La transplantation fécale, utilisée couramment aujourd’hui pour traiter les colites à C. difficile récidivantes, pourrait-elle être utilisée dans les cancers, chez les personnes réfractaires aux autres traitements ? C’est ce que suggère une étude américaine menée chez des patients ayant un mélanome avancé… époustouflant !
Une transplantation fécale pourrait favoriser la réponse à l’immunothérapie chez certains patients atteints de mélanome, selon une étude de phase II récemment publiée dans Science.
Les nouvelles immunothérapies, ciblant des points de contrôle immunitaire (anti-CTLA4 [cytotoxic T-lymphocyte-associated antigen 4], anti-PD1 [programmed death 1] et anti-PDL1 [programmed death-ligand 1]) pour réactiver les cellules immunitaires contre les cellules cancéreuses, sont désormais une réalité thérapeutique dans plusieurs cancers. Si chez les patients avec un mélanome avancé l’immunothérapie utilisant des anticorps monoclonaux anti-PD1 a démontré des bénéfices dans 40 % des cas, certains sujets sont résistants à ce traitement. C’est pour trouver un moyen de venir à bout de ces résistances que des chercheurs de l’université de Pittsburgh et du National Cancer Institute (États-Unis) ont évalué l’effet de la transplantation de microbiote fécal de 7 sujets ayant répondu totalement ou partiellement à une immunothérapie vers 15 sujets réfractaires.
Pour rappel, la transplantation fécale est un procédé consistant dans l’introduction d’un filtrat fécal (selles homogénéisées, filtrées, puis conditionnées) provenant d’un donneur sain dans le tube digestif d’un receveur malade, ayant une anomalie du microbiote intestinal, afin de rééquilibrer celui-ci. La principale indication aujourd’hui (et la seule reconnue en soins courants) est en effet le traitement des colites à Clostridium difficile récidivantes. Les autres applications, expérimentales ou d’indication compassionnelle, sont principalement les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, la décolonisation de portage de bactéries hautement résistantes émergentes ou la réaction du greffon contre l’hôte digestive chez les allogreffés de cellules souches hématopoïétiques. Mais pourrait-elle être aussi utilisée dans le cadre des traitements contre le cancer ?
C’est ce que suggère cette étude, qui s’est déroulée entre juin 2018 et janvier 2020. Elle a examiné la sécurité et l’efficacité de ce procédé qui avait déjà fait des preuves dans des études précliniques sur modèles murins – des études qui montraient que la composition du microbiome module l’activité des anti-PD1 et anti-PDL1. Le microbiote fécal des personnes ayant répondu favorablement à un traitement par pembrolizumab fut ainsi transplanté par coloscopie chez les participants ayant tout d’abord montré une résistance à un traitement par anti-PD1 (pembroluzimab ou nivolumab) seul ou en association avec un anti-CTLA4. Les receveurs bénéficièrent ensuite d’un traitement par pembrolizumab.
Résultats : 6 des 15 patients initialement réfractaires au traitement par anti-PD1 ont développé une réponse favorable après la transplantation, 3 avec une réduction de la tumeur et 3 avec une stabilisation durable de la maladie (> 12 mois). La probabilité que ces patients répondent favorablement, de façon spontanée, à une deuxième immunothérapie après un premier échec est très faible, explique le Dr Hassane Zarour, co-auteur de l’étude : « la réponse positive observée doit donc être attribuée à la transplantation fécale ».
En effet, l’analyse du microbiome des receveurs ayant répondu à l’immunothérapie a montré des modifications significatives, ce qui n’était pas les cas des receveurs n’ayant pas répondu au traitement. En particulier, une augmentation de la population de bactéries déjà associées à une activation des lymphocytes T et à la réponse aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaire a été observée. Mais ce n’est pas tout : le traitement a été associé à une activation plus importante des lymphocytes cytotoxiques CD8 + dans le microenvironnement tumoral ! De plus, une analyse du sérum des participants a aussi montré, chez ces 6 patients, une diminution de la circulation de cytokines et chimiokines typiquement associées à une réponse défavorable aux anti-PD1, en particulier les interleukines 8. En revanche, les niveaux de certains biomarqueurs associés à une réponse favorable ont augmenté... Des variations dont les analyses ont démontré être régulées par le microbiote intestinal.
Ces résultats très encourageants sont à confirmer dans des études cliniques de plus grande envergure, avec à la clé, peut-être, une identification plus précise des groupes de bactéries qui permettent de vaincre chez certains patients les résistances à l’immunothérapie, ce qui permettrait leur administration directe, sans passer par une transplantation fécale…
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus
Davar D, Dzutsev AK, Mcculloch JA, et al. Fecal microbiota transplant overcomes resistance to anti–PD-1 therapy in melanoma patients. Science 2021;371:595-602.
À lire aussi
Choinier P, Bleibtreu A. Transplantation fécale. Rev Prat Med Gen 2020;34:300-1.
Trang-Poisson C. Transplantation fécale. Rev Prat 2019;69:792-3 (dans le dossier Microbiote intestinal, élaboré selon les conseils du Pr Harry Sokol).
Lupu J, Herrscher H, Robert C. Immunothérapie dans le traitement du mélanome au stade avancé. Rev Prat 2020;70:471-4.
Quéreux G. Cancers cutanés : quels risques ? Rev Prat Med Gen 2018;32:499-500.