Dans la lutte contre le Covid-19, le gouvernement a fait du dépistage un des outils centraux de la réussite du déconfinement. Comme d’autres dispositifs médicaux et biologiques – masques ou chloroquine –, les tests font l’objet de débats quant à leurs disponibilité, fiabilité, opportunité et finalité. Non propres au Covid-19, ces questions scandent l’histoire de nombreuses maladies (infection à VIH, addictions, cancers, etc.). Ce que confirme de façon plus ostensible la crise actuelle est bien que la science, y compris médicale, est un monde de controverses. La conception et les modes d’utilisation des tests n’y échappent pas. Ils relèvent de décisions aussi bien scientifiques, industrielles, économiques que politiques. Face à l’urgence épidémique, des tests virologiques et sérologiques ont été massivement mis sur le marché. Cela s’est fait dans un temps record, malgré l’accès difficile aux composants nécessaires à leur fabrication. Pour autant, de nombreuses personnes ont été dépistées avec des dispositifs peu fiables, souvent à leurs frais.
En France, les expertises de la HAS et du CNR permettent de faire un premier tri dans l’offre pléthorique d’outils de dépistage. Avec la fin du confinement, il est tout aussi nécessaire d’engager une réflexion sur le sens du dépistage. Ce sens peine encore à s’émanciper de deux types de discours dominants. Le premier confère une finalité principalement épidémiologique aux tests et à l’information qu’ils produisent. En les envisageant comme des instruments de protection de « la » population, ce discours mésestime leurs effets tant sociaux (stigmatisation et isolement des contaminés), politiques (régime d’exception et surveillance sanitaire) que juridiques (atteinte au secret médical ; non-consentement au pistage des personnes contacts). Le second type de discours cède à l’enthousiasme technophile en faisant des tests des solutions « magiques » aux problèmes de responsabilité, de santé et de sécurité que le Covid-19 soulève dans nombre d’organisations. C’est le cas, par exemple, des programmes de tests à grande échelle souhaités par certaines entreprises. L’objectif est alors d’afficher symboliquement une reprise de contrôle de leur fonctionnement.
Centrés sur l’offre de dépistage, ces deux discours ignorent les divers motifs pour lesquels des patients demandent un dépistage à leurs médecins. Si les gestes dits « barrières » limitent la circulation du virus et les contaminations, sans traitement spécifique, pourquoi se faire dépister ? S’agit-il de participer à des enquêtes épidémiologiques ou de se rassurer afin de reprendre le cours d’une vie sociale, familiale et professionnelle ? Ces raisons ne sont pas sans risques potentiels : suspension des gestes barrières, isolement social, traçage plus ou moins consenti de proches.
C’est ici que la parole des médecins est cruciale. Elle peut éclairer, dans le dialogue, les différents enjeux et conséquences du dépistage. Entendre ce que des patients ont à dire sur une épidémie qui les touche, tout en les considérant comme responsables de leur santé, est une des conditions essentielles d’une politique démocratique de dépistage.