En France, l’ostéoporose post-­ménopausique, qui est la forme clinique la plus commune de l’ostéoporose, touche près de 5 millions de femmes, soit 1 femme sur 3 après 50 ans. Il s’agit d’une affection grave par ses complications fracturaires, et coûteuse (coût global estimé en 2016 à 4,8 milliards d’euros). Le traitement hormonal de la ménopause (THM) a été pendant longtemps l’option thérapeutique de première intention pour la prévention de cette pathologie. L’émergence et la diffusion de l’ostéodensitométrie au début des années 1990 avaient permis d’objectiver l’impact de la carence estrogénique de la ménopause sur la perte osseuse et de promouvoir l’efficacité préventive du THM. Les années 1990-2000 ont ainsi représenté l’âge d’or du THM, et en France près de 50 à 60 % des femmes en début de ménopause étaient alors traitées, dont près de 45 % pour la prévention de l’ostéoporose.
En juillet 2002, la publication des résultats de l’étude WHI1 a représenté un véritable tsunami pour la prise en charge hormonale de la ménopause. Cette étude randomisée réalisée chez plus 16 000 femmes ménopausées témoignait d’un impact négatif du THM, en particulier en raison d’une augmentation du risque de cancer du sein mais, surtout, des accidents cardiovasculaires, coronariens, des accidents vasculaires cérébraux, des thromboses veineuses ou des embolies pulmonaires. Au plan osseux, elle apportait en revanche la preuve irréfutable et définitive de l’efficacité antifracturaire du THM.2 Néanmoins, face à la déferlante médiatique qui a suivi la publication de ces résultats, le bénéfice osseux a largement été occulté face à l’augmentation des risques mammaires et cardiovas­culaires. Les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de janvier 2006 pour la prévention de l’ostéoporose3 soulignent que le THM ne peut être indiqué que s’il existe des troubles climatériques, la durée de la prescription devant être la plus courte possible en fonction de ces troubles ou en cas d’intolérance ou d'inefficacité des autres traitements de l’ostéoporose. De fait, l’utilisation du THM s’est effondrée dans les années qui ont suivi, avec une diminution globalement en France à ce jour de près de 80 % du nombre de femmes traitées.
On peut donc légitimement s’interroger sur les conséquences de cette diminution pour la prise en charge des femmes à la ménopause et en particulier pour la prévention de l’ostéoporose. C’est d’autant plus important que les ré-analyses de l’étude WHI tout comme différents essais randomisés ultérieurs ont remis en cause la validité externe des résultats initiaux de la WHI, notamment pour les femmes en début de ménopause. Pour celles âgées de 50-59 ans, il est actuellement clair que la balance bénéfices-risques du THM est largement positive,4 ce qui est notamment étayé par une réduction significative de la mortalité toutes causes confondues chez les femmes traitées comparativement à celles ayant reçu un placebo.5 Néanmoins, la faible diffusion de ces données pourtant essentielles n’a pas modifié la perception du THM, et actuellement, en France, moins de 10 % des femmes ménopausées sont traitées.
Rappelons que le tissu osseux est un tissu fortement estrogéno-­dépendant. Les estrogènes jouent un rôle majeur dans la constitution puis le maintien du capital minéral osseux tout au long de la vie. À la ménopause, la carence en estrogènes a pour principale conséquence une augmentation des activités cellulaires de résorption et de formation osseuse, avec un déficit relatif de la formation osseuse qui est insuffisante à compenser l’hyper-résorption. Il en résulte un phénomène de perte osseuse rapide qui concerne l’ensemble du squelette, bien que selon des cinétiques et une importance variables selon les femmes. Outre la diminution de la densité minérale osseuse, l’hyper-­remodelage osseux induit des altérations de la micro-architecture osseuse, avec une désorganisation, un amincissement et une rupture des travées osseuses qui contribuent de manière indépendante à la fragilisation du squelette. Toutes ces perturbations sont plus marquées pour l’os trabéculaire (vertèbres, extrémité inférieure du radius, côtes) qui est le plus sensible aux variations hormonales du début de la ménopause.
Les estrogènes ont largement fait la preuve de leur efficacité pour prévenir ces deux phénomènes de perte osseuse6 et de dégradation micro-­architecturale tout comme pour diminuer l’incidence des fractures ostéoporotiques à tous les sites osseux (v. tableau). Le THM réduit de 40 % le risque de fracture vertébrale, de 30 % celui de fracture fémorale et de 20 à 30 % le risque de toutes les fractures ostéoporotiques par rapport au traitement par calcium et vitamine D. Cet effet est plus important avant 60 ans qu’après cet âge. Il faut souligner, de plus, que le THM est à ce jour le seul traitement qui a fait la preuve de son efficacité chez des femmes à faible risque de fracture.2
Il est donc logique de supposer qu’une moindre utilisation du THM en début de ménopause ne peut avoir pour conséquence qu’une augmentation de l’incidence des fractures ostéoporotiques. Aux États-Unis, une grande étude épidémiologique7 ­réalisée sur plus de 1 million de femmes rapporte une augmentation significative de l’incidence des fractures entre la période pré- (2000-2002) et post-WHI (2003-2005) chez des femmes de 40 à 69 ans. L’augmentation la plus importante concerne les fractures du poignet, avec une majoration de 44 % de leur incidence ajustée pour l’âge entre 2004 et 2005 par rapport à la période de référence. Même si cette étude n’est pas exempte de biais, l’augmentation du nombre des fractures observées doit être rapprochée de la baisse importante du nombre de femmes recevant un THM dans les années post-WHI. Et d’autant que, dans le même temps, le dépistage de l’ostéoporose avait progressé, tout comme la disponibilité des autres traitements, facteurs de nature, en principe, à ­diminuer l’incidence fracturaire.
En France, nous manquons de données pour étayer une telle évolution même si les données les plus récentes montrent une augmentation de l’incidence des fractures du col fémoral. Néanmoins, cette augmen­tation s’inscrit également dans un contexte plus global prenant en compte le recul du dépistage de ­l’ostéoporose (diminution de 7 % par an depuis 2007 du nombre des examens d’ostéodensitométrie) et la baisse globale des prescriptions des traitements de l’ostéoporose, et notamment des bisphosphonates. La médiatisation de certains de leurs effets secondaires rares (ostéonécrose de la mâchoire, fracture atypique du fémur…) ont biaisé les messages tout autant qu’ils tendent également à minimiser la nature de la maladie (l’ostéoporose est une maladie « normale » du vieillissement), son retentissement réel et l’intérêt de l’évaluation du risque et des traitements.
Bien sûr, il n’est pas question de revenir à la situation du début des années 1990 et de prescrire systématiquement le THM à toutes les femmes ménopausées. Néanmoins, à ce jour, l’ostéoporose post-ménopausique est une pathologie fréquente, chronique, avec un risque de fracture qui ne fait qu’augmenter avec l’âge. Le THM doit donc avant tout être envisagé comme la première étape d’une stratégie de prévention à long terme du risque fracturaire pour les femmes qui aborderaient leur ménopause avec déjà un risque majoré d’ostéoporose.8 Il peut être souligné que l’intérêt même de cette évaluation du risque fracturaire en début de ménopause reste discutée. Elle est de plus rendue difficile à cet âge par le fait que la sensibilité et surtout la spécificité des facteurs cliniques de risque de fracture à prédire une baisse de la densité minérale osseuse (DMO) sont faibles, inférieures à 50 %. Seule la mesure de la DMO par absorptiométrie biphotonique à rayons X (DXA)9 peut réellement permettre d’identifier les femmes qui débuteraient leur ménopause avec déjà une diminution de leur capital osseux, donc un plus grand risque d’évolution vers l’ostéoporose. Et ce n’est pas sans soulever la question du remboursement de cet examen, qui est sous-tendue par la présence de ces facteurs cliniques de risque… Si l’intérêt de la mesure de la DMO ne se discute pas en leur présence, elle nous paraît devoir être recommandée au cas par cas, lorsque la connaissance du niveau individuel de DMO est susceptible de modifier la prise en charge globale de la ménopause (risque cardiovasculaire, risque mammaire, troubles fonctionnels, qualité de vie) et notamment par le THM.
Dans tous les cas, l’intérêt de ce traitement est avant tout de permettre une véritable prévention primaire de la perte osseuse et des anomalies micro-architecturales du début de la ménopause plus que la réduction d’un risque fracturaire qui est encore modéré chez les femmes les plus jeunes. Compte tenu de la variabilité interindividuelle de la réponse osseuse aux estrogènes tout comme d’un effet-dose spécifique et propre à chaque tissu, il n’est pas possible de recommander une dose standard unique permettant à la fois la prévention de la perte osseuse et une tolérance clinique et mammaire optimale pour toutes les femmes. La réévaluation régulière de la réponse osseuse et de la balance bénéfices-risques du THM sous-tend sa poursuite pour une efficacité anti­fracturaire qui est démontrée pour 5 ans de traitement. Au-delà de cette durée, c’est avant tout la balance ­bénéfices-risques du THM qui conditionne les possibilités de le poursuivre en opposant le risque de cancer du sein propre à chaque femme et les bénéfices potentiels en termes de qualité de vie. Chaque fois que nécessaire, il sera alors possible d’envisager un relais avec les autres traitements de l’ostéoporose pour les femmes les plus à risque de fracture lorsque la durée du THM est jugée suffisante et/ou la balance bénéfices-risques moins favorable qu’en début de méno­pause.10 
Références
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2. Cauley JA, Robbins J, Chen Z, et al. Effects of estrogen plus progestin on risk of fracture and bone mineral density: the Women’s Health Initiative randomized trial. JAMA 2003;290:1729-38.
3. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Traitement médicamenteux de l’ostéoporose post-ménopausique. Afssaps, actualisation janvier 2006. www.ansm.sante.fr
4. Baber RJ, Panay N, Fenton A for the IMS writing group. 2016 IMS Recommendations on women’s midlife health and menopause hormone therapy. Climacteric 2016;19:109-50.
5. Manson JE, Aragaki AK, Rossouw JE, et al. Menopausal hormone therapy and long-term all-cause and cause-specific mortality: the Women’s Health Initiative randomized trials. JAMA 2017;318:927-38.
6. Wells G, Tugwell P, Shea B, et al. Meta-analysis of the efficacy of hormone replacement therapy in treating and preventing osteoporosis in postmenopausal women. Endocr Rev 2002;23:529-39.
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8. Rozenberg S, Al-Daghri N, Aubertin-Leheudre M, et al. Is there a role for menopausal hormone therapy in the management of postmenopausal osteoporosis? Osteoporos Int 2020;31:2271-86.
9. Trémollières FA, Pouilles J-M, Drewniak N, Laparra J, Ribot CA, Dargent-Molina P. Fracture risk prediction using BMD and clinical risk factors in early postmenopausal women: sensitivity of the WHO FRAX tool. J Bone Miner Res 2010;25:1002-9.
10. Trémollières F, Pouilles JM, Ribot C. Proposition d’une stratégie de prévention du risque fracturaire en début de ménopause. Gyn Obstet Reprod 2009;37:50-6.