Les troubles du comportement alimentaire (TCA) regroupent essentiellement trois entités : anorexie mentale, boulimie et hyperphagie boulimique. Leur prévalence augmente, les complications sont parfois irréversibles, les comorbidités psychiatriques quasi systématiques, et un même patient peut passer d’une forme à l’autre de TCA.
Le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux)1 identifie sous le terme « troubles du comportement alimentaire » trois entités nosologiques principales : l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie boulimique (
– anorexie atypique, lorsque les symptômes de l’anorexie mentale sont présents chez une personne de poids normal ou en surpoids ;
– épisodes de boulimie ou hyperphagie boulimique dont la fréquence et la durée sont limitées ;
– troubles purgatifs de l’alimentation sans accès hyperphagique avant la conduite de purges ;
– syndrome d’alimentation nocturne, avec des épisodes fréquents d’alimentation la nuit, lors de réveils, après le dîner, en état de conscience ;
– trouble de restriction ou évitement de l’ingestion d’aliments (avoidant restrictive food intake disorder, ARFID), caractérisé par un désintérêt ou un dégoût de la nourriture, entraînant une insuffisance pondérale, mais en l’absence d’autres symptômes évocateurs d’un autre TCA (en particulier, sans distorsion de l’image corporelle ou envie de maigrir).
Est-ce que les TCA sont rares ?
Une augmentation de leur prévalence est rapportée par plusieurs travaux, ces dernières années. La prévalence vie entière de tout TCA est estimée à 8,4 % chez les femmes et 2,2 % chez les hommes, tandis que la prévalence ponctuelle est estimée à 5,7 % chez les femmes et 2,2 % chez les hommes.2
L’anorexie mentale concerne environ 1,4 % des femmes et 0,2 % des hommes au cours de leur vie. Dans la moitié des cas, elle débute entre 13 et 18 ans, avec un pic identifié à 16 ans.
De même, la boulimie et l’hyperphagie boulimique débutent le plus souvent à l’adolescence et au début de l’âge adulte.
La boulimie touche environ 1,5 % des jeunes entre 11 et 20 ans, et concerne environ 3 filles pour 1 garçon.
L’hyperphagie boulimique est le plus fréquent des troubles du comportement alimentaire (3 à 5 % de la population, et plus de 15 % des patients qui consultent pour surpoids).3 Elle touche presque autant les hommes que les femmes et elle est plus souvent diagnostiquée à l’âge adulte. Les patients souffrant d’hyperphagie boulimique rapportent une survenue plus tardive et une durée plus longue de leur trouble alimentaire par rapport aux autres TCA.
Au cours de la vie entière, le passage d’une forme de trouble alimentaire à une autre est très fréquent. Il est donc nécessaire de réévaluer régulièrement les symptômes. On estime ainsi que 20 à 50 % des patientes ayant une anorexie mentale ont des crises de boulimie et que 27 % des patients avec boulimie ont des antécédents d’anorexie mentale. Enfin, un diagnostic d’anorexie mentale, de boulimie ou d’hyperphagie boulimique est fréquemment évoqué dans les deux ans qui suivent l’apparition d’un trouble de la catégorie hétérogène des OSFED.
Diagnostiquer un TCA en ambulatoire
Il a été montré que les personnes atteintes de TCA consultent plus fréquemment leur médecin traitant que la population générale dans les années précédant le diagnostic.
La prise en charge précoce de toute forme de TCA, notamment subsyndromique (jusqu’à 5 % de la population générale), permet de prévenir le risque d’évolution défavorable (formes chroniques et sévères) et de diminuer le risque de complications (somatiques, psychiatriques et psychosociales). Le repérage précoce est aussi l’occasion de délivrer au patient des informations sur la maladie et ses conséquences.4
Profil des patients à risque
Les populations à risque sont les adolescentes et les jeunes femmes, les mannequins, les danseurs, les sportifs (
Il est important d’évoquer l’éventualité d’une comorbidité alimentaire chez des patients souffrant d’autres pathologies psychiatriques.
Les antécédents s’associant le plus fréquemment à ces TCA sont à rechercher : surpoids, obésité, chirurgie bariatrique, TCA et/ou troubles métaboliques chez des membres de la famille, antécédents personnels d’agression ou de maltraitance.
Boulimie et hyperphagie boulimique : souvent cachées
Souvent invisibles et tues par les personnes qui en souffrent, la boulimie et l’hyperphagie boulimique peuvent être décelées lors d’un entretien et d’un examen clinique attentifs.
La boulimie est évoquée en cas de vomissements ou d’hypokaliémie inexpliquée. D’autres symptômes peuvent alerter, tels une perturbation des cycles menstruels, une infertilité, des plaintes digestives inexpliquées et des troubles du transit, un reflux gastro-œsophagien, un pyrosis, des problèmes dentaires divers, des pathologies impliquant des régimes (diabète de type 1, par exemple).
Pour caractériser les éléments d’une crise de boulimie, on interroge le patient sur les modalités de ces crises : où, à quel rythme, et comment se déroulent-elles, quels en sont les facteurs déclenchants (émotions, aliments), quels gestes y sont associés, quels types d’aliments et de boissons sont consommés, si une consommation d’alcool ou une potomanie s’y associe. Enfin, on recherche d’éventuelles conduites de purge (ou d’autres stratégies de contrôle de poids) pour différencier boulimie et hyperphagie boulimique. C’est la fréquence des crises qui permet d’en apprécier la gravité. L’examen clinique cherche des signes indirects de ces vomissements (érosions cutanées sur les doigts, hypertrophie de l’angle sous-mandibulaire, érosion dentaire, etc.).5
Il est important de dépister une hyperphagie boulimique chez des patients en surpoids, lors d’une demande de chirurgie bariatrique ou devant le constat d’un échec de perte de poids après chirurgie.
Anorexie : des signes variables selon l’âge et le sexe
Pour l’adolescent, la demande émane souvent de la famille, le patient pouvant longtemps s’opposer à la consultation. On note bien souvent des conflits autour des repas, avec un réaménagement de la dynamique familiale autour du trouble. Il est important de rechercher un retard pubertaire, voire une aménorrhée. Un hyperinvestissement scolaire ou sportif sont fréquents.
Chez l’adulte, plusieurs éléments peuvent faire suspecter une anorexie mentale :
– indice de masse corporelle (IMC) inférieur ou égal à 18,5 kg/m2 et perte de poids rapide et importante coexistant avec un refus ou une peur de reprendre du poids ;
– exigence de contrôle ;
– rigidité alimentaire ;
– surinvestissement professionnel, sportif et/ou intellectuel.
Une aménorrhée secondaire doit être recherchée chez la femme.
Chez l’homme, l’anorexie mentale est plus rare. Elle se manifeste plutôt comme un rejet de la masse graisseuse au profit de la masse musculaire. Cette anorexie mentale peut s’associer à des comorbidités psychiatriques et à des troubles de la personnalité, qui sont à rechercher. L’hyperactivité physique est souvent très marquée. Les valeurs d’IMC sont plus élevées, mais à IMC égal, la dénutrition est moins bien tolérée que chez la femme.
Comment aborder la question ?
Le patient peut rencontrer des difficultés à parler spontanément de ses troubles du comportement alimentaire ; des sentiments de honte, de déni, de peur du jugement et de culpabilité peuvent être des obstacles à une prise en charge ciblée. De ce fait, une prise en considération globale du patient est particulièrement conseillée : dimensions psychologique, somatique et sociale et écoute bienveillante.
Les difficultés alimentaires sont ensuite abordées avec précision et sans perdre de vue le mal-être qu’elles engendrent chez le patient. Introduire le sujet en banalisant leur annonce et en accueillant dans la bienveillance la réponse est souvent utile : « À votre âge, pas mal de personnes utilisent les vomissements tant ils se sentent mal dans leur corps, comment cela se passe pour vous ? » Il peut être bénéfique pour l’alliance thérapeutique de soulager le patient des sentiments de culpabilité et de dévalorisation qu’il peut éprouver (« nous allons lutter ensemble contre cette maladie »), de renforcer au fil du temps les progrès faits (redonner espoir), et de délivrer des informations quant aux perspectives de guérison de ce trouble.
Aides au dépistage
Les paramètres anthropométriques (poids, taille, indice de masse corporelle) peuvent être révélateurs d’un TCA débutant ou installé. Le médecin peut également se servir de questionnaires, à proposer à l’oral ou par écrit : par exemple, le SCOFF (pour Sick, Control, One stone, Fat, Food) en cinq items (
À défaut, le praticien peut poser des questions ciblées : « Avez-vous ou avez-vous eu un problème avec votre poids ou votre alimentation ? » ; « Est-ce que l’alimentation, le poids ou votre silhouette représentent des préoccupations envahissantes pour vous ? ».
Le carnet de santé est un outil précieux chez l’enfant pour la surveillance des courbes de croissance staturo-pondérale : un ralentissement de la courbe de taille ou un changement de couloir de la courbe d’indice de masse corporelle (IMC) peuvent évoquer une altération du comportement alimentaire. Chez les enfants, il existe souvent un refus alimentaire justifié par des plaintes somatiques, notamment abdominales.
Au début de la prise en charge, les patients ont souvent des difficultés à reconnaître le caractère pathologique de leur comportement alimentaire ; l’entourage peut alors aider à l’investigation.
Considérer le patient dans sa globalité
L’évaluation globale du patient vise à caractériser le retentissement social des troubles, avec une attention portée aux dynamiques familiale, relationnelle, professionnelle et économique (sans oublier que les crises de boulimie engendrent souvent une dépense financière importante).
On évalue le retentissement de ces comportements sur le sommeil, l’humeur (en recherchant les idées suicidaires), la libido, la sphère sociale, professionnelle et économique, les sentiments associés aux crises de boulimie et l’impact sur l’image corporelle.
Chercher une pathologie associée
Les comorbidités psychiatriques sont la règle, et non pas l’exception, chez les patients souffrant de TCA : troubles dépressifs et anxieux, personnalité limite, trouble obsessionnel-compulsif, troubles du spectre autistique, etc. Les comorbidités psychiatriques sont très fréquentes, et le suicide reste une des principales causes de décès pour cette population (1 % de décès par an pour l’anorexie mentale). Il est donc important d’examiner le risque suicidaire, en abordant aussi les comportements d’automutilation, comme les scarifications. Il est très fréquent de retrouver une comorbidité thymique, addictive, des troubles anxieux, des troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et des troubles de la personnalité, en particulier le trouble de la personnalité limite (borderline). Les patients avec ces types de TCA peuvent avoir un niveau prononcé d’impulsivité, qui peut faciliter les crises de boulimie et également les comportements auto-agressifs en situation de détresse.
Devant certains tableaux de conduite d’hyperphagie avec obésité, et notamment si d’autres anomalies cliniques sont présentes (hypogonadisme, troubles cognitifs ou du comportement), il est important d’exclure une maladie génétique (syndrome de Prader-Willi, par exemple).
Complications somatiques : parfois irréversibles
Le médecin traitant tient un rôle essentiel dans le dépistage des complications somatiques des TCA ; leur prise en charge peut relever de plusieurs niveaux d’intervention, dont l’hospitalisation en urgence.7
Atteintes gastro-intestinales
La constipation est la plainte digestive la plus fréquente, et ses causes sont multiples : diminution du bol alimentaire, atonie intestinale, conduites de purge fréquentes… La prescription de laxatifs est particulièrement délicate en cas d’anorexie, et toute demande doit faire l’objet d’une évaluation approfondie du terrain et des enjeux. En effet, l’abus de laxatifs est une conduite de lutte contre la prise de poids fréquemment retrouvée. Par ailleurs, il est prudent d’éviter la prescription de laxatifs irritants afin de ne pas aggraver une possible mélanose colique.
Une gastroparésie peut entraîner un retard de vidange gastrique. Elle est à évoquer devant une satiété précoce, des douleurs abdominales hautes et des ballonnements, bien que ces signes soient aspécifiques.
Plusieurs complications peuvent être induites par les vomissements répétés :
– atteintes buccodentaires (érosion de l’émail dentaire, caries, déchaussements dentaires, gingivopathie, mycoses buccales…) ;
– tuméfactions et inflammations des glandes salivaires (parfois des parotidomégalies douloureuses) ;
– reflux gastro-œsophagien ;
– œsophagite, voire œsophage de Barrett (métaplasie des cellules de la muqueuse œsophagienne).
Une fibroscopie œsogastroduodénale est donc recommandée pour les patients ayant des vomissements itératifs, avec prescription possible d’un inhibiteur de la pompe à protons.
La perte de poids et le jeûne peuvent induire une élévation des transaminases hépatiques modérée et stable (< 5 fois la normale).
Les cytolyses de dénutrition peuvent être légères à sévères (> 10 fois la normale) et peuvent s’accompagner d’une insuffisance hépatocellulaire.
Les enzymes hépatiques peuvent également augmenter en cas de réalimentation trop rapide chez un patient très dénutri : c’est le syndrome de renutrition inappropriée. Cytolyse de dénutrition et syndrome de renutrition inappropriée sont des urgences médicales à prendre en charge dans un service hospitalier spécialisé.
Atteintes cardiovasculaires et pulmonaires
Bradycardie et hypotension artérielle adaptatives sont fréquentes chez les patients dénutris.
Une hypertension artérielle, une bradycardie < 40 batt/min et/ou une tachycardie > 100 batt/min doivent alerter le praticien et peuvent être avant-coureurs d’une décompensation cardiaque.
Un allongement de l’intervalle QT (secondaire ou non à une hypokaliémie) sur l’électrocardiogramme est un indicateur du risque de complications cardiaques (arythmie et torsades de pointe). Les patients dénutris doivent bénéficier d’une échographie cardiaque pour exclure un épanchement péricardique secondaire à la dénutrition, pouvant aller jusqu’à la tamponnade dans les cas les plus graves.
Plus rares, les complications pulmonaires menacent cependant le pronostic vital. Les membranes sont affaiblies par la dénutrition et par l’érosion chronique due aux vomissements répétés. Peuvent alors survenir emphysème (y compris sans antécédent de tabagisme), pneumothorax spontané et pneumomédiastin. Les pneumopathies d’inhalation sont plus rares, mais sont possibles en cas de vomissements.
Enfin, l’hyperphagie boulimique avec obésité constitue un risque cardiovasculaire.
Atteintes hématologiques
Les trois lignées sanguines sont affectées par la dénutrition, qui peut entraîner une dégénérescence gélatineuse de la moelle osseuse, en contexte de carences multiples. L’anémie est la complication la plus fréquente et peut être multifactorielle (hyporégénération, carence en fer, carence en folates et vitamine B12, insuffisance rénale). La leucopénie (neutropénie, lymphopénie) doit être surveillée attentivement (risque d’immunodépression). La thrombopénie est plus rare mais peut occasionner un risque hémorragique.
De même, une diminution du taux de prothrombine peut survenir. Elle peut être secondaire à un déficit en vitamine K, ou à une insuffisance hépatocellulaire. Elle doit alerter et faire réaliser un dosage des autres facteurs de la coagulation.
Atteintes endocriniennes et métaboliques
La complication endocrinienne la plus fréquente est l’aménorrhée primaire ou secondaire d’origine hypothalamique. Dans certains cas, elle précède l’amaigrissement. Une ovulation peut néanmoins persister ; il est donc indispensable de prévenir la patiente anorexique ayant une activité sexuelle et n’ayant pas de projet de grossesse et de lui conseiller une contraception adaptée.
L’hypoglycémie est très fréquente et peut témoigner de la déplétion hépatique des stocks en glycogène, des perturbations du métabolisme du glucose et de l’insuffisance de la néoglucogenèse. Un dosage de la TSH doit être prescrit (il est normal), pour éliminer le diagnostic différentiel d’hyperthyroïdie. Dans l’anorexie mentale, des taux abaissés de T3 et T4 libres sont possibles, mais ne nécessitent pas de supplémentation.
L’hyperphagie boulimique et l’obésité entraînent un risque métabolique (diabète de type 2, en particulier).
Les vomissements itératifs, l’abus de certains diurétiques et de laxatifs exposent au risque d’hypokaliémie (perte rénale pour les diurétiques et les vomissements ; perte digestive pour les laxatifs). Les hypokaliémies à répétition peuvent induire des troubles de conduction mais aussi une altération de la fonction rénale par néphropathie interstitielle chronique.
Une alcalose hypochlorémique est également possible en cas de vomissements répétés.
Des dysnatrémies sont observées : hypernatrémie secondaire à une déshydratation (vomissements, laxatifs) ; hyponatrémie secondaire à une potomanie, carence d’apports, syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique.
L’hypoprotidémie avec hypoalbuminémie est d’origine carentielle. Elle peut donner cliniquement des œdèmes.
La renutrition peut entraîner une hypophosphatémie, avec risque d’insuffisance multi-organe.
Magnésémie et calcémie sont normales ou basses.
La cholestérolémie totale est normale ou élevée (excès de synthèse endogène de cholestérol, réactionnel à la carence d’apports alimentaires).
Atteintes osseuses
La structure osseuse est souvent altérée en cas d’anorexie mentale, du fait de multiples facteurs : carences (en vitamine D, calcium, protéines…), manque d’imprégnation en hormones sexuelles, à l’origine d’une augmentation de la résorption osseuse et d’une diminution de sa synthèse. L’ostéodensitométrie permet de quantifier l’ostéopénie (Z-score entre -1 et -2,5) et l’ostéoporose (Z-score < -2,5), en deux sites (fémoral et lombaire). Avant 50 ans, on privilégie le Z-score, qui permet de comparer la densité minérale osseuse avec celle de femmes du même âge. L’ostéodensitométrie est recommandée à partir de six mois d’aménorrhée et doit être répétée ensuite tous les deux ans. Le risque de fractures (fracture du col du fémur, tassement vertébral, fracture spontanée, fracture de fatigue) augmente avec l’intensité de la déminéralisation osseuse.
En cas de trouble alimentaire ancien, il est important de répéter la mesure de la taille. En effet, la déminéralisation osseuse suit un patron axial et expose particulièrement au risque de fractures vertébrales, souvent asymptomatiques mais pouvant induire des tassements vertébraux.
Le risque osseux (ostéopénie, ostéoporose) menace également l’homme souffrant d’anorexie mentale.
Risques obstétricaux
Les complications obstétricales et néonatales décrites comprennent des fausses couches spontanées, la prématurité, un retard de croissance in utero, un petit poids de naissance et une dystocie. La grossesse chez une patiente atteinte de TCA doit être considérée comme à risque et doit bénéficier d’un accompagnement spécialisé.
Atteintes neurologiques
L’anorexie mentale peut être associée à une atrophie cérébrale, d’intensité variable mais souvent significative en imagerie (diminution corticale, élargissement des ventricules cérébraux), et réversible à la renutrition, mais après un délai. Les capacités cognitives peuvent être altérées du fait de l’anorexie mentale : des troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire. Il est important d’informer le patient du retentissement neurologique de la dénutrition, ce qui pourrait représenter un levier pour l’obtention et le maintien d’un poids normal.
On observe fréquemment une asthénie liée à la dénutrition, aux crises de boulimie et souvent aux perturbations du sommeil, qu’il faut toujours rechercher.
Une hypotonie axiale et un ralentissement psychomoteur sont également possibles.
Les troubles de la conscience, le coma ou les convulsions sont des urgences absolues.
Atteintes de la peau et des phanères
Parmi les complications dermatologiques, on retrouve une fragilité cutanée, avec ecchymoses, escarres, retard de cicatrisation et troubles de la microcirculation, majorée par le froid entraînant une couleur bleu-violacé des extrémités (acrocyanose). Les cheveux sont ternes, cassants, avec une chute importante et parfois une alopécie. Les ongles sont secs, cassants, striés. Un duvet apparaît progressivement sur les épaules, le dos et certaines parties du visage. L’amaigrissement entraîne une amyotrophie, une disparition des caractères sexuels secondaires chez les femmes (fesses, seins, hanches) donnant une morphologie androgyne, une diminution du pannicule adipeux sous-cutané et des os saillants (côtes, bassin, omoplates…). Des œdèmes (membres inférieurs, lombes, visage) peuvent être associés, faussant le suivi pondéral ; ils témoignent alors d’une malnutrition protéino-énergétique.
Quelle prise en charge proposer au patient ?
La Haute Autorité de santé (HAS) a publié des recommandations de bonne pratique pour l’anorexie mentale8 et la boulimie5, dans le but d’améliorer la prise en charge des patients et de leur entourage, et de garantir une orientation initiale optimale : ambulatoire ou hospitalière selon les indications (
Médecin traitant et psychiatre, main dans la main
Le soignant de premier recours, qui peut être le médecin généraliste, organise des soins ambulatoires pluridisciplinaires après avoir posé le diagnostic, informé le patient et exclu tout danger vital. Il est important que le médecin qui ne possède pas d’expertise dans le champ des TCA demande un avis et/ou une prise en charge spécialisée à un confrère plus expérimenté ou spécialisé. Le socle de cette prise en charge doit ainsi être représenté par un médecin somaticien et un médecin psychiatre. Il est indiqué qu’il y ait un médecin coordinateur, qui doit être désigné en fonction des souhaits du patient. Des outils et associations à destination des patients peuvent être conseillés (v.
Anorexie : éliminer l’urgence
La HAS préconise de débuter la prise en charge de l’anorexie mentale en ambulatoire, sauf en cas d’urgence somatique ou psychiatrique. Lorsque la dénutrition est trop sévère et met en jeu le pronostic vital à court terme, la priorité doit être donnée à la prise en charge somatique ; l’approche psychothérapeutique (thérapie familiale, remédiation cognitive, entretien motivationnel, thérapie cognitivo-comportementale [TCC]) se limitant alors à du soutien ou étant différée une fois la stabilisation somatique atteinte.
Boulimie et hyperphagie boulimique : faire cesser les crises
Concernant la boulimie et l’hyperphagie boulimique, l’objectif de la prise en charge consiste en un arrêt des crises de boulimie, dans un contexte d’objectifs thérapeutiques englobant une dimension psychologique, somatique et sociale. Un suivi psychothérapeutique peut être bénéfique pour aider le patient dans sa démarche de sevrage des crises. Les mêmes approches que pour l’anorexie mentale peuvent être utilisées, en ajoutant la méditation en pleine conscience, récemment démontrée comme efficace dans la boulimie et l’hyperphagie boulimie.9
Dépister l’aggravation et adapter la prise en charge
La situation clinique, psychique, nutritionnelle, familiale et sociale doit être réévaluée au moins mensuellement. Cela permet de dépister tout signe de gravité pouvant requérir une intensification de la prise en charge, et de surveiller dans le temps l’efficacité des soins ambulatoires.
Pour tout TCA, en cas d’échec de suivi en ambulatoire, des prises en charge plus intensives sont envisagées en hôpital de jour ou en unités spécialisées dans les TCA. Ces dernières fonctionnent en hospitalisation programmée, qu’il s’agit impérativement de préparer avec le patient. De ce fait, en cas d’indication à une hospitalisation en unité spécialisée, le patient est amené à voir les psychiatres responsables de l’unité une ou plusieurs fois en consultation, pour recevoir les informations nécessaires sur le fonctionnement de l’hospitalisation, ses objectifs et ses modalités.
La Fédération française anorexie boulimie (FFAB) est une association regroupant des spécialistes du dépistage, du diagnostic, de la prise en charge, du traitement et de la recherche sur les troubles du comportement alimentaire. Elle propose un annuaire national des centres de soins pour les TCA, et peut s’avérer utile pour les patients ( www.ffab.fr/ ).
1. Troubles du comportement alimentaire et sport : où se situe la frontière entre normal et pathologique ?
– Les adolescents et adultes qui pratiquent une activité sportive, en particulier les sports exaltant la maigreur ou la forme physique (danse, gymnastique, course à pied...), sont une population à risque de TCA.
– Un motif fréquent de consultation est le renouvellement du certificat de non-contre-indication à la pratique sportive. C’est une opportunité essentielle de réaliser une éducation thérapeutique.
– Il est important de contre-indiquer la pratique sportive lorsque l’état nutritionnel ou somatique du patient l’expose à un danger.
– L’addiction à l’exercice physique est plus fréquente chez les sujets souffrant de TCA qu’en population générale. Il est nécessaire de la rechercher.
– Certaines athlètes peuvent consulter pour aménorrhée. La triade de l’athlète (associant dysfonctionnement menstruel, faible disponibilité énergétique et diminution de la densité minérale osseuse) expose les sujets à un risque de fractures (en particulier les fractures de stress et d’épuisement).
2. Coordonnées à délivrer aux patients souffrant de troubles du comportement alimentaire
– Ligne téléphonique « Anorexie Boulimie, Info écoute » : 0810 037 037, permanence téléphonique destinée aux patients, proches et professionnels pour écoute et éducation thérapeutique sur les TCA.
– Blue Buddy : bluebuddyapp.fr, application mobile pour la prise en charge des TCA.
– Fédération nationale des associations liées aux troubles des conduites alimentaires : www.fna-TCA.org , association ayant la mission de venir en aide aux personnes souffrant de TCA et à leurs proches.
Que dire aux patients ?
– Avoir un trouble du comportement alimentaire n’est pas un choix ; on peut, en revanche, choisir de se faire soigner, et la guérison est possible.
– L’obtention d’un poids normal permet de maximiser les chances de guérison et d’améliorer la qualité de vie sur le plan psychologique, social, familial et professionnel.
– Un suivi régulier par le médecin traitant permet de prévenir le risque de complications, dont certaines sont irréversibles.
– Il existe des associations, des lignes d’écoute et d’information (encadré 2).
1. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Fifth Edition. Washington, D.C.: American Psychiatric Association, 2013.
2. Galmiche M, Dèchelotte P, Lambert G, et al. Prevalence of eating disorders over the 2000-2018 period: a systematic literature review. Am J Clin Nutr 2019;109(5):1402-13.
3. Lavie E, Huas C. Boulimie et hyperphagie boulimique : des troubles invisibles ? Le rôle clé du médecin généraliste. HAS, 2020.
4. Guy-Rubin A. Répérage précoce de l’anorexie mentale. Rev Prat 2016;66(2):146-7.
5. HAS. Recommandation de bonne pratique. Boulimie et hyperphagie boulimique. Repérage et éléments généraux de prise en charge. Juin 2019.
6. Duarte Garcia F, Grigioni S, Allais E, et al. Detection of eating disorders in patients: validity and reliability of the French version of the SCOFF questionnaire. Clin Nutr 2011;30(2):178-81.
7. Pham-Scottez A. Complications somatiques de l’anorexie mentale. Rev Prat 2016;66(2):153-7.
8. HAS. Recommandation de bonne pratique. Anorexie mentale : prise en charge. Juin 2010.
9. Sala L, Gorwood P, Vindreau C, et al. Mindfulness-based cognitive therapy added to usual care improves eating behaviours in patients with bulimia nervosa and binge eating disorder by decreasing the cognitive load of words related to body shape, weight and food. Eur Psychiatry 2021;64(1):1-23.