Utiliser une terminologie commune
Une douleur d’épaule est volontiers due à une tendinite de la coiffe des rotateurs, jusqu’à preuve du contraire. Si cette « tendinite » dure depuis plus de 3 mois, ce n’est probablement pas une banale tendinopathie (terme plus approprié).
On distingue différentes lésions tendineuses : non rompues, on parle alors de tendinopathies ; ou rompues, la rupture pouvant être partielle ou transfixiante (
Ces lésions tendineuses sont dégénératives, elles concernent plus volontiers des patients de plus de 50 ans, ayant une activité manuelle répétitive, bras en l’air ou en avant du plan du corps, a fortiori si le sujet soulève un poids ou fait des gestes répétitifs. Un traumatisme banal, voire une activité prolongée dans une position néfaste pour l’épaule peuvent faire évoluer une tendinopathie non rompue vers une rupture de coiffe. Le traumatisme n’est alors pas la vraie cause de la rupture mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Diagnostic : 3 étapes distinctes
L’examen clinique standardisé chez un patient torse nu2, 3 doit être comparatif, et comporte plusieurs étapes bien codifiées :
– inspection ;
– palpation ;
– mesures des amplitudes passives (en cas de raideur, le reste de l’examen clinique n’est pas contributif et ne modifie pas la prise en charge) ;
– mesures des amplitudes actives ;
– testing analytique des différents tendons de la coiffe des rotateurs ;
– recherche de signes d’instabilité antérieure ou postérieure ;
– examen cervical et neurovasculaire ;
– recherche d’un syndrome du défilé thoracobrachial, entité assez rare
Le bilan radiographique standard (radio de face en rotation neutre, interne et externe + profil de coiffe) est complété si possible par une échographie de bonne qualité (appareil performant et opérateur expérimenté). Mieux vaut ne pas faire d’échographie plutôt qu’un examen de mauvaise qualité.
À ce stade, plusieurs questions
L’épaule est-elle en cause ?
En revanche une douleur qui commence au niveau du moignon de l’épaule avec une irradiation vers le V deltoïdien, fortement influencée par les mouvements et empêchant le patient de se coucher sur le côté pathologique doit faire suspecter la coiffe des rotateurs comme cause potentielle.
Si l’épaule est en cause, est-elle raide ?
Les amplitudes passives s’examinent en position couchée pour l’élévation antérieure passive ; coude au corps, en position couchée ou assise (pour être vraiment comparatif) en ce qui concerne la rotation externe, et en position assise poing dans le dos pour la rotation interne.
La raideur peut être globale et concerner les 3 secteurs, il faut alors assouplir l’épaule. Si les douleurs associées à la raideur prédominent, on doit auparavant soulager correctement le patient.
Une épaule raide, quelle que soit sa cause, rend la suite de l’examen clinique non contributif. Il faut alors passer à la troisième étape (radios ± échographie).
Si l’épaule est souple, y a-t-il perte de force ?
Pas de perte de force (le testing du supra- épineux pouvant être douloureux, voire très douloureux) ; ce tableau rassurant peut correspondre à :
– une coiffe non rompue de type tendinopathie non rompue ;
– une rupture partielle (de tous types,
– une petite rupture transfixiante du supra-épineux, non détectable au test de force manuel.
Dans tous les cas, l’échographie consolide le diagnostic.
Le traitement est toujours médical en première intention. S’il échoue, une réparation du tendon sous arthroscopie est envisagée, mais sans urgence.
La perte de force est soit :
– évidente : épaule pseudoparalytique avec impossibilité de lever le bras contre la pesanteur (
– ou révélée par le testing du ou des tendons concernés qui précise si la rupture touche la coiffe antérieure (sous-scapulaire et tendon du biceps), la coiffe supérieure (supra-épineux) ou la coiffe postérosupérieure (sous-épineux et petit rond), voire s’il y a des associations de ruptures ou encore une rupture de tous les tendons de la coiffe.
Dans ce type de situation et en cas d’échec du traitement médical (douleurs persistantes et épaule souple), la réparation sous arthroscopie est la meilleure option si elle est envisageable avec de bonnes chances de cicatrisation. La décision tient compte de l’avis du patient, de son âge, sa motivation, sa gêne douloureuse en priorité, et bien sûr de l’état des muscles de la coiffe.
Cet état musculaire s’apprécie sur l’arthroscanner, voire l’IRM (examens de seconde intention).4
Une dégénérescence graisseuse musculaire (cotée de 1 à 4) de stade 3 ou 4 (autant, voire plus de graisse que de muscle) contre-indique la réparation (important risque de re-rupture).
Une réflexion sur l’activité professionnelle s’impose, surtout si elle est en cause dans le déclenchement de la pathologie.
Grandes lignes du traitement médical
Bien sûr les conseils d’économie articulaire sont primordiaux (pas de mouvements prolongés et répétitifs au-dessus du niveau des épaules). Il faut demander au patient de coller son coude au corps s’il doit porter un poids. Cette économie articulaire doit être prolongée s’il existe une rupture transfixiante de la coiffe.
En termes de kinésithérapie : éviter la rééducation active si les douleurs sont constantes et en particulier nocturnes, au risque de les aggraver et d’enraidir l’articulation.
Il faut assouplir une épaule enraidie une fois que les douleurs sont correctement contrôlées. Pour cela, le kinésithérapeute utilise des techniques de mobilisation passive, préconise l’automobilisation passive plusieurs fois dans la journée ou les exercices en balnéothérapie en laissant le bras pathologique se faire porter par l’eau.
Notion fondamentale : pas de renforcement musculaire tant que le passif n’a pas été récupéré et pour imager ce propos : « on ne fait pas avancer une voiture tant que le frein à main n’est pas complètement desserré ».
Brève de consult !
Le patient : « Docteur je viens vous voir car j’ai mal à mon épaule droite depuis 3 mois, le Doliprane ne me soulage pas, je commence même à souffrir la nuit. Si je suis gêné comme cela à 55 ans, qu’est-ce que ça va être à 75 ans… »
Le médecin « Êtes-vous tombé ? Avez-vous subi un traumatisme ? »
Le patient : « Non, les douleurs se sont installées progressivement… ».
Le médecin : « Pouvez-vous lever votre bras en l’air ? »
Le patient qui s’exécute : « Oui mais c’est douloureux »
Le médecin : « Vous avez une tendinite de l’épaule, je modifie votre traitement de la douleur et vous allez faire une quinzaine de séances de rééducation de l’épaule ».
Le patient repart avec une ordonnance d’anti-inflammatoires et une prescription : faire pratiquer par un kinésithérapeute 15 séances de massages et de rééducation de l’épaule droite.
Cet échange montre que la première réaction est de banaliser puis de prescrire un traitement symptomatique et des séances de rééducation.
Cette attitude est parfois la bonne, mais elle peut aussi être source de difficultés futures pour l’épaule concernée.
2. Beaudreuil J, Nizard R, Thomas T, et al. Contribution of clinical tests to the diagnosis of rotator cuff disease: a systematic literature review. Joint Bone Spine 2009;76:15-9.
3. Noel E. Quelles sont les manœuvres cliniques pertinentes devant une épaule douloureuse non traumatique ? Réalités en rhumatologie, 24 mars 2010:25-9.
4. Goutallier D, Postel JM, Berbageau J, Lavau L, Voisin MC. Fatty muscle degeneration in cuff ruptures. Pre and postoperative evaluation by CT scan. Clin Orthop Relat Res 1994;304:78-83.