Les signalements d’abus et de dépendance avec le tramadol, en particulier dans des contextes de mésusage ou d’usage détourné, sont en augmentation depuis plusieurs années, d’après le réseau des centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A).
Le tramadol, antalgique opioïde le plus prescrit en France, est utilisé dans le traitement de certaines douleurs modérées et sévères. Comme tous les autres opioïdes, il peut exposer à des risques d’abus, de mauvais usage, de dépendance et de surdosage, particulièrement lorsqu’il est mal utilisé – à des doses supérieures à celles recommandées ou sur une durée prolongée ou en dehors de ses indications – mais aussi lorsqu’il est pris aux doses recommandées et/ou sur une courte période.
Si l’épidémie d’abus d’opioïdes n’est pas, en France, au même niveau que celui constaté aux États-Unis – où plus de 80 000 décès en 2021 ont été imputés à des surdosages d’opioïdes –, les autorités sanitaires prennent des mesures pour prévenir ces risques. En 2020, l’ANSM a restreint la durée de prescription à 12 semaines. En 2022, la HAS a publié de nouvelles recos détaillant les indications et la conduite à tenir en fonction de chaque situation clinique (type de douleur et de patient), et un guide à destination des patients pour prévenir le risque de surdose.
En 2023, l’ANSM a demandé aux laboratoires qui commercialisent ces médicaments de mettre à disposition des boîtes de 10 ou 15 comprimés ou gélules, adaptées aux traitements de courte durée : cette mesure est désormais en vigueur ; les conditionnement plus importants, adaptés à des traitements de plus longue durée, restent disponibles.
Diminuer le nombre de comprimés dans les boîtes vise à réduire le risque d’utilisation prolongée, et donc d’abus et de dépendance. La dépendance au tramadol peut en effet entraîner des symptômes de sevrage en cas d’arrêt brutal (nervosité, agitation, anxiété, insomnie, tremblements, sudation, diarrhée), ce qui peut conduire un patient à prolonger sa prise alors qu’il n’a plus de douleur ou que celle-ci est d’intensité légère.
De plus, cette mesure limite également les possibilités de stockage familial, donc de risques d’usage détourné pour les proches.
Rappels pour les prescripteurs
Le tramadol est indiqué uniquement dans le traitement des douleurs modérées à intenses :
- douleurs aiguës sévères (score à l’échelle numérique [EN] ≥ 6/10), en l’absence de traitement étiologique : peut être prescrit en 1re intention, mais en 2e intention (soit après échec des antalgiques non opioïdes : paracétamol, AINS) dans les douleurs dentaires, la lombalgie aiguë, les traumatismes simples du rachis (contractures musculaires, « coup du lapin ») et distaux des membres (entorses ou blessures mineures sans signes de lésions tissulaires), la colique néphrétique ;
- douleurs aiguës modérées (4 ≤ EN < 6) : peut être proposé en 2e intention, en l’absence d’amélioration sous antalgiques non opioïdes ;
- certaines douleurs chroniques non cancéreuses (lombalgie/lomboradiculalgie, arthrose, neuropathies et autres maladies évolutives, telles que maladies neurodégénératives, situations palliatives évoluées non liées au cancer…) : peut être envisagé en dernière intention, lorsque l’ensemble des autres propositions thérapeutiques, médicamenteuses ou non, ont été essayées. Il n’est pas recommandé dans les douleurs pelviennes chroniques, musculosquelettiques (autres qu’une lombalgie/lomboradiculalgie chronique, une arthrose ou des douleurs neuropathiques), ni dans les céphalées primaires ou les migraines, ni dans les douleurs nociplastiques (dysfonctionnelles). Dans la fibromyalgie, il ne peut être envisagé qu’après avis spécialisé (consultation douleur).
Le tramadol n’est jamais recommandé dans la crise migraineuse ni dans les céphalées, quelle que soit l’intensité de la douleur.
Prescrire pour la durée la plus courte possible afin de limiter le risque de dépendance : entre 3 et 14 jours en cas de douleur aiguë ; dans la douleur chronique, réévaluer le traitement tous les 3 à 6 mois.
Pour éviter un syndrome de sevrage, quelle que soit la durée du traitement : diminuer progressivement (parfois sur plusieurs mois en cas de traitement chronique) la posologie jusqu’à l’arrêt. Du fait des propriétés sérotoninergiques de la molécule, le sevrage peut s’avérer plus difficile et des symptômes dépressifs peuvent apparaître.
Lorsqu’une dépendance est suspectée, en cas d’échec de l’arrêt progressif du traitement, faire appel à un addictologue ou une structure experte dans la dépendance médicamenteuse.
Chez les patients à risque de surdosage, notamment en cas d’association à d’autres médicaments ou à la prise d’alcool : indiquer la conduite à tenir en cas de surdosage en prescrivant ou proposant un kit de naloxone.
Informer le patient des précautions d’emploi et de stockage du médicament (v. encadré ci-dessous).
Pour rappel, le tramadol expose à des risques de convulsions.
Que dire à vos patients ?
Conseils de bon usage
Respectez la dose et le nombre de prises indiqués sur l’ordonnance, ainsi que l’intervalle entre les prises et la durée de traitement.
Si la douleur n’est pas suffisamment ou rapidement soulagée par votre traitement, consultez à nouveau votre médecin.
Vous ne devez pas arrêter brusquement votre traitement car cela peut entraîner des manifestations liées au sevrage : nervosité, anxiété, sensation de manque, transpiration, agitation, tremblements, insomnie, diarrhée, voire plus rarement des hallucinations et attaques de panique.
Appel à prudence
Respectez les modalités d’arrêt progressif qui vous ont été indiquées par votre médecin ou votre pharmacien.
Conservez votre traitement dans un endroit clos et non accessible aux enfants.
Rapportez à la pharmacie les comprimés ou gélules que vous n’avez pas utilisés.
Ne proposez jamais votre traitement de tramadol à une personne de votre entourage, même si elle vous semble avoir des symptômes similaires aux vôtres.
Si une personne (enfant ou adulte) a ingéré du tramadol qui ne lui était pas destiné, contactez immédiatement un centre antipoison ou un service : 15 (SAMU), 18 (pompiers) ou 112 (toutes urgences : médicales, incendie, sécurité).
Personnes à risque de surdosage qui disposent d’un kit de naloxone : si la personne est somnolente, administrez-lui de la naloxone, appelez les secours et maintenez-la éveillée jusqu’à leur arrivée :
- à partir de 14 ans, vous pouvez utiliser de la naloxone en solution pour pulvérisation nasale ;
- chez l’adulte, la naloxone en solution injectable par voie intramusculaire est aussi autorisée.