Il n’est pas toujours facile pour le médecin généraliste de repérer sur un temps court – pendant lequel la plainte somatique est souvent au premier plan – les signes d’alerte prédictifs de troubles du langage. Pourtant, la prise en charge précoce des troubles du neurodéveloppement prédit une meilleure insertion scolaire et sociale. 

Jusqu’à 6 ans, les socles du langage

Attention aux fausses croyances : le langage ne s’apprend pas par l’immersion passive dans un « bain de langage » ; nous serions tous polyglottes si nous regardions des séries toute la journée dans diverses langues ! Si notre cerveau a les prédispositions innées pour le traitement du langage, il s’agit bien d’un apprentissage, qui se fait par une spirale interactionnelle entre le nourrisson et son entourage.

Le premier contact avec le langage verbal est intra-utérin, par la perception des voix. Le bébé recherche ensuite le contact avec ces voix connues : tourne la tête, tonus corporel, mouvements des membres. Cependant, il existe des différences interindividuelles au niveau des acquisitions motrices et langagières, auxquelles s’ajoutent les contextes environnementaux, familiaux et scolaires. Il est donc essentiel d’observer la mise en place homogène des compétences langagières (figure).

Le langage s’enrichit car le parent répète les productions de son enfant, le corrige, utilise de nouveaux mots, varie son intonation, pointe des objets et les nomme, propose des phrases courtes, reformule. Ces acquisitions langagières sont à mettre en lien avec le développement de la motricité fine et globale de l’enfant, son état somatique et psychique. Pour communiquer, il faut être au moins deux ; si la communication d’un des deux interlocuteurs est altérée, alors elle s’essouffle, puis s’éteint. 

Chez le parent, la carence des apports affectifs, des soins et des stimulations envers son bébé peut découler de difficultés psychosociales, socio-économiques, d’une dépression périnatale maternelle, d’une maladie somatique, de troubles psychiatriques. 

Classiquement, le petit enfant commence à s’exprimer par le babillage. Il s’agit de l’alternance de voyelles associées à des consonnes, d’abord bilabiales – p, b, m – car plus facilement reproductibles et observables sur les lèvres parentales. Vers 3 ans, l’enfant connaît 400 à 900 mots. Vers 5 ans, tous les sons de la langue sont acquis ; les r, l, ch, tr, cr sont les plus tardifs. 

Repérer les troubles et les retards de langage

Le diagnostic est clinique et s’appuie sur l’exploration des troubles, la persistance des symptômes et leur retentissement fonctionnel. Toute hétérogénéité de développement doit être questionnée !

Certains signes doivent alerter et être pris en charge en urgence : absence de recherche de contact dès la naissance, absence de langage à 2 ans, langage encore déformé après 5 ans, perte de compétences, bégaiement.

Le trouble d’articulation apparaît au niveau des sons de la langue : absence, substitution ou distorsion systématique d’un ou de plusieurs phonèmes de la langue (« trotodile » ou « tarotte »).

Le retard de parole est repérable au niveau des mots : erreurs dans le choix et l’organisation des sons dans les syllabes et les mots (« cocrodile », « navion », « popotame »).

Le retard de langage est identifié lorsqu’il y a des erreurs dans le choix des flexions des mots (genre, pluriel, conjugaison) et dans leur organisation dans la phrase : « le crocodile a vu manger carotte » à la place de « j’ai vu le crocodile manger une carotte ».

Les trois retards peuvent être concomitants. Les fonctions des organes phonatoires doivent être intègres : tonicité de la langue, des joues, des lèvres, du voile du palais (attention aux fentes sous-muqueuses), longueur des freins pour la mobilité de la langue (prononciation du « l ») et des lèvres (prononciation du « ch »). Les fonctions sensorielles (audition, vision), nécessaires à la perception des informations non verbales, doivent également être testées. 

En cas de bilinguisme, les deux langues sont altérées. 

Le trouble du langage oral (TLO) est différent du simple retard développemental. La terminologie actuelle du trouble du langage varie légèrement selon le référentiel choisi : DSM-5,1 HAS,2 étude internationale Catalise.3

Si le retard est homogène et s’améliore sensiblement avec de la guidance familiale, il s’agit d’un trouble fonctionnel.

Si le langage régresse, il s’agit d’une urgence pour laquelle il convient de rechercher des causes somatiques ou neurologiques. 

Si le déficit est sévère et qu’il n’est pas sensible aux aménagements classiques, il s’agit peut-être d’un trouble structurel du neurodéveloppement (TND). Des tests de dépistage réalisés par des spécialistes des TND sont alors nécessaires. Il faut tenir compte des facteurs de haut risque : présence de TND dans la fratrie ou chez l’un des parents ; exposition périnatale à un toxique majeur du neurodéveloppement (alcool, certains antiépileptiques…) ; grande prématurité (moins de 32 SA) ; poids de naissance inférieur à 1 500 g ; encéphalopathies aiguës néonatales, microcéphalie (périmètre crânien inférieur à –2 DS) ; infections congénitales ou néonatales (cytomégalovirus, toxoplasmose, méningites…) ; syndromes génétiques pouvant affecter le neurodéveloppement ; cardiopathies congénitales complexes opérées ; chirurgie majeure (cerveau, abdomen, thorax) ; ictère néonatal sévère, y compris à terme (bilirubinémie supérieure à 400 mmol/L). Plusieurs signes d’alerte sont à repérer durant les premières années de développement ; les plateformes de coordination des TND proposent des outils en ligne pour suivre l’évolution des compétences (https://bit.ly/3LYcxmh).

Prise en charge : valoriser, conseiller, orienter

Dans un premier temps, il s’agit de questionner le détail des temps d’échanges parents-enfant, évaluer leur qualité davantage que leur quantité (échanges en face à face, à hauteur de l’enfant, discussions variées). 

Il est aussi important de valoriser les compétences parentales et la nécessité des stimulations bienveillantes envers l’enfant. 

L’évaluation des risques d’épuisement parental est fondamentale : elle permet notamment de considérer l’état psychique des parents et de les accompagner (soins, réseaux d’aide familiale et amicale...). 

Pour l’enfant en âge scolaire, il est utile de contacter l’école, avec l’accord des parents.

Si les bases de la communication ne se mettent pas en place, la réalisation d’un bilan de langage et/ou de l’oralité chez un orthophoniste est indiquée. Cela peut être la conséquence, par exemple, d’un mauvais positionnement de la langue à la succion primaire ou secondaire (tétine, biberon, tissu…) ou à la déglutition, ce qui génère le plus souvent une respiration buccale qui affecte la croissance du palais et de la face, donc la posture des organes phonatoires. 

En présence de signes d’alerte évoquant un TND : enfant et parents doivent rapidement être orientés vers une consultation spécialisée (libérale ou en structure pluriprofessionnelle). Repérer, dépister, diagnostiquer et proposer les soins et adaptations spécifiques au bon moment permettent d’éviter des compensations épuisantes et inefficaces à long terme. Certains enfants compensent au-delà du collège, sans diagnostic, ce qui affecte lourdement leurs apprentissages. 

Limiter l’exposition aux écrans 

Il semble actuellement utopique de conseiller aux parents « Aucun écran avant 3 ans » ; la réalité des usages en famille est souvent bien différente. 

Toutefois, inviter les parents à être présents lorsque leurs enfants regardent la télévision, pour interagir avec eux sur ce qu’ils voient et comprennent, peut être une solution. Proposer la routine du livre partagé le soir ou du temps court de jeu peut favoriser la mise en place du langage chez l’enfant. Réduire l’utilisation du téléphone en sa présence incite à l’échange. Prévenir, c’est diminuer le risque de désinvestissement scolaire, les troubles du comportement, psychiques ou somatiques.

Encadre

Ressources

Pour les médecins

Repérage et prise en soins des troubles du neurodéveloppement grâce aux plateformes de coordination et d’orientation (PCO) : https://bit.ly/3JZ15nR 

HAS. Recommandation de bonne pratique. Troubles du neurodéveloppement. Repérage et orientation des enfants à risque. Février 2020 : https://bit.ly/3Zr1eGf 

HAS. Signes d’alerte à destination du médecin de premier recours et actions à mettre en œuvre : https://bit.ly/3Zmnykk

Groupement national des centres ressources autisme (GNCRA). Outil interactif de repérage TND : https://www.tndtest.com/

Site https://handicap.gouv.fr/ du gouvernement

Site du GNCRA : https://gncra.fr/

Roy A, Mazeau M, Lodenos V. Difficultés de langage oral. Et si c’était un trouble dys ? Paris : Retz, 2017.

Pour les parents

Site https://www.allo-ortho.com/ créé par la Fédération nationale des orthophonistes (FNO)

Site https://www.inzee.care/ pour trouver un orthophoniste

Site de la FNO : https://www.fno-prevention-orthophonie.fr/

Touzin M, Leroux MN. 100 idées pour venir en aide aux enfants dysphasiques. Paris : Tom Pousse, 2012.

Références
1. American Psychiatric Association. DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. 5e éd. (traduit par Crocq MA et Guelfi JD), Elsevier Masson, 2015. 
2. HAS. Comment améliorer le parcours de santé d’un enfant avec troubles spécifiques du langage et des apprentissages ? Décembre 2017.
3. Bishop DV, Snowling MJ, Thompson PA, et al. Phase 2 of CATALISE: A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study of problems with langage development: Terminology. J Child Psychol Psychiatry 2017;58(10):1068-80.

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