Iatrogénie. Si le risque de transmettre un virus hématogène est faible et en décroissance, celui de transmettre une infection respiratoire est négligé et peu pris en compte
Le risque de transmission d’un agent infectieux d’un soignant à un ou plusieurs patients est connu depuis de nombreuses années et suscite souvent une émotion importante dans la population lorsqu’un cas de transmission est démontré. La première démonstration du danger que peut représenter un soignant pour un patient a été faite au milieu du xixe siècle par Semmelweiss à Vienne, lorsque celui-ci montra que la fièvre puerpérale qui décimait les parturientes était probablement transmise par les mains des étudiants en médecine qui avaient disséqué des cadavres. Plus récemment, dans les années 1980, c’est l’hépatite B qui a fait l’actualité du sujet, puis le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Ces cas illustraient le risque de transmission lié à une exposition du patient au sang du soignant infecté, lors d’un acte invasif en règle générale.
La proximité entre le soignant et les patients qu’il prend en charge ou qu’il approche pour délivrer des soins médicaux, chirurgicaux ou des examens complémentaires (prélèvement, pansement, examen radiologique, soins dentaires) facilite la transmission des agents infectieux de l’un à l’autre, dans les deux sens. Le risque existe lorsque le soignant est lui-même infecté, parfois en raison d’une contamination professionnelle.
Dans le cas des virus hématogènes comme le VIH, le virus de l’hépatite B (VHB), celui de l’hépatite C (VHC), le risque est lié à des soins invasifs au cours desquels le sang du soignant infecté chronique (en règle générale) entre en contact avec une muqueuse ou un tissu du patient. Ces transmissions sont donc spécifiques aux soins. Ce même risque existe pour expliquer la transmission du patient au soignant.
En revanche, le risque de transmission de la tuberculose ou de la grippe à partir du soignant obéit au même mécanisme que la transmission par voie respiratoire des agents infectieux incriminés et n’est pas spécifique aux soins. Le soignant se comporte comme tout contaminateur, soignant ou non, et sa proximité avec le patient facilite la transmission. Le patient contaminé est alors un cas parmi d’autres.

Trois voies de transmission

Transmission par accident d’exposition au sang

Elle concerne particulièrement le VIH, le VHB et le VHC,1 auxquels on doit ajouter le virus Ebola2 et les autres virus des fièvres hémorragiques virales. La transmission est spécifiquement liée aux soins et particulièrement aux gestes invasifs. Les professionnels concernés sont majoritairement des chirurgiens, ainsi que ceux qui prati- quent des gestes invasifs.

Transmission par voie respiratoire d’une infection active

Les deux exemples principaux sont la tuberculose, d’une part, avec de nombreux cas rapportés et de nombreuses publications,4 et la grippe d’autre part, très souvent citée comme argument pour la vaccination des soignants. La transmission de la coqueluche en milieu de soins et en particulier dans les maternités a été illustrée à plusieurs reprises dans des hôpitaux français et a soulevé la question de la vaccination des soignants. Le mécanisme de la transmission est la voie aérienne pour la tuberculose et la voie gouttelettes pour la grippe ou la coqueluche. On peut rapprocher de cette dernière la transmission par aérosol pour le streptocoque du groupe A.5

Transmission par contact cutanéo-muqueux

C’est le cas de l’herpès cutanéo- muqueux, de la gale, et des bactéries hébergées par le soignant et transmises par manuportage et contact entre les mains du soignant et la peau du patient. Dans le cas des bactéries multirésistantes, le soignant constitue un véhicule d’un patient à un autre. Une grande partie des mesures d’hygiène hospitalière et en particulier l’hygiène des mains sont destinées à éviter ce transfert par les mains.
Dans ces cas de transmission par contact, les soignants ne sont pas malades ni véritablement infectés mais seulement porteurs de l’agent infectieux, de manière transitoire en règle générale  ; nous n’en ferons pas état dans la suite de cette mise au point.

Situation actuelle

En France,6 on dispose de données concernant soit des épidémies signalées aux autorités sanitaires, soit de signalements d’infections chez des soignants, soit d’études de prévalence d’un agent infectieux chez des soignants en réponse à une infection connue chez un soignant. Les résultats de cette surveillance et des données issues des signalements, de la déclaration obligatoire et des publications permettent de faire le point sur ces risques de transmission. Cependant, tous les cas démontrés ne sont pas publiés.
La prévention du risque soignant- soigné repose sur la vaccination des soignants et/ou du patient, lorsqu’un vaccin existe, et dans tous les cas sur des mesures d’hygiène : précautions standard pour les accidents d’exposition au sang et les agents transmissibles par voie sanguine, précautions air et gouttelettes, précautions contact (hygiène des mains).
Cela explique que globalement le nombre de cas rapportés de transmission soignant-soigné diminue avec la mise en œuvre des mesures d’hygiène adaptées aux conditions des soins, qu’ils soient hospitaliers ou non.
Globalement aussi, il est important de souligner que le risque de transmission dépend de la charge infectieuse (bactérienne ou virale) du soignant source. Le dépistage et le traitement de l’infection sont donc des mesures cruciales pour éviter ces épisodes.

Transmission des virus hématogènes1, 2, 7


Transmission du VHB entre soignants et patients

Depuis le début des années 1970, au moins 60 cas de soignants infectés par le VHB ayant transmis le virus à des patients ont été rapportés dans le monde et le dernier cas rapporté en France remonte à 2005. Le taux de transmission à des soignants (ou à des patients) après exposition percutanée est estimé à 6 % lorsque l’antigène HBe est négatif et à 30 % lorsque ce marqueur est positif. Ce chiffre repose sur des données anciennes, fondées sur la présence ou non de l’antigène HBe et non sur la quantification de l’ADN viral. La plupart de ces transmissions ont impliqué des professionnels réalisant des procédures chirurgicales : chirurgiens, obstétriciens ou dentistes. Plusieurs épisodes ont néanmoins concerné des soignants ne réalisant pas d’actes chirurgicaux, mais 4 d’entre eux (dont 2 techniciens de circulation extracorporelle) avaient un état cutané ayant pu favoriser la transmission virale (dermite, coupures). Il faut signaler que certains des soignants ayant transmis avaient été vaccinés contre l’hépatite B alors qu’ils étaient porteurs chroniques de l’antigène HBs. Ce risque existe particulièrement chez les personnes contaminées in utero ou dans l’enfance originaires de régions du globe où la prévalence de l’infection chronique est élevée. Depuis 1997, date de la mise à disposition du dosage de l’ADN du VHB, on peut constater que les épisodes de transmission ont toujours concerné des soignants dont le niveau de la charge virale était supérieur à 2 000 UI/mL. Ce seuil est important à retenir en prévision de la décision de traitement éventuel des soignants porteurs afin d’éviter le risque de transmission.

Transmission du VIH de soignant à patient

En ce qui concerne le VIH, seuls quatre cas de soignants ayant transmis le virus à des patients ont été publiés, dont le dernier en 2003. De très nombreuses études portant sur des patients ayant subi des actes invasifs réalisés par des soignants séropositifs pour le VIH sont restées négatives, même lorsqu’il s’agissait de soignants ayant une virémie élevée. À l’inverse, aucun cas de transmission à partir d’un soignant ayant une charge virale indétectable n’a été rapporté. Sur le plan juridique, à notre connaissance, la responsabilité des soignants dans le cadre de la contamination soignant- soigné n’est pas ou peu mise en œuvre. En tout état de cause, elle ne donne pas lieu à des décisions de justice publiées.

Transmission du VHC de soignant à patient

On recense plus de 30 cas de soignants ayant transmis le VHC à un ou plusieurs patients depuis les années 1990. Il s’agit là encore dans la plupart des cas de chirurgiens mais aussi d’infirmiers anesthésistes ayant des pratiques d’auto-injection intraveineuse d’opiacés, avec utilisation de seringues et/ou d’aiguilles ayant servi et réutilisées pour l’anesthésie d’un patient dont ils avaient la charge.

Transmission du virus Ebola

Le rôle des soignants dans la transmission du virus est capital, et la plupart des épidémies et en particulier l’épidémie récente de 2014 en Guinée, Liberia et Sierra Leone explosent à partir du moment où des cas d’infection à virus Ebola sont hospitalisés et pris en charge médicalement, les soignants étant les premières victimes et constituant un réservoir de virus pendant la durée des symptômes, initialement souvent non diagnostiqués. Pendant l’épidémie de 2014, plus de 10 % des cas ont concerné des soignants, dont la majorité sont décédés.

Virus à transmission respiratoire


Grippe8

Les épidémies annuelles de grippe saisonnière conduisent à des hospitalisations, surtout de patients fragiles. Les personnels soignants sont souvent concernés par les épidémies intrahospitalières, à la fois comme victimes de la grippe mais aussi, et cela est facile à démontrer, comme vecteur de la grippe auprès des patients. De nombreuses études ont démontré le rôle des soignants dans la transmission. Une étude systématique de la littérature relative à la transmission professionnelle de la grippe pendant l’épidémie de 2009 a montré que les personnels soignants étaient particulièrement à risque de grippe et de la transmettre à leurs collègues et aux patients. La couverture vaccinale grippale des professionnels de santé est très insuffisante, particulièrement chez le personnel infirmier. Deux études publiées en 2012 font état d’une couverture vaccinale de 27,6 % chez les professionnels de santé en général et de 25,6 % en établissement de santé, avec une couverture de près de 50 % chez les médecins et de moins de 20 % chez le personnel infirmier.

Coqueluche9

De nombreux épisodes d’épidémies de coqueluche nosocomiale, en particulier en pédiatrie et en maternité, ont été décrits dans la plupart des pays, avec dans tous les cas un rôle des personnels de santé, en particulier le personnel infirmier, dans la transmission. En France, des cas groupés nosocomiaux ne sont pas rares dans les établissements de santé : 88 épisodes ont été signalés à l’Institut de veille sanitaire de 2008 à 2010, représentant 308 cas ; 62 % des épisodes concernaient des personnels de santé, 19 % des patients et 19 % les deux. Face à ces épisodes, une stratégie de vaccination par cocooning a été adoptée par le Comité technique des vaccinations recommandant de vacciner les mères et futures mères et l’entourage des nourrissons ainsi que de veiller à la couverture vaccinale des personnels des maternités qui jouent un rôle important dans la diffusion de l’infection lors des épidémies intrahospitalières. Une épidémie concernant des adultes a été rapportée dans un hôpital de la banlieue parisienne dans les années 2000 à partir d’une cadre infirmière non vaccinée qui a contaminé d’autres membres du personnel, qui ont contaminé d’autres personnels et finalement deux adultes immunodéprimés hospitalisés. En Angleterre, une épidémie dans une unité néonatale avait eu comme point de départ une infirmière qui avait toussé pendant plusieurs semaines sans diagnostic. Dans ces épisodes, effectivement, les cas sources, qui sont souvent des personnels de santé, ont des symptômes peu graves qui peuvent ne pas alerter pendant plusieurs semaines. Des campagnes de dépistage de masse des personnels ont été menées dans ces établissements sièges des épidémies et ont conduit à des traitements antibiotiques curatifs ou préventifs larges pour enrayer la transmission. Néanmoins, la vaccination effective du personnel soignant, en particulier des infirmières et des sages-femmes, est la mesure préventive primaire la plus efficace.

Tuberculose

Une revue italienne systématique de la littérature entre les années 1970 et 2014 a permis de retrouver 34 études pour 117 épisodes dans des pays de faible incidence de la tuberculose, rapportant la transmission de la tuberculose à partir d’un professionnel de santé à d’autres membres du personnel ou à des patients. Un tiers de ces incidents ont été rapportés en France. Le risque d’acquérir l’infection ou la maladie est semble-t-il moins élevé lorsque le cas index est un professionnel. Le risque de tuberculose maladie secondaire est plus important chez les patients immunodéprimés ou les enfants. Plusieurs épidémies de tuberculose multirésistante avaient été rapportées en milieu de soins chez des patients séropositifs pour le VIH aux États-Unis et en Afrique du Sud où des professionnels de santé, souvent infectés par le VIH, étaient concernés.
Une étude réalisée au CCLIN Paris- Nord sur une période de 5 ans, de 2002 à 2007, a noté 22 cas de tuberculose pulmonaire chez des soignants non diag- nostiqués avec risque d’exposition des patients et d’autres soignants, conduisant à dépister plus de 7 000 patients et 4 000 personnels de santé avec un taux de cas secondaires très faible d’infections tuberculeuses latentes chez les patients (34 chez les soignants et 10 chez les enfants). On note cependant une tuberculose maladie secondaire chez un patient et deux professionnels de santé. Dans la plupart des cas, les soignants avaient des symptômes négligés occasionnant des périodes de plusieurs semaines d’exposition et auraient dû bénéficier d’une radiographie pulmonaire plus précoce.

Transmission manuportée


Streptocoque A

Entre 2001 et 2007, des épisodes d’infection nosocomiale à streptocoque du groupe A ont été régulièrement signalés (N = 132), en particulier par les services d’obstétrique, qui représentent la majorité (70 %) des services à l’origine de ces signalements. L’organisation d’un dépistage parmi le personnel soignant était mentionnée pour 24 épisodes (18 %), 10 en chirurgie et 14 en obstétrique ; 4 de ces épisodes en chirurgie mentionnaient des pré- lèvements de gorge ou de plaie cutanée positifs, alors que tous les prélèvements étaient négatifs en obstétrique.
Un seul épisode survenu en chirurgie suggérait une transmission de soignant à patient à partir d’un membre du personnel de bloc opératoire, la caractérisation des souches « soignant » et « patient » effectuée par le Centre national de référence (CNR) des streptocoques ayant montré qu’elles étaient similaires. En service de gynécologie-obstétrique, aucune transmission entre professionnel de santé et parturiente n’a pu être formellement établie. Néanmoins, pour un épisode de cas groupés incluant une parturiente et deux opérées, un lien épidémiologique a été évoqué. En effet, le même jour, une même personne les avait accouchées ou opérées. Les deux souches isolées chez les patientes ont pu être caractérisées par le CNR et étaient similaires.

Gale

Entre 2001 et 2007, 120 épisodes de gale nosocomiale ont été signalés dans les établissements de santé français. Ces épisodes totalisaient 1 065 cas d’infections et concernaient en majorité (75 %) des services de médecine, de long séjour, de rééducation ou d’accueil de personnes âgées. Le caractère nosocomial était certain pour 83 de ces épisodes (69 %), et 98 d’entre eux (82 %) correspondaient à des cas groupés. Le personnel soignant était concerné dans 37 épisodes (31 %) dont dans 11 cas exclusivement (9 %) ; le nombre de cas chez les soignants par épisode variait de 13 à 80 (médiane : 36). Le nombre de signalements de gale nosocomiale a augmenté régulièrement de 2001 à 2007 : 9 en 2002, le dou- ble en 2004, et plus du triple en 2007. Il est très difficile de pouvoir établir dans quel sens (de soignant à patient ou de patient à soignant) la transmission s’est effectuée. Néanmoins, l’ampleur de certains épisodes rapportés suggère que la contamination de personnels soignants a pu jouer un rôle amplificateur et augmenter le nombre de patients contaminés. Le caractère psychogène de ces épidémies de gale, notamment chez le personnel soignant, n’a pas été évalué mais a pu contribuer aussi à accroître le nombre de cas rapportés.

DÉFAUT DE PRÉVENTION OU D’HYGIÈNE

Le risque de transmission d’une infection d’un soignant à des patients est illustré par de nombreux exemples d’infections à virus hématogènes (VIH, VHB, VHC) dont la plupart témoignent d’un défaut de prévention ou d’hygiène lors des soins et dont le nombre décroît régulièrement. Pour ce qui concerne la transmission des infections respi- ratoires, le rôle des soignants dans la transmission est encore souvent négligé et peu pris en compte par les soignants. Le renforcement des mesures d’hygiène, limitant le portage d’agents pathogènes par le personnel soignant et les patients, constitue un élément important de la prévention de la transmission manuportée.
Références
1. Haut Conseil de santé publique. Prévention de la transmission soignant-soigné des virus hématogènes - VHB, VHC, VIH. Rapport, juin 2011, sous la direction de Bruno Pozzetto.

2. Kilmarx PH, Clarke KR, Dietz PM, et al. Ebola virus disease in health care workers – Sierra Leone. MMWR 2014; 63:1168-71.

3. Schepisi MS, Sotglu G, Contini S, Puro V, Ippolito G, Girardi E. Tuberculosis transmission from health care workers to patients and co-workers : a systematic literature review and met analysis. Plos One 2015;10:1-15.

4. Ahmed F, Lindley MC, Allred N, Weinbaum CM, Grohskopf L. Effect of influenzae vaccination of health care personnel on morbidity and mortality among patients : systematic review and grading of evidence. Clin Infect Dis 2014;58:50-7.

5. Sherertz RJ, Bassetti S, Bassetti-Wyss B. « Cloud » Health care workers. Emerg Infect Dis 2001;7:241-4.

6. Poujol I, Thiolet JM, Coignard B. Signalements d’infection nosocomiale suggérant des transmissions d’agents infectieux de soignant à patient, France 2001-2007. BEH 2009;18-19:179-83.

7. Floret N, Marquant A, Laperche S, Coignard B, Poujol I, Lot F. Transmission nosocomiale du virus de l’hépatite B d’un soignant à un patient, France 2005. BEH 2009;18-19:182-4.

8. Chironna M, Tafuri S, Santoro N, Prato R, Quarto M, Germinario CA. A nosocomial outbreak of 2009 pandemic influenzae A (H1N1) in a pediatric oncology ward in Italy, October-November 2009. Euro Surveill 2010;15:pii=19454.

9. Merrer J, Strick L, Bonmarin I. Gestion d’une épidémie de coqueluche touchant des personnels de santé d’une maternité, France, 2006. BEH 2009;18-19:184-7.

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Résumé

La transmission d’un agent infectieux du professionnel de santé à un ou plusieurs patients est documentée pour des infections à transmission respiratoire comme la grippe ou la tuberculose mais aussi pour les infections virales virémiques telles que celles liées au virus de l’immunodéficience humaine et aux virus des hépatites B et C lors d’accidents d’exposition au sang. Ce risque est très largement maitrisé par la vaccination des soignants lorsqu’elle existe (grippe, hépatite B) mais aussi et essentiellement par des mesures d’hygiène telles que les précautions standard, les précautions complémentaires respiratoires et le traitement rapide des infections chez les professionnels. Les cas survenus constituent un indicateur de défaut de qualité des soins. Leur survenue met en lumière le rôle de la médecine du travail dans les établissements de santé.