Connaître les principes de la prise en charge.
En raison de l’impact sur la qualité de vie des sujets, la prise en charge des troubles bipolaires reste un défi pour tous les intervenants confrontés à cette pathologie psychiatrique chronique et parfois sévère. Le trouble bipolaire figure ainsi parmi les dix maladies les plus invalidantes et coûteuses, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ce trouble était anciennement décrit sous le nom de psychose maniaco-dépressive ; la nosographie a évolué vers le concept de spectre bipolaire, afin de mieux rendre compte de ses multiples présentations cliniques. Avec un sex ratio de 1, la prévalence du trouble bipolaire est d’environ 1 % sur la vie entière et jusqu’à 2 - 3 % en incluant le trouble bipolaire non classé ailleurs. S’il s’agit effectivement d’une pathologie fréquente, le retard diagnostique est néanmoins estimé à environ dix ans, alors même qu’un âge de début précoce (15 à 25 ans) est souvent observé. Or, un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée permettent de stabiliser au mieux le trouble.
Sémiologie des épisodes thymiques
L’humeur normale (euthymie) est définie comme un continuum dans le vécu affectif du sujet avec des fluctuations en fonction des stimuli environnementaux. Elle regroupe de nombreux paramètres de la sphère des émotions, des cognitions, des comportements, des perceptions sensorielles et des motivations.
Les altérations pathologiques de l’humeur sont décrites en matière d’intensité des fluctuations, d’inadéquation au contexte et de modification du fonctionnement habituel.
Syndrome maniaque
L’épisode maniaque correspond à une augmentation pathologique de l’humeur et de l’énergie, qui persiste dans le temps.
Parmi les éléments cliniques principaux, on note :
- une altération du contact avec une présentation atypique, extravagante ; une hypersyntonie (adhésion rapide à l’ambiance du moment), une familiarité, un ludisme ;
- une exaltation de l’humeur (critère majeur : expansive, euphorique, labile ou irritable), associée à une hyperesthésie émotionnelle (réactivité excessive aux stimuli émotionnels) ;
- une augmentation de l’énergie (critère majeur) avec une accélération psychomotrice se traduisant au niveau comportemental par une agitation stérile, une désinhibition (achats pathologiques, troubles du comportement, prises de risque, voyages pathologiques), une altération du discours (logorrhée, tachyphémie) et de la mimie (hypermimie) ; au niveau psychique par une tachypsychie, une fuite des idées, des coq-à-l’âne et des jeux de mots ;
- des altérations cognitives avec atteintes de la concentration et distractibilité ;
- des pensées à tonalité positive : optimisme exagéré, surestimation de soi, sentiment de toute-puissance ;
- des idées délirantes congruentes à l’humeur (à thématiques de grandeur, mysticisme, filiation) ;
- des modifications des conduites instinctuelles : insomnie sans fatigue, anorexie/hyperphagie, amaigrissement, hypersexualité et complications somatiques (déshydratation, tachycardie).
Pour les critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM- 5), ces modifications de l’humeur doivent être présentes depuis plus de sept jours, correspondre à une rupture avec l’état antérieur et perturber de façon importante le fonctionnement social du sujet. Si l’exaltation de l’humeur ou l’irritabilité dure depuis seulement quatre jours, ou avec un retentissement social moins important, on parle de syndrome hypomaniaque.
Syndrome dépressif
L’épisode dépressif correspond à un abaissement pathologique de l’humeur et de l’énergie, de façon persistante dans le temps.
Parmi les aspects cliniques principaux, on note :
- une altération du contact, avec un contact en retrait ;
- une clinophilie, une présentation incurique ;
- une humeur dépressive (critère majeur : tristesse pathologique intense, toute la journée, non fluctuante), parfois une douleur morale ou un émoussement affectif ;
- une anhédonie (critère majeur : perte de la sensation de plaisir, notamment pour ce qu’aimait faire la personne auparavant), une athymhormie (perte de l’élan vital) ;
- un ralentissement psychomoteur se traduisant au niveau comportemental par une aboulie (perte des initiatives), une altération du discours (bradyphémie, prosodie monocorde, mutisme) et de la mimie (hypomimie) ; au niveau psychique par une bradypsychie, un mono-idéisme ;
- une asthénie matinale (amélioration en cours de journée), une fatigabilité ;
- des ruminations anxieuses ;
- des pensées à tonalité négative : pessimisme, autodépréciation, reconstruction négative du passé ;
- des idéations suicidaires ;
- des idées délirantes congruentes à l’humeur (à thématique de culpabilité, ruine, hypochondrie, incurabilité), parfois un syndrome de Cotard (négation d’organe, damnation) ;
- des modifications des conduites instinctuelles : anorexie/hyperphagie, insomnie à réveil matinal précoce/hypersomnie, baisse de la libido.
Le DSM précise que ces éléments cliniques doivent exister depuis au moins deux semaines avec au moins un critère majeur (soit un épisode dépressif majeur, c’est-à-dire caractérisé), en rupture avec l’état antérieur, et altérant de façon importante le fonctionnement du sujet. La sévérité de l’épisode est à préciser en fonction du nombre, de l’intensité et du retentissement des symptômes dépressifs.
Caractéristiques cliniques spécifiques à préciser
Caractéristiques psychotiques (avec éléments délirants ou hallucinatoires)
Elles sont décrites à la fois dans les épisodes maniaques et dépressifs et sont le plus souvent congruentes à l’humeur (thématique en lien avec la tonalité thymique).
Caractéristiques mixtes
Des éléments dépressifs peuvent apparaître au décours d’un épisode maniaque ou hypomaniaque, ainsi que des éléments de la lignée maniaque dans l’évolution d’un épisode dépressif. À haut risque suicidaire, ces éléments sont à rechercher systématiquement.
Caractéristiques anxieuses
L’intensité des symptômes anxieux peut varier selon les épisodes. Il est nécessaire de les évaluer au mieux pour éviter les raptus anxieux suicidaires dans les formes sévères.
Caractéristiques mélancoliques
Elles traduisent des critères de sévérité pour un épisode dépressif majeur. On observe une anesthésie affective, associée à une douleur morale profonde (sentiment de désespoir) et une culpabilité excessive. On note un ralentissement psychomoteur plus marqué (parfois une agitation), et les modifications des conduites instinctuelles sont plus importantes.
Caractéristiques catatoniques
Elles constituent un tableau clinique sévère fluctuant, alternant des périodes de stupeur et d’excitation motrice, mutisme et mouvements stéréotypés (écholalie et échopraxie). Il est nécessaire d’éliminer en priorité un diagnostic neurologique.
Formes cliniques particulières
Troubles saisonniers
Les sujets présentent des épisodes thymiques en lien avec les changements de saison.
Cycles rapides
Ils sont définis par la présence de quatre épisodes thymiques ou plus au cours des douze derniers mois, avec ou sans période intercritique d’euthymie.
Trouble bipolaire
Diagnostic positif
Le diagnostic de trouble bipolaire est uniquement clinique. Pour la Classification internationale des maladies (CIM- 11) de l’OMS, la survenue d’un épisode hypomaniaque ou maniaque chez un sujet ayant présenté dans le passé un ou plusieurs épisodes thymiques doit conduire à un diagnostic de trouble bipolaire.
D’après le DSM- 5, le trouble bipolaire de type 1 correspond à la présence d’au moins un épisode maniaque ; le type 2 correspond à la présence d’au moins un épisode hypomaniaque (figure). On décrit également des virages maniaques ou hypomaniaques uniquement sous substances, notamment sous antidépresseur (parfois appelé type 3). Le spectre bipolaire inclut aussi la cyclothymie (alternance d’épisodes dépressifs modérés et d’hypomanie) et le trouble bipolaire non classé ailleurs (concept d’hypomanie brève, notamment).
Les éléments cliniques suivants doivent orienter vers la recherche d’un trouble bipolaire :
- antécédents familiaux de trouble bipolaire, de trouble dépressif récurrent, d’addiction ou de suicide ;
- notion d’épisode hypomaniaque dans le passé, même bref ;
- antécédents de trois épisodes dépressifs récurrents ou plus ;
- épisodes dépressifs caractérisés récurrents avant l’âge de 25 ans ;
- antécédents de tentative de suicide ;
- présence d’un épisode thymique dans le post-partum ;
- réponse atypique à un antidépresseur ou un virage de l’humeur.
Présentations cliniques spécifiques en fonction du terrain
Chez l’enfant et l’adolescent
Le trouble bipolaire juvénile se manifeste par des fluctuations sévères de l’humeur, de l’énergie et du comportement de l’enfant. Un fléchissement scolaire, une irritabilité persistante ou des troubles des conduites doivent alerter les différents intervenants.
Avant de poser le diagnostic de trouble bipolaire juvénile, il est indispensable :
- d’organiser un entretien familial, afin de retranscrire l’histoire développementale de l’enfant et d’évaluer le contexte psychoaffectif, et de contacter l’école ;
- d’éliminer un trouble non psychiatrique après avis pédiatrique ;
- de rechercher un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et une comorbidité anxieuse.
Il s’agit d’une population particulièrement à risque de maltraitance et d’abus sexuels.
Chez le sujet âgé
En l’absence d’épisode thymique antérieur, il est fondamental d’éliminer un syndrome maniaque secondaire à une pathologie non psychiatrique avant de poser le diagnostic de trouble bipolaire à début tardif.
Les altérations cognitives étant souvent au premier plan, il est nécessaire d’en faire une évaluation précise, pour éliminer une démence débutante. Il faut également établir un bilan de l’état général, évaluer le niveau d’autonomie et le risque suicidaire.
Diagnostic différentiel
Cause secondaire
Avant de poser le diagnostic de trouble de l’humeur d’origine psychiatrique, il est nécessaire d’éliminer un épisode thymique de cause secondaire :
- d’origine non psychiatrique : endocrinienne (dysthyroïdies, maladie de Cushing), métabolique, neurologique (tumeur cérébrale, accident vasculaire cérébral, sclérose en plaques, début de démence), maladies systémiques (VIH, infections, cancers, maladies inflammatoires) ;
- d’origine médicamenteuse : L-dopa, corticoïdes, interféron alpha, L-thyroxine, antidépresseurs ;
- d’origine toxique : substances psychoactives (psychostimulants : amphétamines, cocaïne, ecstasy/MDMA ; hallucinogènes : champignons, LSD).
Autres pathologies psychiatriques
Il est nécessaire d’éliminer également les diagnostics différentiels psychiatriques :
- autre trouble de l’humeur (trouble dépressif récurrent encore appelé trouble unipolaire) ;
- schizophrénie ou autre trouble délirant persistant ;
- trouble anxieux sévère ;
- TDAH ;
- trouble de la personnalité (borderline, encore appelé état limite).
Bilan initial
Il comprend :
- une anamnèse complète de tous les épisodes passés (et la réponse aux traitements), avec notamment une recherche des épisodes d’hypomanie (même brefs ou sous antidépresseurs), des facteurs déclenchants éventuels et du niveau de fonctionnement psychosocial ;
- la recherche des antécédents familiaux (psychiatriques et addictologiques) ;
- une recherche systématique des comorbidités les plus fréquentes : troubles anxieux, conduites addictives (notamment la consommation d’alcool, de substances psychoactives et de médicaments), TDAH, troubles des conduites alimentaires et troubles de la personnalité (notamment borderline) ;
- une évaluation du risque suicidaire ;
- un recueil des antécédents médicaux non psychiatriques et un examen clinique complet ;
- un électrocardiogramme avec recherche d’un intervalle QT long congénital (bilan préthérapeutique) ;
- un bilan sanguin, avec ionogramme, glycémie à jeun, calcémie, hémogramme, VS et CRP, bilan hépatique, bilan rénal, TSH ultrasensible, bêta-hCG et bilan des maladies sexuellement transmissibles (conduites à risque) ;
- une recherche des toxiques urinaires, une alcoolémie ;
- un électroencéphalogramme et une imagerie cérébrale (TDM/IRM) en cas de premier épisode, tableau atypique ou modification de la présentation clinique habituelle.
Hypothèses étiopathogéniques
Les hypothèses étiologiques actuelles s’orientent vers des modèles stress-vulnérabilité qui intègrent la vulnérabilité génétique et environnementale dans une approche intégrative multifactorielle.
Dans l’évolution des troubles bipolaires non stabilisés, on note : les cycles rapides, les comorbidités psychiatriques et non psychiatriques (risque cardiovasculaire notamment), le suicide (à l’origine de 15 % des décès dans cette population), les actes médico-légaux et la désinsertion socioprofessionnelle.
Prise en charge thérapeutique
La prise en charge des troubles bipolaires nécessite d’envisager les soins de façon dynamique en fonction du moment dans le parcours de la maladie.
En phase aiguë
Les objectifs, en phase aiguë, sont de réduire la sévérité des symptômes de l’épisode, de prévenir les risques comportementaux, le risque suicidaire, de protéger le patient, ses proches et ses biens.
Épisode maniaque
L’épisode maniaque est une urgence thérapeutique et médicale.
La gestion de l’agitation aiguë par des traitements sédatifs de type neuroleptiques sédatifs (cyamémazine ou loxapine) ou par benzodiazépines (diazépam) est systématiquement proposée per os avant d’envisager une forme intramusculaire. Si l’agitation est réfractaire ou la dangerosité importante, un passage en chambre d’isolement pour diminuer les stimuli ou une contention physique peuvent être prescrits (toujours associés à la sédation).
Une hospitalisation en milieu psychiatrique fermé est souvent nécessaire, et une mesure de contrainte est initiée si le consentement aux soins ne peut être recueilli, soit en soins à la demande d’un tiers (SDT), soit en soins à la demande d’un représentant de l’État (SDRE) s’il y a eu trouble à l’ordre public.
Un traitement médicamenteux thymorégulateur anti-maniaque est débuté le plus précocement possible, le choix étant fonction du terrain et des comorbidités, en privilégiant la monothérapie. Dans l’attente de la réalisation d’un bilan préthérapeutique pour le lithium, l’utilisation des antipsychotiques atypiques ou du valproate de sodium permet d’obtenir un effet rapide sur les symptômes maniaques. Il faut penser à arrêter tout antidépresseur associé.
Les antipsychotiques atypiques peuvent être associés au traitement de fond en cas d’éléments psychotiques, et l'intérêt des traitements adjuvants (anxiolytiques et hypnotiques) est à évaluer en fonction de l’intensité de l’anxiété et des troubles du sommeil. En cas de sévérité ou de résistance, une indication d’électroconvulsivothérapie peut être posée.
Enfin, il faut discuter rapidement la mise en place d’une mesure de protection avec une sauvegarde de justice.
Épisode dépressif caractérisé dans un trouble bipolaire
Pour les épisodes dépressifs caractérisés survenant au cours d’un trouble bipolaire (v. Focus), il faut évaluer le bénéfice/risque de la prescription d’un antidépresseur (toujours sous couverture thymorégulatrice) et évaluer le risque suicidaire.
Populations spécifiques
Chez la femme enceinte ou en âge de procréer : il faut éviter les anticonvulsivants (notamment le valproate de sodium) du fait du risque tératogène (www.lecrat.org). À l’heure actuelle, il est possible d’envisager la prescription de lithium au cours de la grossesse, avec une surveillance obstétricale, psychiatrique et pédiatrique rapprochée. L’électroconvulsivothérapie est également possible si nécessaire. Il ne faut pas oublier de prendre en compte le passage des médicaments dans le lait maternel lors de l’allaitement.
Chez l’enfant et l’adolescent : toute prescription médicamenteuse doit être initiée progressivement, par un spécialiste, avec une posologie adaptée au poids et un suivi médical rapproché. En première intention, il est recommandé d’utiliser une monothérapie par antipsychotique atypique ou par anticonvulsivant (ou l’association des deux).
Chez le sujet âgé : il faut adapter les posologies à la fonction hépatique et rénale, débuter à demi-dose, puis augmenter progressivement. Il faut faire plus spécifiquement attention aux interactions médicamenteuses.
Au long cours
Les objectifs à long terme sont de stabiliser l’humeur, prévenir les rechutes, dépister les comorbidités, informer le patient sur la pathologie et son traitement, préserver son autonomie et sa qualité de vie, ainsi que son niveau de fonctionnement.
Trois médicaments thymorégulateurs ont une autorisation de mise sur le marché en première intention : le lithium, le divalproate de sodium et la quétiapine. D’autres médicaments peuvent être utilisés en cas de mauvaise réponse ou de mauvaise tolérance à ces traitements de première intention.
Principaux régulateurs de l’humeur (thymorégulateurs) (tableau)
Les sels de lithium : le carbonate de lithium (LP 400 mg ou LI 200 mg) a montré son efficacité depuis de nombreuses années et reste le traitement de référence dans le traitement de maintien des troubles bipolaires. Il est également utilisé comme potentialisateur dans les épisodes dépressifs, et reste le meilleur traitement dans la prévention du suicide.
Un bilan préthérapeutique doit être réalisé, avec notamment : hémogramme, ionogramme sanguin, créatininémie et calcul de clairance de la créatinine, protéinurie et glycosurie, bilan hépatique, TSH-us, bêta-hCG (femme en âge de procréer) et électroencéphalogramme (en cas d’antécédent de comitialité). Une surveillance biologique des taux de lithiémie plasmatique et intraglobulaire doit être mise en place (fenêtre thérapeutique étroite avec risque de toxicité à partir de 1,2 mmol/L). Ainsi, toute modification de posologie doit être contrôlée à quatre jours, le matin, à douze heures de la dernière prise. Lorsque la posologie est stabilisée, les bilans sanguins peuvent être progressivement espacés. Une surveillance annuelle de la fonction rénale et thyroïdienne est également nécessaire.
Les principaux effets indésirables sont les tremblements, la prise de poids, la diarrhée, la polyurie et la polydipsie. Il s’agit de faire attention au risque de déshydratation chez le sujet âgé. Une contraception efficace doit être mise en place du fait du risque tératogène au premier trimestre de grossesse. Il faut aussi délivrer une information sur les signes de surdosage et les interactions médicamenteuses.
Les antiépileptiques sont :
- le valproate de sodium est efficace dans l’épisode maniaque et en traitement de maintien. Les effets indésirables principaux sont la prise de poids, les troubles digestifs, la chute de cheveux, les altérations cognitives, les tremblements, le risque d’encéphalopathie par hyperammoniémie et les thrombocytopénies. Le dosage des taux plasmatiques est possible ;
- la carbamazépine est efficace dans l’épisode maniaque, moins en traitement de maintien. Les effets indésirables principaux sont les troubles visuels, les troubles cutanés, les nausées et la leucopénie. Inducteur enzymatique, il faut surveiller les interactions médicamenteuses (notamment avec les contraceptifs oraux et les antivitamines K). Un monitoring des taux plasmatiques est possible ;
- la lamotrigine a une meilleure action sur les troubles bipolaires à polarité dépressive. L’instauration doit être progressive, avec surveillance du risque cutané (syndrome de Lyell Stevens-Johnson). Un monitoring plasmatique est également possible.
Les antipsychotiques atypiques sont l’aripiprazole, l’olanzapine, la quétiapine et la rispéridone.
Il faut surveiller régulièrement l'électrocardiogramme (risque de modification du QTc), l’apparition d’un syndrome métabolique et les effets indésirables extrapyramidaux.
La stimulation magnétique transcrânienne (STMS) peut être indiquée lors des phases dépressives.
L’électroconvulsivothérapie (ECT ou sismothérapie) a pour indications principales les épisodes sévères (avec caractéristiques mélancoliques, catatoniques, psychotiques) ou résistants aux traitements habituels.
Le bilan préthérapeutique comprend une radiographie thoracique, un panoramique dentaire, une imagerie cérébrale récente et une consultation pré-anesthésie.
Les effets indésirables les plus fréquents sont ceux liés à l’anesthésie, associés à des altérations cognitives (notamment mnésiques), le plus souvent résolutifs à distance de la cure.
Les stratégies de prescription
La durée de traitement des troubles bipolaires ne doit pas être inférieure à deux ans, et cinq ans en cas de sévérité. Pour le choix du traitement de maintien dans les suites de l’épisode thymique, il faut évaluer la meilleure stratégie prophylactique, soit :
- la poursuite du traitement de la phase aiguë ayant été efficace (si effet préventif reconnu) ;
- la mise en place d’un traitement ayant un effet préventif spécifique de la polarité prédominante du trouble ;
- l’adaptation en fonction des effets indésirables observés et des comorbidités du patient.
En cas de récidive sous traitement prophylactique, il faut :
- vérifier l’observance ;
- réaliser des dosages plasmatiques du thymorégulateur ;
- optimiser la posologie du traitement de fond ;
- envisager une bithérapie après l’essai de deux thymorégulateurs en monothérapie, ou d’emblée en présence de critères de sévérité.
Éducation thérapeutique
Elle doit s’inscrire dans le parcours du patient, présentée sous la forme de programmes d’information structurés, être progressive, adaptée et répétée. Elle peut être proposée en groupe ou en individuel. Les objectifs sont ainsi multiples : permettre une meilleure compréhension de la maladie et des traitements, une reconnaissance des signes précoces de rechute et des facteurs précipitants, un lien avec les proches, une information sur les conduites à risque. Il peut être utile d’orienter le patient vers les associations de patients.
Respect des rythmes biologiques
Il faut informer sur les facteurs de stress psychosociaux et mettre en place des stratégies d’adaptation : respect des horaires de sommeil, activité physique régulière, alimentation équilibrée, prévention des risques liés à l’usage des substances psychoactives et des conduites à risque (notamment les maladies sexuellement transmissibles et la contraception).
Psychothérapie
Différentes stratégies psychothérapeutiques peuvent être prescrites en fonction des difficultés spécifiques du patient, notamment la thérapie cognitivo-comportementale, la thérapie interpersonnelle avec aménagement des rythmes sociaux ou les thérapies familiales et systémiques.
Prise en charge psychosociale
Les troubles bipolaires font partie de la liste ALD 23 des affections psychiatriques de longue durée donnant droit à une prise en charge à 100 % pour les soins. Il est également possible de compléter un dossier MDPH pour la prise en charge du handicap. Il faut aussi évaluer la nécessité d’une mesure de protection au long cours (curatelle/tutelle) en fonction du niveau d’autonomie. De plus, il est indispensable de faire le lien avec la médecine du travail pour d’éventuelles adaptations de poste (éviter les horaires décalés ou le travail de nuit). Enfin, il ne faut pas négliger les informations de guidance parentale pour les parents souffrant de trouble bipolaire.
La remédiation cognitive, qui permet de pallier les conséquences des troubles cognitives, peut être proposée, comme les diverses stratégies de réhabilitation psychosociale afin de lutter contre les handicaps cognitifs et sociaux.
La connaissance de la sémiologie associée aux fluctuations de l’humeur et des différentes formes évolutives du trouble bipolaire permet d’établir un diagnostic précoce et de guider le praticien dans la prise en charge, permettant une stabilité au long cours et un parcours de vie moins chaotique pour le patient.
Il est important de savoir distinguer la description sémiologique d’un épisode thymique (dépression/manie/hypomanie) de la démarche diagnostique d’un trouble de l’humeur spécifique (trouble bipolaire/trouble dépressif récurrent/dysthymie).
Le trouble bipolaire se définit par la présence des épisodes maniaques/hypomaniaques.
Un bilan clinique et paraclinique systématique doit être réalisé, à la recherche d’un syndrome maniaque ou dépressif secondaire à une cause non psychiatrique.
Les comorbidités associées au trouble de l'humeur – notamment le risque suicidaire, les addictions, les troubles anxieux et le trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) – doivent être prises en charge.
Les principes de prise en charge en phase aiguë et au long cours doivent être connus, notamment les spécificités de la prescription de lithium et l’importance de l’éducation thérapeutique.
Les troubles de l’humeur font régulièrement l’objet de dossiers cliniques sélectionnés pour les épreuves dématérialisées nationales (EDN).
En effet, ce sont des dossiers transversaux à la fois en matière de description sémiologique, de réflexion diagnostique, de comorbidités psychiatriques et non psychiatriques, et d’orientation thérapeutique.
Il faut connaître la terminologie psychiatrique permettant de retranscrire les éléments de l’entretien et de déterminer la sévérité de l’épisode pour orienter la prise en charge. En fonction de la gravité, l’indication de l'électroconvulsivothérapie peut être de première intention.
Savoir reconnaître, dans un dossier d’épisode dépressif, les éléments orientant vers un trouble bipolaire (antécédents d’épisode maniaque ou hypomaniaque, éléments de mixité, virage de l’humeur sous antidépresseur) permet d’envisager la prise en charge au long cours avec l’initiation d’un traitement thymorégulateur. En l’absence de contre-indication spécifique, pour le traitement de maintien, il faut privilégier le lithium comme régulateur de l’humeur, d’où l’importance de connaître les modalités de prescription spécifiques.
La multiplication des items en lien avec l’addictologie, comorbidité fréquente des troubles bipolaires, nécessite une connaissance plus spécifique de la prise en charge des dépendances.
Enfin, l’aspect médico-légal n’est pas à négliger, notamment dans l’initiation de mesures de soins sans consentement, la gestion des agitations aiguës, ainsi que pour les mesures de protection (sauvegarde de justice/curatelle/tutelle).
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