objectifs
DIAGNOSTIQUER un trouble délirant persistant.
ARGUMENTER l’attitude thérapeutique et PLANIFIER le suivi à tous les stades de la maladie.
La nosographie française distingue différents types d’états délirants chroniques non dissociatifs. Dénommés « troubles délirants persistants », ils correspondent aux délires paranoïaques avec les sous-types passionnels, interprétatifs et le délire de relation des sensitifs ; la psychose hallucinatoire chronique (PHC) et la paraphrénie.

Sémiologie du trouble délirant persistant (TDP)

Les différentes formes cliniques du trouble ont de nombreuses caractéristiques sémiologiques communes dont un âge de survenue après 35 ans, une évolution chronique (plus de 6 mois d’évolution) non déficitaire et une absence de syndrome dissociatif.
Parmi les mécanismes délirants, différents éléments dépendent de la forme clinique : les interprétations se retrouvent surtout dans les délires paranoïaques ; les hallucinations psychosensorielles (auditives, visuelles, cénesthésiques, olfactives, gustatives…) et intrapsychiques (automatisme mental avec syndrome d’influence) sont surtout retrouvées dans la psychose hallucinatoire chronique ; l’imagination se retrouve surtout dans la paraphrénie.
Les thèmes délirants peuvent être de la persécution (liée au mécanisme interprétatif), de la mégalomanie, de la filiation, de la revendication, ou être mystiques, cosmiques.
Le délire est structuré, construit ou systématisé, sauf dans la psychose hallucinatoire chronique. Il faut en préciser l’extension, soit en secteur si les idées délirantes restent centrées sur une thématique ou sur un objet, soit en réseau si ces idées délirantes s’enrichissent progressivement et s’étendent à l’ensemble de la vie (professionnelle, affective, relationnelle) du sujet. La participation affective du sujet est variable (anxiété, humeur fluctuante). Il faut rechercher une personnalité prémorbide (paranoïaque, sensitive) à distance d’un épisode délirant aigu. Enfin, il faut faire un examen clinique somatique afin d’éliminer une cause organique.
Les troubles délirants persistants tels qu’ils sont décrits dans la littérature médicale française n’existent pas dans la classification DSM-5 de l’American Psychiatric Association. Les principaux critères diagnostiques sont définis dans le tableau 1.
Il est nécessaire de spécifier différents éléments :
le type : érotomaniaque, mégalomaniaque, jalousie, persécution, somatique, mixte ou non spécifié ;
le type de contenu : le contenu bizarre correspond à des idées délirantes qui sont jugées bizarres si elles sont clairement invraisemblables, non compréhensibles et qu’elles ne dérivent pas d’expérience de la vie ordinaire ;
l’évolution (uniquement si au moins une année s’est écoulée depuis la survenue initiale du trouble) : premier épisode, actuellement en épisode aigu ; premier épisode, actuellement en rémission partielle ; premier épisode, actuellement en rémission complète ; multiples épisodes, actuellement en épisode aigu ; multiples épisodes, actuellement en rémission partielle ; multiples épisodes, actuellement en rémission complète ; continu ; non spécifié ;
la sévérité actuelle ; la sévérité est cotée par une évaluation quantitative des symptômes psychotiques primaires :
. idées délirantes ;
. hallucinations ;
. désorganisation du discours ;
. comportements psychomoteurs anormaux ;
. symptômes négatifs.
Chacun de ces symptômes peut être coté pour la sévérité actuelle sur une échelle allant de 0 (absent) à 4 (présent et grave).

Délires paranoïaques

Les délires paranoïaques comprennent les délires passionnels (érotomanie, jalousie, revendication), d’interprétation et de relation des sensitifs.

Délires paranoïaques passionnels

Ces délires sont centrés autour d’un thème prévalent, obsédant et abstrait. Ils débutent généralement par une interprétation ou par une intuition délirante et peuvent s’enrichir secondairement d’interprétations délirantes. Ils sont systématisés, organisés en secteur. L’examen somatique et addictologique est sans particularité. Il existe un retentissement sur le plan social. Les diagnostics différentiels sont résumés dans le tableau 2.
Le délire de jalousie a souvent un début insidieux avec l’installation d’une idée source d’interprétations multiples mais le (la) conjoint(e), l’époux(se) peut réellement tromper l’autre. Ce type de délire interprétatif touche surtout les hommes ayant une possible personnalité paranoïaque sous-jacente. La personne met en place des enquêtes, des filatures, surveille les e-mails, les textos, les connexions sur les réseaux sociaux, peut mettre en cause des amis, la famille, recherche constamment des preuves. Le délire est interprétatif avec une adhésion totale lors des décompensations aiguës. La participation affective du délire est marquée par des actes hétéro-agressifs, des moments d’autodépréciation. Les principales complications de ce type de délire sont la dépression avec un risque suicidaire, une consommation excessive voire addictive d’alcool favorisant le passage à l’acte.
Le délire érotomaniaque ou l’érotomanie évolue selon 3 stades décrits par Gaëtan de Clérambault : l’espoir (attente, lettres, cadeaux, SMS, chats sur réseaux sociaux, e-mails), le dépit (tristesse, anxiété, anhédonie) et la rancune (menaces, actes auto- ou hétéro- agressifs). Il touche les femmes, âgées de plus de 35 ans, célibataires le plus souvent, de bon niveau socioprofessionnel. Défini par la conviction délirante d’être aimée, l’objet du délire est une personne de niveau social plus élevé le plus souvent. Le délire est interprétatif, avec une adhésion totale lors des décompensations aiguës. L’évolution est marquée par la dépression, le risque suicidaire, les troubles du comportement agressifs, les conduites addictives.
Les délires de revendication peuvent se développer lors d’un échec ou d’un conflit, avec la conviction délirante d’être victime d’un préjudice. La revendication tourne autour de différents thèmes et est associée à une tendance procédurière : inventeur méconnu (croit s’être fait voler son idée), quérulent processif (fait des procès à répétition), sinistrose (majoration inconsciente des séquelles éventuelles d’un état pathologique pourtant guéri, d’un désir de réparation, souhait d’obtenir l’indemnité la plus élevée possible), filiation (conviction délirante d’être issue d’une ascendance illustre), hypochondrie (préoccupations corporelles, hors de toute réalité, centrées sur la maladie, transformation corporelle, centrée souvent sur les modifications d’un organe particulier), idéaliste passionné (passionné par une cause politique, mystique…).

Délires d’interprétation

La construction de ce délire chronique se fait à partir de plusieurs interprétations diverses centrées sur le fait que tout ce que le sujet perçoit a une signification rapportée à lui-même (idées de référence). Ce tableau, à thématique de persécution, est systématisé en réseau. Son évolution est émaillée par des moments féconds délirants et des moments avec une symptomatologie d’allure dépressive. Il peut y avoir des dépôts de plaintes, des dénonciations, des troubles du comportement auto- ou hétéro-agressifs, une tentative de meurtre du persécuteur désigné dans les moments féconds.

Délire de relation des sensitifs

Ce type de délire se développe chez des sujets ayant une personnalité prémorbide sensitive. Il naît progressivement suite à une déception amoureuse, professionnelle ou un conflit et se construit sur des interprétations délirantes. Les principales thématiques sont la persécution, la référence. Il existe une tonalité dépressive. Le sujet supporte passivement les persécutions dont il est l’objet. L’évolution du délire est d’ailleurs émaillée par des moments dépressifs.

Psychose hallucinatoire chronique (PHC)

Il s’agit d’un trouble délirant persistant caractérisé par une richesse hallucinatoire, la rareté des interprétations délirantes, l’absence de démence et une apparition tardive surtout chez les femmes de plus de 35 ans, célibataires ou veuves, isolées sur le plan social et/ou affectif.
Dans les classifications internationales, il est évoqué le terme de schizophrénie d’apparition tardive qui est donc comparée à une forme moins sévère, à début tardif et à manifestations productives de la schizophrénie. Il existe de possibles facteurs déclenchants aspécifiques comme un décès, l’éloignement, une rupture avec son milieu amical ou familial, une pathologie.
Le tableau clinique débute brutalement par un trouble psychotique bref (état délirant aigu) polymorphe dans ses mécanismes (hallucinations, automatisme mental) et ses thèmes ou plus progressivement.
La psychose hallucinatoire chronique est un délire chronique dont les mécanismes sont multiples : hallucinations auditives, visuelles, olfactives, gustatives, cénesthésiques ; automatisme mental (sentiment de perte du contrôle de sa vie psychique et des limites de sa personne ; pensées, actes devinés, imposés, commentés par une ou plusieurs voix intérieures (impression de vol, de devinement de la pensée ; écho, anticipation de la pensée, de la lecture et de l’écriture) avec possible syndrome d’influence (obligation d’accomplir des actes, parfois acte suicidaire imposé ou actes médico-légaux) ; interprétations ; intuitions.
Les patients se défendent en discutant avec leurs voix, en multipliant les précautions, d’où les comportements pathologiques à type de fugue, de protection des oreilles, du sexe, de leur domicile, de plaintes fréquentes à la police ou aux représentants de l’État.
Les thèmes délirants sont le plus fréquemment la persécution, la possession par un tiers, le sentiment de grandeur, de puissance, le sexe, l’influence. À la différence des autres délires chroniques, la psychose hallucinatoire chronique n’est pas systématisée (du fait de son caractère polymorphe). L’adhésion au délire est totale et il existe un vécu sur un mode anxieux ou dépressif. L’examen somatique et addictologique est sans particularité.
L’évolution chronique est d’aggravation progressive. Il existe des phases de rémission avec des décompensations délirantes, un enkystement du délire (persistance d’éléments délirants à bas bruit comme quelques hallucinations, par exemple), une dépression, un risque suicidaire, un isolement social. Un déclin des fonctions supérieures est possible quelques années après le début des troubles.

Paraphrénie

Décrite par Emil Kraepelin, il s’agit d’une forme intermédiaire de délire chronique, survenant le plus souvent chez l’homme âgé de plus de 35 ans, de mécanisme imaginatif prépondérant. Le système délirant coexiste le plus souvent avec une pensée normale. Les fonctions intellectuelles et sociales du sujet sont préservées. Le diagnostic est souvent fait secondairement la plupart du temps, le patient venant consulter pour un autre motif.
Le début du trouble est marqué soit par un accès délirant aigu brutal, soit par un insidieux, progressif (retrait affectif, bizarreries...). Il existe une richesse de la production imaginative.
Les thèmes sont fantastiques (filiation, création, métamorphoses corporelles ou cosmiques), la mégalomanie et la grandeur (parti­cipation aux événements historiques, interplanétaires, identification aux rois, aux dieux...), l’influence (emprise, procédés magiques, scientifiques…), la persécution (empoisonnement, complots, harcèlement par d’innombrables persécuteurs comme le démon, le diable, le mâlin...), la pensée magique, le remaniement spatial et/ou temporel et de la réalité. Le délire est systématisé en secteur, avec une adhésion totale au délire, une participation affective intense (exaltation dans l’expression du délire). L’examen somatique et addictologique est sans particularité.
Deux formes cliniques de paraphrénie sont décrites :
la paraphrénie fantastique, avec des mécanismes imaginatifs, hallucinatoires, riches, complexes, un automatisme mental, des thèmes mégalomaniaques, de science-fiction, de mythologie, oniriques ;
la paraphrénie confabulante, avec des mécanismes imaginatifs, des thèmes mégalomaniaques, de filiation, une fabulation, une impression de déjà-vu, une illusion.
L’évolution de cette pathologie est marquée par une alternance de périodes d’exacerbation délirante, d’exaltation de l’humeur, suivies de phases de rémission.

Attitude thérapeutique

La prise en charge thérapeutique est similaire pour ces différentes formes cliniques.
L’hospitalisation est nécessaire lors des phases de décompensation délirante. Il faut privilégier l’hospitalisation libre. En cas de refus de soins, il faut envisager des soins psychiatriques sous contrainte de type soins psychiatriques en péril imminent, afin de ne pas impliquer de tiers, surtout dans les délires d’interprétation, ou sur décision du représentant de l’État en cas de danger ou de sécurité d’autrui mise en jeu. Pour les décompensations délirantes, il faut prescrire des traitements neuroleptiques sédatifs (loxapine, Loxapac ; cyamémazine, Tercian p. ex.) ou des benzodiazépines (diazépam, Valium p. ex.) pour sédater une agitation, une conduite agressive. Sur le plan curatif, il faut envisager, après bilan préthérapeutique (hémogramme, ionogramme sanguin [kaliémie], transa­minases, GGT, ECG), des antipsychotiques atypiques (rispéridone, Risperdal ; olanzapine, Zyprexa ; aripiprazole, Abilify p. ex.). En cas de mauvaise observance, un traitement d’entretien par neuro­leptiques d’action prolongée (Risperdalconsta p. ex.) pourra être envisagé (dans la psychose hallucinatoire chronique p. ex.). En situation aiguë, une psychothérapie de soutien sera associée. Un suivi ambulatoire doit être programmé avec un travail en réseau entre le médecin traitant, le centre médico-psychologique (CMP) dépendant du secteur de soins dont dépend le patient.
Pour la paraphrénie, il n’existe aucune demande de soins, le plus souvent, et aucune prise de traitement psychotrope sauf lors de phases de décompensation délirante ou dépressive.
Points forts
Trouble délirant persistant

Les troubles délirants persistants sont des états délirants chroniques (plus de 6 mois d’évolution) non dissociatifs. Ils correspondent aux délires paranoïaques avec les sous-types passionnels, interprétatifs et le délire de relation des sensitifs, la psychose hallucinatoire chronique et la paraphrénie. Ils surviennent après l’âge de 35 ans. Les interprétations se retrouvent surtout dans les délires paranoïques, les hallucinations psychosensorielles et intra-psychiques sont surtout retrouvées dans la psychose hallucinatoire chronique ; l’imagination se retrouve surtout dans la paraphrénie. Les troubles délirants persistants sont structurés et organisés (en secteur ou en réseau) sauf pour la psychose hallucinatoire chronique. Pas de soins psychiatriques sur demande d’un tiers dans les délires paranoïques. Le traitement est symptomatique (neuroleptiques sédatifs ou benzodiazépines) et curative (antipsychotiques atypiques) et combiné à une psychothérapie de soutien.

Pour en savoir
Karila L. Psychiatrie, pédopsychiatrie, addictologie. Medline E, ed., 2014.
American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-5. 5th ed. Washington, DC: American Psychiatric Association 2013. 947 p.
Hulak F. Les paraphrénies : nosographie. EMC. Psychiatr 2008 Jan;5(1):1-15.

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