La dynamique, sans précédent, des enjeux sanitaires, technologiques, démographiques et écologiques justifie sans aucun doute une profonde réflexion sur la formation non seulement médicale mais plus largement de tous les métiers de la santé. Dans ce contexte instable, les réformes des études médicales se sont entrechoquées presque simultanément avec celle du troisième cycle (R3C), celle de l’accès aux études de santé (R1C), puis la réforme encore non aboutie du deuxième cycle (R2C). Cette tourmente « désordonnée » des réformes questionne, avec un intérêt particulier pour celle qui a voulu transformer la première année… Cette « satanée » PACES (première année commune aux études de santé) !

R1C : une réforme « dystocique »

Sans remettre en cause sa légitimité, trois raisons essentielles font de la réforme du premier cycle une réforme « dystocique » :
⦁ l’annonce de la suppression du numerus clausus, remplacé par un numerus apertus, a été un jeu de dupes qui a envoyé, comme une traînée de poudre, un message simplifié erroné de « fin de la sélection ». Beaucoup ont utilisé avec un peu d’humour le concept d’open bar. En réalité, le nombre d’étudiants qui pouvaient être accueillis décemment en deuxième année de MMOPK (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie, kinésithérapie) a augmenté (de l’ordre de 20 %), même s’il reste très inférieur aux vœux des étudiants, toujours très attirés par la filière médecine. Ainsi, les déçus sont encore très nombreux, et près de 5 000 jeunes continuent à s’engager dans des formations médicales « payantes » dans l’Union européenne. C’est un objet de critiques fréquent, mais beaucoup oublient qu’en 2000 les facultés de médecine françaises formaient 3 700 étudiants par an, pour atteindre près de 12 000 en 2024, sans réel renforcement de leurs moyens. Un seul chiffre pour illustrer cette carence de soutien : les formateurs en santé, appelés enseignants-chercheurs hospitalo-universitaires, sont l’une des rares communautés de l’enseignement supérieur qui n’a bénéficié d’aucune augmentation d’effectifs au cours des deux dernières décennies alors que leurs tâches universitaires ont explosé ;
⦁ l’absence de préparation de cette réforme qu’il a fallu construire « à la hussarde », sans aucune réelle évaluation des besoins de formation et des moyens pédagogiques (matériel et enseignant), a fortement perturbé une mise en œuvre efficace. Cette réforme a donc été construite dans une ambiance « sauve-qui-peut » pendant une pandémie très difficile à vivre pour les étudiants et les administrations. Chaque université a géré en moins de dix-huit mois une transformation profonde de cette première année. Cela a mené à une offre de formation hétérogène et complexe, différente dans chaque université. Cette nouvelle donne a été très difficile à comprendre pour des lycéens confrontés à une réforme du baccalauréat qui leur demande déjà d’anticiper (trop) précocement des options de diversification. Cette nouvelle première année, très différente et plus complexe que le rude système « ultrasimpliste » du concours de la PACES, a déstabilisé de nombreux étudiants ;
⦁ cette réforme, indiscutablement légitime pour certains aspects importants, a été insuffisamment réfléchie dans sa forme.
Commençons par quelques points positifs :
– la réorganisation de la pédagogie, selon des modalités d’enseignement de type licence, a certainement permis une amélioration de l’enseignement et de son contenu, mais des progrès sont encore nécessaires ;
– le nouveau système LAS/PASS (licence avec option accès santé et parcours d’accès spécifique santé) a réduit le taux d’échec « sans acquis pédagogique » qui guettait l’étudiant en PACES à l’issue de son redoublement. Cependant, de nouvelles méthodes d’évaluation – en particulier l’examen oral – ont suscité des critiques dont certaines sont justifiées, dans une filière ultrasélective où l’équité des chances est un sujet très sensible. Pourtant, une évaluation plus personnalisée (en sortant du « tout-QCM ») avait été demandée avec « vigueur » du temps de la PACES pour mieux apprécier les qualités de communication et d’expression indispensables pour de futurs soignants. L’art de demander une chose et son contraire est un exercice assez classique… ;
– l’ouverture de premières années de santé dans des territoires sans université de santé a été une initiative intéressante, mais cela reste complexe à organiser et insuffisamment mis en œuvre pour transformer la diversification. Sur ce point aussi, il faut certainement aller plus loin.
D’autres éléments sont plus problématiques. La persistance d’un taux de sélection très élevé n’a ainsi pas donné l’occasion d’obtenir une véritable diversification des profils et des origines socioculturelles, même si l’ouverture de la LAS a certainement permis à des étudiants moins « scientifiques » de trouver une option plus adaptée à leurs compétences personnelles. Cette notion de diversification mériterait une analyse détaillée dans ses dimensions culturelles, sociologiques et pédagogiques.

Une victimisation exagérée et délétère ?

Un point important, qui a certainement contribué au désenchantement, a été une forme d’excès démagogique de la victimisation, avec des mots « ministériels » qui ont stigmatisé le « massacre » et la « boucherie » de la PACES. Cet excès était inutile car le poids des mots est l’un des germes de la déception. Cette réforme était nécessaire mais elle aurait dû être préparée et menée en y associant les équipes de terrain (enseignants, administratifs) qui ont été réellement pris de court en 2018, lors des annonces. Il faut rappeler qu’un travail de fond était alors mené avec des expérimentations (AlterPACES, PluriPass), un peu oubliées. La qualité d’une réforme s’accorde mal avec une forme de démagogie idéologique qui a voulu faire croire que les « déserts médicaux » disparaîtraient comme par enchantement grâce à cette réforme providentielle. Ce n’est certainement pas ce qu’ont pensé les inspirateurs de cette réforme, mais c’est ce que le peuple et les élus ont voulu croire.

L’analyse étant faite, la formation en santé reste à construire

Des propositions constructives traçant l’avenir de la formation en santé sont un enjeu majeur pour le système de soins. Cette question se pose d’ailleurs en termes assez proches dans de nombreux pays occidentaux confrontés aux mêmes difficultés. Il n’y a pas d’exception française. Sans rendre de conclusion définitive, quatre points « clés » pourraient structurer une vision d’avenir pertinente de la formation des métiers de la santé :
⦁ mener collectivement une réflexion approfondie sur l’avenir des métiers du soin pour déterminer ce que doit être le médecin de demain et comment, avec qui et avec quels outils il va travailler. Cette réflexion doit permettre de déterminer le nombre de médecins et de soignants à former, si possible à l’échelle du territoire. Cela demande un travail de fond, comme celui mené par les doyens et l’Académie de médecine, en réfléchissant à un modèle multimodal de simulation des besoins qui intègre des données démographiques (soignés et soignants), organisationnelles, géographiques et économico-administratives ;
⦁ créer un outil de formation modernisé avec des moyens adaptés aux enjeux de la santé (« globale ») de demain. Cela va demander un investissement majeur, mais attendu par tous. L’une des priorités devra être de renforcer profondément l’attractivité et d’augmenter massivement les effectifs d’enseignants (hospitalo-universitaires et universitaires), sans quoi le système de formation pourrait rapidement s’effondrer ;
⦁ conserver l’attrait pour les métiers de la santé car les besoins sont majeurs en France et dans le monde. Il faut donc se méfier d’une forme de désaffection des jeunes pour certains métiers de la santé et peut-être, à terme, celui de la médecine. Les filières santé restent encore très attractives, mais la réforme du baccalauréat et la complexité de la R1C semblent freiner les vocations. Nous devons y être attentifs !
⦁ pour améliorer la formation, il faut être capable de définir quelques grands principes devant structurer les études de santé : il faut construire un socle commun de connaissances et de compétences (méthodes de travail, gestion de l’incertitude et de la démarche scientifique, capacité de synthèse et de réflexion, compréhension de la séméiologie, sensibilisation aux valeurs éthiques et déontologiques…). Il faut donc donner une place légitime aux sciences humaines et sociales sans dégrader la formation scientifique. Une réflexion devra être menée pour définir la durée et l’architecture des études de santé, en particulier des études de médecine. À titre d’exemple, une orientation plus rapide des étudiants vers de grands domaines (médecine, chirurgie, biologie) et une entrée en troisième cycle par un tronc commun polyvalent doivent être discutées. L’évolution exponentielle des connaissances médico-­scientifiques et des nouvelles technologies change la donne. Différentes modalités innovantes, incluant l’apprentissage en simulation et l’utilisation de l’intelligence artificielle, sont nécessaires, mais il faut que les réformes à venir se fassent avec une vision globale, en définissant comment les différents métiers de la santé peuvent se coordonner pour améliorer l’offre de soins. Une approche pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle, en favorisant les passerelles entre les formations et les métiers de la santé, est indispensable pour faire face aux immenses enjeux qui nous attendent. Reste à construire un modèle nouveau qui le permette.

Une responsabilité sociétale majeure des universitaires !

Pour préparer une réforme sereine et efficace, il faudra un discours de vérité affirmant la nécessité d’une sélection équilibrée, car les professions de santé ont une exigence immuable d’excellence, de résilience et de résistance. Ce discours doit aussi assumer un souhait de diversification des modèles de formation pour donner une chance au plus grand nombre en respectant un enjeu d’excellence, tout en restant conscient que le débat relancera l’éternel sujet de l’équité, de la qualité de la formation et des chances de réussite – idéal teinté d’un brin d’utopie. C’est une transformation culturelle qui prendra du temps dans un pays « centra­lisateur » comme le nôtre. Nous, univer­sitaires, avons une responsabilité sociétale majeure. Nous devons démontrer nos capacités à analyser et à anticiper des modalités de formation indispensables pour reconstruire un système de santé adapté à chaque territoire mais au service de tous avec équité et générosité. Partageons cette prise de conscience collective ! 

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