Les troubles du sommeil, très prévalents dans la population pédiatrique (entre 35 et 46 % selon l’âge), ont de nombreuses répercussions cliniques et psychologiques. Le principal risque est celui de pérennisation en cas de non-intervention.
Le sommeil est crucial pour le développement et la maturation cérébrale, chez le nourrisson, l’enfant et même l’adolescent. Son altération, en qualité comme en quantité, est susceptible d’entraîner des répercussions immédiates ou à terme sur le fonctionnement des individus. D’un point de vue neurophysiologique, il est indispensable à la construction, au renforcement et à l’élagage synaptique (suppression des connexions neuronales peu utilisées) autorisant la flexibilité et l’adaptation cognitive. Des études réalisées tant chez l’animal que chez l’homme ont montré que la privation de sommeil, aiguë ou chronique, même modérée, induit des dysfonctionnements somatiques, cérébraux et cognitifs.

Sommeil physiologique de l’enfant

La durée totale de sommeil nécessaire et optimale est propre à chaque enfant et dépend de son âge. L’analyse d’un possible déficit doit donc en tenir compte – c’est pourquoi de nouvelles recommandations reconnaissent des fourchettes plus larges en fonction des groupes d’âge (fig. 1). Dès le début de la vie, il existe des courts et des longs dormeurs, ce trait étant héritable des parents.
De la même façon, le chronotype, c’est-à-dire le fait d’être « du matin » (préférence pour se coucher-tôt/lever-tôt) ou « du soir » (se coucher-tard/lever-tard), peut se révéler très précocement. On parle de chronotype du matin ou du soir.

Répercussions somatiques et familiales

Les enfants et adolescents sont particulièrement exposés à la privation de sommeil :1 certaines habitudes parentales, pression scolaire, luminosité ambiante, écrans et stimulus de toutes sortes sont autant de facteurs de conditionnement négatif.
Ces troubles peuvent avoir des répercussions diurnes potentiellement sévères (tableau), et conduire à une désorganisation de la vie familiale et à des comportements inadaptés et délétères pouvant en accentuer l’expression.
Identifier les difficultés de sommeil au stade précoce offre l’opportunité d’agir pour optimiser la qualité du repos nocturne et le fonctionnement des enfants et adolescents à l’état de veille.

Comment repérer ?

Diverses entités cliniques sont définies selon la 3e édition de la classification internationale des troubles du sommeil (ICSD-3).
Six grandes catégories diagnostiques sont décrites :
– insomnies ;
troubles respiratoires du sommeil ;
– hypersomnolences d’origine centrale ;
– troubles du rythme circadien veille-sommeil ;
– parasomnies ;
– mouvements anormaux liés au sommeil.
Le premier repérage distingue les troubles accessibles à une prise en charge en ville (notamment l’insomnie) de ceux nécessitant d’adresser le patient à une consultation spécialisée (fig. 2).
Le questionnaire SDSC (Sleep Disturbance Scale for Children), dans sa version française, est un outil d’orientation, court et facile à utiliser. 3, 4 Ces échelles d’hétéro-évaluation sont remplies par les parents, possiblement en salle d’attente avant ou après la consultation.
Deux versions existent selon l’âge : l’une dédiée aux enfants âgés de 6 mois à 4 ans (sensibilité de 86 % et spécificité de 72 %) et l’autre destinée aux enfants de 4 à 16 ans (sensibilité de 81 % et spécificité de 82 %). Le SDSC, cliniquement fiable, contribue à l’étape diagnostique initiale.
L’exploration est complétée par un agenda du sommeil5 rempli quotidiennement par les parents sur une période d’au moins 2 semaines. Cet outil très visuel pour le praticien rend immédiatement compte du rythme entre la veille et le sommeil. Il témoigne également de l’organisation du sommeil jour/nuit, de sa régularité, de la latence d’endormissement, du nombre et de la durée des éveils nocturnes. En repérant les éventuelles erreurs d’hygiène de vie, il fournit des informations précieuses pour une première prise en charge en médecine générale.
Les questionnaires de dépistage ainsi que les agendas du sommeil sont en libre accès sur le Réseau Morphée, site internet français dédié au sommeil et à ses pathologies. Cette source précieuse de documents ressources pour parents et professionnels est élaborée par des spécialistes de ces pathologies.5
Ils permettent, idéalement lors d’une consultation dédiée, de poser un diagnostic afin d’engager une prise en charge adaptée.

Insomnie, le plus fréquent

Chez l’enfant, l’insomnie se définit comme un trouble persistant caractérisé par un refus d’aller se coucher, une difficulté à s’endormir (> 30 minutes), ou encore des réveils nocturnes qui nécessitent une intervention (aller dans la chambre, donner la tétine, prendre l’enfant dans les bras...). Il survient en dépit des circonstances et d’occasions satisfaisantes pour le sommeil et retentit sur la journée :1 troubles attentionnels et du comportement, voire somnolence diurne.
L’impact sur l’équilibre et le fonctionnement familial ne doit pas être négligé (tableau). Il est donc important d’intervenir tôt pour éviter la chronicisation (le trouble devient chronique à partir de 3 mois d’évolution).
L’insomnie est la plainte la plus fréquemment exprimée en consultation de troubles du sommeil. Sa prévalence se situe entre 25 et 50 % chez les enfants de moins de 5 ans,6 entre 16 à 27 % chez ceux de 6 à 12 ans et de 17 à 39 % chez les adolescents de 12-18 ans.7
Dans la majorité des cas, elle est d’origine comportementale, expliquant 75 % des insomnies du jeune enfant. Les parents décrivent une résistance au coucher, des troubles de l’endormissement, voire des éveils nocturnes. Elle est souvent due à un conditionnement anormal à l’endormissement avec présence parentale (bercement, biberon, télévision, voiture, couchage dans le lit des parents…) et/ou à un manque de limites adéquates.
Les enfants sont incapables de s’auto-apaiser (se calmer, se tranquilliser seuls) pour s’endormir le soir et de ce fait réclament la présence des parents et les mêmes conditions à chaque réveil nocturne. Restaurer les capacités d’auto-apaisement, mises en place progressivement dès les premiers mois de vie chez l’enfant, est une des principales cibles thérapeutiques.1
L’insomnie des enfants d’âge scolaire et des adolescents est plus souvent liée à des causes environnementales, notamment à un usage inadapté des écrans (jeux vidéo, smartphone, tablettes, télévision…), à une consommation de substances psychoactives (sodas stimulants, tabac, café...) ou encore à des problèmes psychologiques.
Les causes psychologiques, voire pédopsychiatriques (difficultés relationnelles avec l’entourage familial, carences éducatives, mais aussi début de véritables troubles anxieux), peuvent être responsables d’une insomnie à chaque âge.
Par ailleurs, une dépression ou une anxiété parentale excessive sont à prendre en compte. Elles peuvent aggraver l’angoisse de séparation chez l’enfant. De nombreuses pathologies du neurodéveloppement (troubles du spectre de l’autisme, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) s’accompagnent fréquemment d’insomnie. Elles relèvent d’une consultation spécialisée.
Les causes organiques sont à explorer de façon systématique en cas d’échec des mesures comportementales et d’une hygiène adaptée. L’examen clinique explore en particulier les sphères :
– ORL : otites, apnées du sommeil. Ce syndrome est à évoquer devant des ronflements, des pauses respiratoires, des réveils et une agitation nocturne, des sueurs. Sa cause principale est l’hypertrophie des amygdales et/ou des végétations ;
– pneumologique : asthme et rhinite allergique ;
– digestive : reflux gastro-œsophagien, allergies aux protéines de lait de vache ;
– neurologique : épilepsie, déficits neurosensoriels, syndrome des jambes sans repos.
La prise de traitements psychostimulants (méthylphénidate, corticoïdes…) est à questionner.

Parasomnies : quand explorer ?

Ce sont des événements nocturnes généralement bénins, survenant tout au long de l’enfance, mais particulièrement entre 3 ans et l’âge de la puberté. On distingue les parasomnies du sommeil lent profond (en première partie de nuit) de celles du sommeil paradoxal (les cauchemars survenant plutôt en fin de nuit).1, 8
Le somnambulisme qui concerne 15 à 40 % des enfants entre 7 et 12 ans est marqué par une composante motrice : déambulation yeux ouverts, gestes auto- matiques, parfois plus complexes (ouverture de porte, habillement…). L’hérédité est fortement impliquée.
Les terreurs nocturnes, également fréquentes (12 à 15 % des 3-10 ans), sont parfois spectaculaires. Cris et manifestations neurovégétatives de peur (sueurs, érythrose, tachycardie, difficultés respiratoires) sont intenses. L’enfant ne garde pas mémoire de l’épisode, ce qui les différencient des simples cauchemars (rappel onirique détaillé rendant le réendormissement difficile). Alors que les terreurs nocturnes surviennent lors du sommeil lent profond en première partie de nuit, ces derniers surviennent quasi exclusivement lors du sommeil paradoxal, en dernière partie de nuit.
Les éveils confusionnels se manifestent par une dés­orientation, une lenteur idéatoire et des difficultés à s’exprimer. En fin de sieste ou de nuit, précédant le réveil, ils correspondent à « l’ivresse du sommeil » (difficulté à s’éveiller complètement).
Ces parasomnies sont essentiellement liées au jeune âge et à l’absence de transitions nettes entre les différents stades de vigilance.
Pour l’ensemble d’entre elles, une exploration plus approfondie en centre spécialisé (fig. 2 ; encadré 1) n’est nécessaire qu’en cas de :
– fréquence élevée : plurihebdomadaire ou plusieurs épisodes dans une même nuit ;
– durée longue des épisodes (> 10 minutes pour le somnambulisme) ;
– répercussions diurnes ;
– persistance au-delà de la puberté.
L’épilepsie frontale nocturne est le principal diag­nostic différentiel des parasomnies. Les crises se déclarent exclusivement la nuit et sont de durée brève mais multiples. Elles se caractérisent par un éveil brutal, une expression de frayeur et des vocalisations associés à des symptômes moteurs : mouvements dystoniques et/ou dyskinétiques stéréotypés du tronc, des membres ou du chef.

Qui adresser à un spécialiste ?

Une orientation en milieu spécialisé est nécessaire en cas de trouble du sommeil autre que celui du type insomnie : syndromes d’apnées du sommeil, hypersomnolences d’origine centrale, mouvements anormaux liés au sommeil ou encore certaines parasomnies (cf. supra) [fig. 2]. Ils requièrent souvent des examens complémentaires telle que la polysomnographie.
Une insomnie résistante à une première approche thérapeutique (cf. infra) est également une indication.
Les centres du sommeil agréés par la Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS),9 [encadré 1] sont une ressource précieuse. Ils couvrent l’ensemble du territoire.

Prise en charge

La psychoéducation est la première mesure à initier. Ses modalités sont adaptées à l’âge de l’enfant – qu’il s’agisse de la durée optimale du sommeil (fig. 1) ou encore des rythmes endogènes de l’enfant (son chronotype). L’analyse de l’agenda du sommeil, rempli par les parents ou par l’adolescent au préalable, renseigne sur les habitudes de veille et de sommeil non favorables (erreurs d’hygiène de sommeil) [fig. 3].1
Les approches visant la restauration de bonnes habitudes veille/sommeil et comportementales sont individuellement développées avec les parents. Elles tiennent compte de la situation familiale, de ses valeurs éducatives et des aspects culturels. La prise en charge est complétée par des documents d’information à conseiller aux parents (encadré 1).5
Les traitements médicamenteux ne sont pas une alternative : aucun médicament n’est bien validé dans l’insomnie sans comorbidité développementale. Dans certaines situations bien spécifiques (enfants atteints de trouble du spectre de l’autisme, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), les pharmacothérapies (par ex. mélatonine) ont un rapport bénéfices/risques avantageux. Mais même pour ces enfants, elles ne sont jamais recommandées en première intention et sont l’apanage du spécialiste.

Encadre

1. Que dire aux parents et aux enfants ?

Informations utiles

Les troubles du sommeil, et plus particulièrement l’insomnie, ne sont pas une fatalité ! Leur prise en charge permet une amélioration nette du fonctionnement quotidien, de nuit comme de jour.

Jusqu’à 80 % des insomnies régressent par l’application de bonnes habitudes de veille et de sommeil et des approches comportementales.


Prévention/début d’approche thérapeutique

Le meilleur moyen de se prémunir de l’apparition de troubles du sommeil, c’est d’en éviter les facteurs favorisants !

Les conseils pour de bonnes habitudes de veille et de sommeil sont adaptés à chaque âge (fig. 3).


Liens internet

https://sommeilenfant.reseau-morphee.fr/ : partie pédiatrique du Réseau Morphée, avec un grand nombre de ressources pour parents et professionnels. À conseiller largement !

https://bit.ly/3lg5O66 : questionnaires de dépistage validés, Réseau Morphée (6 mois à 4 ans ; 4-16 ans).

https://www.sfrms-sommeil.org/ : site officiel de la Société française de recherche et médecine du sommeil, répertoriant les centres de sommeil accrédités.

Encadre

2. Microréveils du nourrisson : physiologiques

Le petit enfant de moins de 5 ans est soumis, de manière physiologique, à des réveils nocturnes de quelques minutes. Ils surviennent après chaque cycle de sommeil. Il est donc normal qu’un nourrisson se réveille plusieurs fois par nuit : il pleure, grogne… et se rendort seul ! Il est déconseillé aux parents d’intervenir (bercement, paroles…) car cela crée un conditionnement rendant par la suite leur présence indispensable à l’endormissement.

Encadre

3. Lycéens insomniaques : rythme décalé et privation de sommeil

Chez les adolescents, les plaintes d’insomnie sont courantes (prévalence de 17 à 39 %). En réalité, il s’agit souvent d’un décalage des rythmes veille-sommeil qui évoluent vers des horaires de coucher et de levers plus tardifs. Sachant que les besoins de sommeil restent stables pendant l’adolescence (fig. 1) et que l’école exige un lever précoce, beaucoup entrent dans un cercle vicieux provoquant une privation de sommeil chronique et de nombreuses répercussions : fatigue, voire somnolence diurne et comportements à risque.

Les données de l’enquête récente menée sur le sommeil des jeunes (14-24 ans) par l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) en 2018 confirment ces risques. Dans ce sondage, 88 % des jeunes considèrent être en manque de sommeil. Ils déclarent dormir en moyenne 1 heure par nuit de moins que ce dont ils estiment avoir besoin, et environ un tiers (36 %) se sent somnolent dans la journée.

Références
1. Schröder CM. Insomnie de l’enfant. In: Brion A, Poirot I, Royant-Parola S, eds. Prise en charge de l’insomnie. Paris: Elsevier; 2017.
2. Hirshkowitz M, Whiton K, Albert SM, et al. National Sleep Foundation’s updated sleep duration recommendations: final report. Sleep Health 2015;1:233-43.
3. Putois B, Leslie W, Gustin MP, et al. The French Sleep Disturbance Scale for Children. Sleep Med 2017;32:56-65.
4. Réseau Morphée. Échelles de dépistage des troubles du sommeil de l’enfant. https://bit.ly/2KIbx8i
5. Réseau Morphée. Le sommeil de 0 à 18 ans. https://bit.ly/2KK91OT
6. Owens JA, Spirito A, McGuinn M, et al. Sleep Habits and Sleep Disturbance in Elementary School-Aged Children. J Dev Behav Pediatr 2000;21:27-36.
7. Yavuz-Kodat E, Schröder CM. Sommeil et rythmes de vie à l’adolescence. In: Gérardin P, Boudailliez B, eds. Médecine et santé de l’adolescent. Paris: Elsevier; 2019.
8. Schröder C. Troubles du sommeil et des rythmes circadiens en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. La lettre du psychiatre 2016;XII(nos 2-3):48-53.
9. SFRMS, Société française de recherche et médecine du sommeil. Centres du sommeil. https://bit.ly/2KAWZqQ

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essentiel

L’insomnie de l’enfant peut avoir d’importantes répercussions sur son développement et sur la qualité de vie de toute la famille.

Le questionnaire SDSC permet une première orientation diagnostique et thérapeutique.

Restaurer de bonnes habitudes de veille et de sommeil améliore la majorité des situations.

Un traitement médicamenteux n’est pas indiqué chez l’enfant en l’absence de comorbidité.