Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) se manifeste par des tics moteurs (au moins deux) et vocaux (au moins un) durant au minimum 12 mois, avec un début avant l’âge de 18 ans (
Comment diagnostiquer ?
Les tics ne sont pas des mouvements anormaux au sens strict du terme. Pour être précis, il s’agit plutôt d’un mouvement ou d’une vocalise d’apparence « normale » mais survenant dans un contexte inadéquat, et à une fréquence inadaptée.
Moteurs ou vocaux, ils peuvent être simples ou complexes.2
Dans le premier cas, ce sont par exemple des clignements d’yeux ou des mouvements de la face (moteurs), des raclements de gorge, des reniflements ou toussotements (vocaux).
Dans le second cas, il s’agit par exemple d’enchaînement de mouvements, comme des sautillements, ou du toucher (moteurs), de répétitions de mots (écho- et palilalies) ou de gros mots (coprolalies). À noter que ces dernières, souvent associées de façon stéréotypique au SGT, ne concernent en réalité que 10-15 % des patients, et ne sont aucunement indispensables au diagnostic.
Le diagnostic est purement clinique : on observe le patient et on lui pose des questions sur d’éventuelles sensations prémonitoires précédant les tics. Elles sont généralement vécues comme désagréables, le tic soulageant cet inconfort. Ce dernier peut être réprimé de manière temporaire mais au prix d’un effort (comme réprimer l’envie de se gratter après une piqûre de moustique).
Beaucoup de patients fournissent cet effort quand ils se trouvent en public et, plus particulièrement, quand ils sont entourés de personnes non familières, par exemple lors d’une consultation, et surtout d’une primoconsultation ! Ainsi, il est essentiel de leur faire confiance même si l’observation est pauvre (tics rares et/ou discrets). Si besoin, une vidéo par smartphone peut être enregistrée à la maison et visionnée lors de la consultation.
Les examens complémentaires sont généralement inutiles pour confirmer le diagnostic. En revanche, ils peuvent être nécessaires pour écarter certains diagnostics différentiels (
Mais, ces cas sont extrêmement rares et peuvent généralement attendre une consultation spécialisée.
La prévalence du SGT chez les mineurs serait de 0,5 à 1 %.3 Néanmoins, la sévérité des tics est très variable dans le temps et chez le même sujet en fonction des phases, ce qui ne rend leur repérage parfois difficile. Par ailleurs, comme mentionné plus haut, les tics « se cachent » souvent en public et ne se révèlent que dans le cadre privé/familial. Pour les adultes, il est difficile de donner des chiffres précis.
On estime que deux tiers des personnes ayant des tics durant l’enfance/l’adolescence sont en rémission une fois l’âge adulte atteint.
Ces chiffres sont hélàs assez anciens et obtenus sur de petites cohortes.4
Dans un avenir proche, des études longitudinales (et des effectifs plus importants) devraient permettre de préciser ces données et de mieux comprendre les raisons des améliorations, voire des guérisons spontanées.
Comorbidités psychiatriques : fréquentes
Le syndrome de Gilles de la Tourette n’est pas forcément une maladie dramatique caractérisée par des tics sévères, en particulier des coprolalies, et accompagnés de comportements bizarres ou étranges (ce que l’on peut appeler le Tourette YouTube).
Cependant, les troubles associés ou comorbidités psychiatriques sont fréquents (environ 85-90 % des patients) et entravent bien souvent la qualité de vie (plus que les tics à proprement parler).5
Chez l’enfant, le plus fréquent est le trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H).
Chez l’adulte, il s’agit majoritairementdes troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
On observe volontiers des troubles du comportement, comme une intolérance à la frustration, une impulsivité et des crises de rage qui se situent à la frontière entre SGT, TDA/H et manifestations psychiques de la puberté.
Enfin, les troubles de l’humeur (syndromes anxiodépressifs) sont à prendre en compte, résultant souvent de la stigmatisation sociale.
Dans tous ces cas, au-delà de la prise en charge neurologique, l’aide et l’expertise de collègues psychiatres et pédo- psychiatres sont essentielles.
En ce sens, le syndrome de Gilles de la Tourette requiert une approche multidisciplinaire et collégiale.
Quand et comment traiter ?
Quatre critères fondent la décision :6
– les tics engendrent des problèmes sociaux (isolement social, moqueries) ;
– les conséquences émotionnelles sont importantes (syndrome dépressif réactionnel, phobie sociale) ;
– ils retentissent dans la vie de tous les jours (lecture, écriture, fatigue) ;
– ils provoquent douleurs, blessures ou incapacité physique.
Ces conditions peuvent bien sûr coexister. Il faut aussi évaluer l’opinion des patients ou de leur famille (dans le cas de mineurs) vis-à-vis des diverses modalités de traitements, leurs avantages et leurs inconvénients.
Expliquer, rassurer et conseiller
Expliquer : le SGT n’est pas la maladie un peu (ou très) caricaturale souvent décrite dans les médias ; la sévérité des tics fluctue dans le temps et entre patients.
Rassurer : les tics n’empêchent pas de vivre, de se socialiser, de travailler ; ils ont généralement tendance à diminuer de manière spontanée et significative à l’âge adulte.
Conseiller : en informer les personnes côtoyées en classe (camarades et enseignants) ou les collègues de travail afin d’éviter les malentendus et désamorcer les conflits potentiels ; être bienveillant et tenter, au mieux, d’ignorer les tics de son enfant ou de son conjoint. Il ne s’agit ici que d’exemples qui aident souvent à atténuer l’angoisse des patients et des proches.
Cette attitude (appelée psychoeducation dans le monde anglo-saxon) est une modalité de traitement à part entière.
Approches spécifiques
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont considérées aujourd’hui comme l’option de première intention (
Mais le coût financier (les psychothérapies sont généralement non remboursées par la Sécurité sociale) et le nombre restreint de thérapeutes formés à ces techniques en limitent l’accès. En outre, la motivation des patients est essentielle afin que ces thérapies soient efficaces, ce qui est souvent un facteur limitant.
En alternative ou en complément, on peut prescrire un traitement pharmacologique (
Molécule de choix : l’aripiprazole, est débutée à 1 mg en solution buvable le soir, à augmenter de 1 mg par mois si besoin, pour les adultes et les enfants, sans dépasser 5 mg/j, sauf exceptions. Objectif : réduire la fréquence des tics de 80 à 50 %. La tolérance est généralement bonne, mais la sédation et les effets métaboliques (prise de poids) sont bien sûr à surveiller. En revanche, le risque de syndrome akinétorigide (parkinsonien) ou de dyskinésies est extrêmement faible, aussi et surtout chez les mineurs.
Pour les tics isolés (par exemple de la nuque avec risque de douleurs musculaires chroniques), la toxine botulique est intéressante. On peut l’injecter dans les cordes vocales pour les tics vocaux sévères (cris, coprolalies).
Enfin, la stimulation cérébrale profonde est réservée aux cas les plus sévères, résistant aux autres traitements. Cette approche est expérimentale du fait du faible nombre de patients l’ayant testée, sans consensus international – pour l’instant – concernant les cibles cérébrales et les résultats à court et à long terme. Néanmoins, elle est un réel espoir et mérite d’être explorée si besoin.
1. Critères DSM-5 du SGT
Début avant l’âge de 18 ans.
Présence de tics moteurs multiples.
Au moins un tic vocal à un moment quelconque de l’évolution (pas nécessairement simultanément aux tics moteurs).
Les tics surviennent à de nombreuses reprises au cours de la journée, presque tous les jours ou de façon intermittente pendant plus d’une année.
Ils ne sont pas dus aux effets d’une substance (cocaïne par exemple) ou à une autre affection (maladie de Huntington, encéphalite virale).
2. Diagnostics différentiels
• Myoclonies
• Dystonie
• Chorée
• Dyskinésies paroxystiques
• Hémiballisme
• Spasmes hémifaciaux
• Stéréotypies
• Maniérismes
• Compulsions
• Akathisie
• Syndrome des jambes sans repos
• Épilepsie
• Tics « fonctionnels »
3. TCC : une intervention comportementale et éducative
La théorie d’inversion des habitudes (TIH) implique d’avoir conscience du trouble – le tic et sa sensation prémonitoire – pour lui opposer une réaction inhibitrice. Le patient doit identifier tous ses tics en détails, l’endroit où ils surviennent dans son corps et même quels muscles sont impliqués.
Dans un second temps, il désigne le plus handicapant (un seul est ciblé à chaque fois). Le thérapeute intervient alors pour l’aider à prendre conscience du moment où ce tic est sur le point de survenir. Le sujet doit apporter une réponse compétitive pour empêcher l’arrivée de ce tic : elle est dite concurrentielle unique ou mouvement antagoniste.
L’individu apprend à empêcher l’apparition du tic dès que la sensation prémonitoire est identifiable, par un mouvement précis. Ce dernier ne doit pas ressembler au tic ni gêner le patient dans son activité. L’idéal est d’autonomiser le sujet dans cet exercice automatique pour qu’il puisse se consacrer aux activités de son quotidien.
Principale limite d’application : l’âge du patient, qui n’a pas conscience de la sensation prémonitoire avant 10 ans en moyenne. Cette technique s’intègre dans un programme plus vaste composé de plusieurs éléments contribuant à de meilleures compréhension et gestion de la maladie (psychoéducation et intervention fonctionnelle aidant le patient à identifier les situations à risque de tics et à les diminuer).
Autre thérapie, l’exposition avec prévention de la réponse (EPR) repose sur le principe suivant : on « soumet » l’individu à la sensation prémonitoire au tic et on évalue sa capacité à ne pas le réaliser pendant le plus longtemps possible. Cette durée va croissante au fur et à mesure du suivi. Cette approche favorise l’habituation du sujet à la sensation prémonitoire, et en diminue l’intensité perçue. Elle serait davantage indiquée chez les sujets ayant de nombreux tics, d’où son application dans le SGT.
4. Que dire à vos patients
Cette maladie n’est pas le trouble, volontiers caricatural, présenté par les médias et les réseaux sociaux.
Le SGT n’est pas synonyme de déscolarisation ni de désocialisation.
Le pronostic des tics est favorable au sens où une amélioration très nette, voire un arrêt, peut être constatée à l’âge adulte.
Si les tics nécessitent d’être traités, de nombreuses solutions existent, allant de psychothérapies comportementales aux médicaments, jusqu’à la chirurgie.
1. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5th ed. Washington, DC: American Psychiatric Association; 2013.
2. Hartmann A, Deniau E, Czernecki C, et al. Tics et syndrome de Gilles de la Tourette. EMC (Elsevier Masson) Neurologie 2017;15:1-12 [17-059-C-10].
3. Scharf JM, Miller LL, Gauvin CA, Alabiso J, Mathews CA, Ben-Shlomo Y. Population prevalence of Tourette syndrome: a systematic review and meta-analysis. Mov Disord 2015;30:221-8.
4. Leckman JF, Zhang H, Vitale A, et al. Course of tic severity in Tourette syndrome: the first two decades. Pediatrics 1998;102(1 Pt1):14-9.
5. Hirschtritt ME, Lee PC, Pauls DL, et al. Lifetime prevalence, age of risk, and genetic relationships of comorbid psychiatric disorders in Tourette syndrome. JAMA Psychiatry 2015;72:325-33.
6. Hartmann A, Martino D, Murphy T. Gilles de la Tourette syndrome - A treatable condition ? Rev Neurol (Paris) 2016;172:446-54.
7. Czernecki V, Behar C, Negovanska V, Hartmann A. Thérapies cognitivo-comportementales dans le traitement des tics et du syndrome de Gilles de La Tourette. In: Holzer L, ed. Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Une approche basée sur les preuves. Paris: De Boeck- Solal; 2014: 121-42.
LIENS UTILES
– Association française du syndrome de Gilles de la Tourette (AFSGT) : https://www.france-tourette.org
– Centre de référence « Syndrome Gilles de la Tourette » : http://pitiesalpetriere.aphp.fr/tourette
– Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) pour le syndrome de Gilles de la Tourette : https://bit.ly/2OsJh7y
– European Society for the Study of Tourette Syndrome (ESSTS) : https://www.essts.org