximité de leur domicile, qui ont des délais d’attente trop longs, qui requièrent un spécialiste ayant une expertise particulière (thérapie comportementale et cognitive, par exemple), ou bien qui ne peuvent pas se déplacer à cause d’un handicap physique ou mental. Les agoraphobes sont de très bons « clients » ! Pour ces sujets se pose la question de la préservation du lien thérapeutique, qui est la clé du travail en psychiatrie.
Le médecin, même s’il s’entretient avec le patient depuis son domicile, doit respecter la charte déontologique, garder une tenue professionnelle, soigner le décor derrière lui et évidemment ne pas surfer sur internet pendant la consultation ! Il doit aussi rendre facilement accessibles les éléments qui prouvent son sérieux (diplôme, techniques de thérapie…) afin d’aider le patient à se repérer dans la profusion de « spécialistes » plus ou moins fantaisistes qui sévissent sur le web.
Bonne nouvelle : en téléconsultation, le lien thérapeutique se crée aussi ! Sans contact physique bien sûr… mais le patient est dans l’intimité de son domicile, au calme, sans stress. Et visiter virtuellement ce lieu de vie est un élément diagnostique très riche, auquel nous n’avons pas accès au cabinet. Enfin, il est bien plus facile de rencontrer ses proches.

Quelles limites ?

Certaines sont liées à la pathologie : urgence, état délirant aigu, psychose paranoïaque en décompensation, certains épisodes de stress post-traumatique complexes, nécessitent un examen physique.
Un traitement en ligne est également plus difficile à envisager pour les approches qui requièrent une installation particulière, comme la psychanalyse (patient sur un divan) ou certaines thérapies familiales (le médecin observe les interactions entre proches au travers d’un miroir sans tain) ou mère-bébé.
D’autres limites sont liées à la technologie elle-même : patients incapables de se connecter, qui ne sont pas équipés de smartphone ou d’ordinateur, ou qui ne bénéficient pas d’une connexion internet suffisante.
En outre, le professionnel de santé doit se sentir à l’aise et savoir recréer le cadre de la consultation respectant la déontologie et l’éthique inhérentes à son exercice : calme, pièce neutre, bonne connexion, plateforme sécurisée (dont les données de santé sont cryptées et hebergées sur un site agréé e-santé), confidentialité.7
Encadre

Téléconsultation : quelles contre-indications ?

Patients violents, instables ou impulsifs

Avec un risque de suicide immédiat

Avec un risque d’exacerbation des symptômes par l’outil de télécommunication (délire actif centré sur les technologies)

Déficiences auditives, visuelles ou cognitives ne permettant pas une communication cohérente par l’entremise de la technologie

Références
1. Chevreul K, Prigent A, Bourmaud A, Leboyer M, Durand-Zaleski I. The cost of mental disorders in France. Eur Neuropsychopharmacol 2013;23:879-86.
2. OCDE. Indicateurs de la qualité des soins de santé de l’OCDE en 2011. https://bit.ly/2Okv9vD
3. Santé mentale. 67 jours en moyenne pour un 1er rdv en CMP.https://bit.ly/2khPUii
4. DREES. Synthèse des effectifs au 1er janvier 2016. https://bit.ly/2kw8jYU
5. Legifrance. Décret n° 2018-788 du 13 septembre 2018 relatif aux modalités de mise en œuvre des activités de télémédecine. https://bit.ly/2lJEpR9
6. Wagner B. Horn AB, Maercker A. Internet-based versus face-to-face cognitive-behavioral intervention for depression: A randomized controlled non-inferiority trial. J Affect Disord 2014;152-154:113-21.
7. Astruc B. Enjeux et perspectives de la psychiatrie libérale : le développement de la télé-psychiatrie. Annales médico-psychologiques 2019;177:67-70.

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essentiel

La téléconsultation en psychiatrie répond à un réel besoin.

Le lien thérapeutique est créé malgré l’absence de contact physique.

Elle n’est pas là pour remplacer le présentiel mais pour compléter l’offre de soins.

Elle doit être pratiquée dans le respect de la déontologie et de l’éthique inhérentes à l’exercice professionnel.