La maladie rénale chronique (MRC) aux stades avancés n’est pas toujours prise en charge par une dialyse. Depuis 2015 et les recommandations KIDGO (Kidney Disease : Improving Global Outcomes) notamment, le traitement dit « conservateur » est une option thérapeutique au même titre que la dialyse ou la transplantation pour les personnes atteintes de MRC au stade 5 (soit un DFGe < 15 mL/min/1,73 m2).
Dans ce cadre, la Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT) a constitué un groupe de travail afin de proposer un guide pratique sur cette prise en charge. Loin d’être une approche assimilable aux seuls soins palliatifs ou aux seuls traitements symptomatiques, elle intègre la prévention et le traitement des complications (notamment les symptômes urémiques) – avec le souci particulier d’éviter la polymédication et d’adapter les posologies à l’excrétion rénale – et l’accompagnement global au patient (gériatrique, nutritionnel, psychosocial…) et à ses proches/aidants sur un temps qui peut être long (quelques mois à plusieurs années).
Un traitement conservateur n’est pas synonyme de renoncement aux soins, bien au contraire : il demande un parcours de soins personnalisé et coordonné impliquant équipe néphrologique, médecin traitant, équipe de soins palliatifs, de soins de support multidisciplinaires, famille et aidants, etc.
La relation ville-hôpital étant au centre de cette prise en charge, le médecin généraliste en est un maillon fondamental. Il est sollicité pour la prise de décisions, aide au maintien à domicile (objectif principal de cette prise en charge) et à la mise en place des moyens adaptés dans l’environnement de proximité, participe à l’évaluation clinique et la prise en charge des symptômes (v. ci-dessous), aide à la rédaction des directives anticipées, etc.
Pour quels patients ?
Le choix du traitement conservateur est fait dans le cadre d’une décision partagée avec le patient : quel que soit l’âge de ce dernier, cette option et ses implications lui sont exposées clairement, au même titre que celles de la suppléance.
Selon les recommandations KDIGO 2015, le traitement conservateur est a priori indiqué dans les circonstances suivantes :
- espérance de vie < à 3 à 6 mois ;
- anticipation d’une intolérance au traitement par dialyse ;
- choix de la personne atteinte de MRC après information adaptée et décision partagée.
Principaux symptômes et leur prise en charge
La SFNDT propose une liste non exhaustive des symptômes régulièrement rapportés par les patients ayant une MRC stade 5, des moyens de les jauger et des propositions thérapeutiques, dans une optique d’évaluer la prescription globale et limiter le nombre de traitements pharmacologiques en accord avec le patient (« déprescription » raisonnée, en fonction des bénéfices et des effets indésirables constatés).
Prurit
Touchant jusqu’à 40 % des patients atteints de MRC (sévère dans 20 % des cas), il est responsable d’une baisse importante de la qualité de vie, de troubles du sommeil ou dépressifs.
Privilégier les traitements locaux : émollients, de préférence hypoallergéniques, à appliquer plusieurs fois par jour et le soir avant le coucher ; non remboursés, à l’exception des préparations magistrales avec glycérine/paraffine/vaseline, du cérat de Galien ou cold cream.
Les traitements per os qui ont fait leurs preuves sont :
- Gabapentine : 100 à 300 mg toutes les 48 h ; débutée à 100 mg et augmentée progressivement en fonction de la réponse.
- Prégabaline : 25 mg en 1 prise le soir à augmenter progressivement, avec une dose maximale de 75 mg par 24 h.
- Montélukast : 10 mg par jour.
- Les agonistes sélectifs des récepteurs opioïdes pourraient avoir une place mais ne sont pas disponibles pour le moment.
Autres approches potentiellement intéressantes : photothérapie, acupuncture. Le zinc, le curcuma ou la capsaïcine ont prouvé une certaine efficacité (méta-analyse Cochrane), mais ne sont pas remboursés à l’heure actuelle.
La prise en charge des troubles du métabolisme phosphocalcique et/ou du bilan martial n’ont pas prouvé leur efficacité. Les antihistaminiques ne sont pas recommandés.
Troubles du sommeil et SJSR
L’évaluation des troubles et de leur retentissement peut être faite grâce à des questionnaires tels que l’index de qualité du sommeil de Pittsburgh. Elle doit prendre en compte d’autres facteurs pouvant altérer le sommeil (prurit, douleurs, dyspnée de décubitus, prise de certains traitements – ISRS, corticostéroïdes, etc. – ou de toxiques…) afin de les prendre en charge.
Les mesures d’hygiène de sommeil sont le pilier de la prise en charge. Des fiches-patient « Hygiène du sommeil » et « Contrôle du stimulus » ont été élaborés par l’hôpital Bichat à cet effet. TCC et relaxation sont aussi recommandées. Les traitements médicamenteux doivent être limités (risques d’effets secondaires).
Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est particulièrement fréquent chez ces patients, avec un impact sur la qualité de vie (troubles du sommeil, dépression…). Le SJSR appelle les mêmes mesures d’hygiène de sommeil, avec en particulier la réalisation d’un exercice physique diurne de type aérobie (de faible intensité et prolongé : exercice d’endurance).
La prise en charge pharmacologique repose sur la recherche et le traitement d’une carence martiale, même sans anémie (per os si bonne tolérance digestive ou par voie IV pour éviter la polymédication). Les agonistes de la dopamine sont également proposés : ropinirole 0,25 mg/jour ou rotigotine (en France, seuls les timbres de 2 mg/24 h sont commercialisés), mais les effets secondaires en limitent la prescription (nausées, somnolence, syncopes, hallucinations, hypotensions). La gabapentine a aussi été proposée (v. plus haut la posologie utilisée pour le prurit).
Nausées et vomissements
Ces symptômes font partie du syndrome urémique et s’accompagnent souvent d’une anorexie, voire d’une dénutrition. Une prise en charge est nécessaire s’ils sont difficiles à supporter ou ont un impact sur l’état nutritionnel.
Propositions non pharmacologiques : identifier avec l’entourage les aliments les plus responsables de nausées, les médicaments pouvant les favoriser, etc. Conseils : privilégier les aliments moins riches (en graisses ou sucres) ; éviter les odeurs artificielles ; manger lentement, plus souvent et en moindre quantité ; fractionner les repas ; vérifier l’hygiène buccale, voire recourir aux bains de bouche ; lutter contre la constipation.
Traitements pharmacologiques : ondansétron 4 à 8 mg par prise selon besoin (maximum 3 fois par jour). En 2e ligne : métoclopramide 2,5 mg/4 h. En 3e ligne : olanzapine 2,5 mg 3 fois par jour ou halopéridol 0,5 mg à augmenter progressivement jusqu’à 2 mg 3 fois par jour.
##Fatigue
Il s’agit du symptôme le plus fréquent (> 70 %), souvent d’origine multifactorielle. Son évaluation peut être effectuée grâce à des échelles de qualité de vie telles que le questionnaire SF-36, le questionnaire spécifique Kidney Disease Quality of Life (adapté en langue française) ou d’autres questionnaires d’évaluation de la fatigue en contexte de MRC.
Outre la prise en charge des divers symptômes concourant à la fatigue (troubles du sommeil, douleurs, prurit, sarcopénie, etc.), une attention particulière doit être portée à celle de l’anémie.
Douleur
Symptôme très fréquent, responsable d’une altération de la qualité de vie, d’une limitation de la mobilisation, de troubles du sommeil, de dépression et/ou anxiété, la douleur est d’autant plus problématique lorsqu’elle est chronique (essentiellement d’origine musculosquelettique).
Elle doit être évaluée de façon répétée, avec une recherche de ses origines pour mettre en place un traitement spécifique (v. encadré).
La prise charge doit être multidisciplinaire (rhumatologue, gériatre, médecin de la douleur), et son volet non pharmacologique est essentiel : exercice physique, kinésithérapie de mobilisation, éventuellement massages thérapeutiques et suivi psychologique.
Traitements pharmacologiques : mêmes molécules qu’en population générale, avec davantage de risques d’effets secondaires. Les traitements locaux sont à privilégier s’ils sont adaptés : lidocaïne timbre de 700 mg, ou les timbres ou crèmes d’anti-inflammatoires. Le paracétamol peut, voire doit toujours être associé (limiter le recours aux formes effervescentes souvent riches en sodium).
Anxiété et dépression
Une prise en charge non pharmacologique par l’équipe de psychologie ou de psychiatrie est recommandée. Le recours aux antidépresseurs doit être limité (pas de supériorité démontrée contre placebo dans cette population particulière ; or les effets secondaires sont importants : nausées, maux de tête, insomnie, sécheresse buccale, risque de chute) ; si nécessaire, privilégier les ISRS, et préférer ceux qui n’allongent pas le QT (fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine, sertraline), en essayant de débuter toujours par la plus faible dose et en réévaluant les effets. Les anxiolytiques ne doivent pas être utilisés en 1re intention du fait des effets secondaires.
Gérer la surcharge hydrosodée
L’évaluation de la surcharge hydrosodée doit être systématique à chaque visite, afin d’éviter les situations de surcharge hydrosodée avec œdème aigu pulmonaire (OAP). La prise en charge repose sur :
- la restriction sodée : chez les sujets âgés, elle ne doit être proposée qu’en l’absence de fragilité (risque majeur de dénutrition). Une évaluation diététique est utile, notamment pour dépister la consommation de sel caché ;
- l’utilisation des diurétiques : il est possible d’augmenter les doses, de fractionner les prises si besoin, et d’associer les différents diurétiques.
Une information sur les signes d’OAP doit être donnée aux patients et aidants.
Enfin, la SFNDT rappelle que cette prise en charge conservatrice des patients atteints de MRC stade 5 inclut aussi un accompagnement psychologique, social, gériatrique, nutritionnel, dont le médecin traitant est également un pivot.
Traitement de la douleur
Le traitement dépend du type de douleur (bien que les mécanismes soient souvent intriqués) :
- Douleurs neuropathiques :
– gabapentine (v. posologie précédemment plus haut) ou carbamazépine 100 mg (comprime à LP sécable de 200 mg) 2 fois par jour, existe aussi en gouttes, forme non LP 20 mg/mL soit 5 mL, 2 ou 3 par jour ;
– opioïdes : l’hydromorphone serait à privilégier (absence de métabolites actifs et des moins d’effets secondaires) ; 4 mg d’hydromorphone équivalent à 30 mg de sulfate de morphine. La voie transdermique est également intéressante mais doit être évitée en 1re intention. De nouvelles formulations orales moins dosées et en gouttes permettent de débuter par de très faibles doses et de vérifier la tolérance : utile pour personnes âgées fragiles (ex. : sulfate de morphine 10 mg/5 mL avec posologie de départ à 1 mg 2 à 3 fois par jour).
Attention au risque d’accumulation, surtout avec la voie transdermique pourtant utile. Il convient de débuter par de faibles doses et d’évaluer régulièrement les bénéfices et les effets secondaires de ces traitements.
- Douleurs nociceptives :
– des cures courtes (2 ou 3 jours) d’AINS sont possibles en l’absence de contre-indication particulière (traitement par anticoagulant, insuffisance cardiaque…) ;
– à utiliser avec précaution : codéine et tramadol (fort risque d’accumulation et d’effets secondaires) ;
– les opioïdes peuvent être envisagé (v. plus haut).