Après un an de recul, le mode de transmission du SARS-CoV-2 ne fait pas encore consensus…
Il faut savoir que ce n’est pas si simple de caractériser les voies de transmission d’un agent infectieux. Pour la tuberculose, on a longuement cru qu’elle se transmettait par de grosses gouttelettes (par voie directe et via les surfaces infectées) avant de comprendre que le bacille de Koch se transmet quasi exclusivement par voie aérosol. Cette incertitude est bien sûr pénalisante car elle peut induire à des préoccupations et à des préconisations erronées…
Le coronavirus se transmet avec 3 grands mécanismes : via de grosses gouttelettes (de plus de 100 µm) qui retombent sur le sol – à cause de la gravité – à une distance d’environ 1,5 m ; si dans leur trajet elles rencontrent les narines ou les conjonctives oculaires ou l’orifice de la bouche d’une autre personne, une contamination est possible : on parle de transmission directe. Si elles retombent sur une surface (clavier d’ordinateur, poignée d’une porte), elles peuvent se transmettre par voie manuportée. Enfin, le SARS-CoV-2 (dont la taille est de 100 nm) peut aussi être véhiculé dans de petites gouttelettes (c’est-à-dire des postillons de moins de 100 µm) qui, plus légères, peuvent rester en suspension et flotter dans l’air pendant plusieurs heures.
Mais quelle est la voie prédominante ?
Au début de l’épidémie, les hygiénistes hospitaliers pensaient que la voie principale de transmission était celle manuportée, comme pour le staphylocoque. On a donc recommandé en premier lieu le lavage des mains et la désinfection des surfaces. Des études ont en effet montré que le virus peut résister plusieurs heures voire plusieurs jours sur les surfaces (d’autant plus si elles sont dures, lisses et humides), par exemple sur la poignée d’une porte ou l’écran d’un smartphone. Cependant, c’est très difficile de prouver expérimentalement que ces particules virales sont capables de causer une infection (les résultats chez la souris sont difficilement transposables à l’homme). Il est possible que ce mode de transmission existe et il faut continuer à se laver les mains, mais cette voie n’est probablement pas essentielle.
La voie directe peut être en cause lorsque deux personnes se parlent, puisqu’on émet des postillons de plus de 100 µm quand on prononce des consonnes comme les p et les b, mais aussi lorsqu’on tousse ou éternue ; pour être infecté dans ce cas, on doit se trouver strictement en face de la personne qui émet les postillons, car les cibles (bouche, narines…) sont étroites. Ce mode de transmission existe et justifie de rester à la distance de 1 m 50, mais il est de moins en moins en cause aujourd’hui, à part dans le cercle familial (contacts très rapprochés).
Toutefois, cette voie ne peut pas rendre compte des clusters et des chaînes de superpropagation (qui contribuent de façon majeure à l’épidémie) décrits dans des minibus, restaurants, églises, abattoirs, hôtels « de quarantaine », avec des exemples de transmission à plusieurs mètres de distance qui ne sont pas compatibles avec la propagation virale via les grosses gouttelettes, mais sont en faveur d’une transmission aéroportée.
Pourriez-vous nous décrire cette transmission par aérosols ?
On parle d’aérosols mais en vérité ce n’est pas le virus qui s’aérosolise… et c’est une bonne nouvelle car aucun masque ne serait capable de filtrer les nanoparticules ! En réalité, le SARS-CoV-2 se trouve à l’intérieur des petites gouttelettes qu’on émet quand on respire. On les visualise très bien lorsqu’on respire en hiver dans la rue (petit nuage qui se dissipe très vite à l’extérieur).
L’émission d’aérosols augmente quand on parle (10 fois plus par rapport à quand on respire), on chante ou on crie (50 fois plus). En moyenne, les personnes de petit gabarit en émettent moins que celles de gros gabarit.
Pour être infecté, il faut une charge virale et un temps d’exposition suffisants. Si vous traversez un nuage d’aérosol (sur un quai de métro par exemple) vous n’avez aucune chance de vous contaminer, il faut être en contact pendant plusieurs minutes.
Ces aérosols sont redoutables car ils peuvent rester infectants pendant plusieurs heures si la pièce est mal ventilée, avec un véritable risque de contamination pour les personnes qui sont dans le même espace.
Que signifie « mal ventilée » ?
C’est une notion compliquée en effet. Dans un TGV, l’air est renouvelé 6 fois par heure, dans un avion 12 fois par heure, c’est énorme ! Mais comment quantifier la ventilation à l’intérieur d’un restaurant, d’une classe d’école ?
Il existe des capteurs de dioxyde de carbone (CO2) qui peuvent attester de la bonne ventilation (en dessous de 800 ppm l’aération est suffisante). Pour bien les positionner dans la pièce, il faut demander conseil à un spécialiste, le « ventiliste ». Si la pièce ne peut pas être ventilée grâce à l’ouverture de fenêtres et/ou si l’aération n’est pas assez performante, ce dernier peut installer un purificateur d’air adapté (mais attention : actuellement les modèles à lampe UV ne sont pas recommandés car potentiellement dangereux).
Quelles conséquences en termes de préconisation de mesures barrières ?
Jusqu’à preuve du contraire, il y a peu de risque dehors (sur la terrasse d’un restaurant, par exemple, si elle est complètement à l’extérieur). Tous les clusters décrits ont eu lieu dans de lieux fermés, et non pendant de rassemblements à l’extérieur. L’enjeu aujourd’hui est de lutter contre la mauvaise ventilation des lieux clos qui sont les plus à risque de contamination : écoles, bureaux, cantines, salles de spectacles, restaurants… D’autant plus que l’amélioration de la qualité de l’air est bénéfique pour la santé respiratoire (notamment pour les asthmatiques). Quant au masque, s’il n’a guère d’utilité en extérieur, il convient de rappeler l’importance de toujours en porter un (en tissu, chirurgical ou FFP2) à l’intérieur, dès qu’une personne non vaccinée est dans la pièce, et quelle que soit la distance ou la ventilation de la pièce.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Jimenez JL, Prather KA, Tufekci Z, et al. Ten scientific reasons in support of airborne transmission of SARS-CoV-2. The Lancet, 15 mai 2021.
HCSP. Covid-19 : aération, ventilation et mesure du CO2 dans les ERP. 3 mai 2021.
Allen JG, DSc, MPH, et al. Indoor Air Changes and Potential Implications for SARS-CoV-2 Transmission. JAMA 16 avril 2021.
Flahault A. Covid, le bal masqué. Dunod. Février 2021.
Covid : la transmission par aérosols en 5 questions. Rev Prat (en ligne), novembre 2020.