Saignements anormaux, aménorrhée, dysménorrhées… si les troubles des règles sont souvent fonctionnels chez l’adolescente, il faut exclure une pathologie sous-jacente. Quelle conduite tenir en MG ? Quel bilan effectuer selon les symptômes ? Quels signes d’alerte ? Quelle prise en charge ?

Ménometrorragies

Lessaignements anormaux survenant dans les 2 premières années après le début des règles concernent 2 à 5 % des adolescentes. Pathologiques par leur abondance (> 80 mL/cycle, soit > 6 protections/jour) et/ou leur durée (> 7 jours) ou fréquence (cycles < 21 jours), ils sont fonctionnels dans 80 % des cas, secondaires à une dysovulation ou une absence d’ovulation (immaturité de l’axe hypothalamo-hypophyso-ovarien). Toutefois, l’origine fonctionnelle est un diagnostic d’élimination (fig. 1).

Trois situations sont à évoquer immédiatement et à prendre en charge en urgence : grossesse extra-utérine ; hémorragie cataclysmique ; infection pelvienne aiguë.

Certains signes cliniques associés aux saignements doivent alerter (tableau).

Une grossesse doit être systématiquement évoquée, même si la patiente nie avoir une activité sexuelle.

En cause dans 10 à 20 % des cas, les anomalies de l’hémostase révélées à la puberté sont plus volontiers d’intensité modérée – les formes sévères se manifestant surtout dans l’enfance. La maladie de Willebrand est la plus fréquente (5 à 20 %) : hors forme sévère (type 3 : déficit quantitatif complet du facteur de Willebrand), les types 1 et 2 (diminution du facteur ou facteur anormal) peuvent être difficiles à diagnostiquer car les examens de débrouillage de la coagulation sont normaux. Enfin, une thrombopénie, centrale ou périphérique, ainsi que des anomalies des fonctions plaquettaires acquises – idiopathiques, hémopathiques ou iatrogènes – peuvent être à l’origine de ménométrorragies.

Des causes endocrines peuvent aussi être décelées (hyperprolactinémie, SOPK, dysthyroïdie, maladie des surrénales), ainsi que des causes organiques, plus rares : traumatiques, corps étranger, cancérologiques, insuffisance rénale ou hépatique chronique.

Que faire ?

L’interrogatoire recueille les antécédents médicaux et chirurgicaux : maladie systémique, anémie, médicaments ; antécédents familiaux de ménométrorragies, troubles de la coagulation ou événements hémorragiques.

Interroger sur l’activité sexuelle, en faisant préciser la date du dernier rapport. Facteurs de risque d’IST et de grossesse : âge précoce des premiers rapports, nombre de partenaires, absence de préservatif, antécédents d’abus sexuels.

Évaluer le retentissement : asthénie, pâleur cutanéoconjonctivale, dyspnée, tachycardie, hypotension artérielle, signes de choc. Noter l’IMC.

L’examen gynécologique est indispensable si suspicion de cause organique : métrorragies avec cycle conservé et règles normales, douleurs pelviennes associées, activité sexuelle ou contraception. Rechercher plaie, corps étranger (tampon), utérus douloureux, leucorrhée, masse ; examiner le col cervical. Faire un prélèvement vaginal en cas de suspicion d’infection.

Établir un calendrier menstruel (fig. 2) : âge et caractéristiques des premières règles (ménorragies inaugurales : suspicion de maladie de Willebrand), longueur et régularité des cycles, durée des menstruations ; l’abondance des saignements peut être évaluée grâce au score de Higham, qui consigne nombre de changes, caillots et débordements (si score > 100, il indique un saignement > 80 mL).

Rechercher des troubles de la coagulation si : durée des règles > 7 jours et retentissement sur les activités quotidiennes ; antécédent de traitement pour anémie ; antécédents familiaux de troubles de la coagulation ; épistaxis, gingivorragies, saignements après extraction dentaire, fausse couche, accouchement, chirurgie... Si aucun de ces signes n’est retrouvé, ces troubles sont moins probables.

Le bilan biologique initial comprend :

  • bêta-HCG pour éliminer grossesse débutante ;
  • hémogramme pour connaître le taux d’hémoglobine et exclure une thrombocytopénie ;
  • ferritine sérique (test diagnostique initial d’une carence en fer) ;
  • TP, TCA et fibrinogène, à la recherche d’un trouble de la coagulation.

Un bilan d’hémostase plus complet est demandé par l’hématologue selon le contexte.

Un bilan hormonal s’impose si irrégularité du cycle (variable selon la clinique) : TSH, prolactine, testostérone totale et libre (SOPK, tumeur androgénosécrétante), déhydroépiandrostérone pour les tumeurs surrénales.

Imagerie : l’échographie pelvienne est indiquée pour évaluer l’épaisseur de l’endomètre et rechercher une anomalie ou une masse ovarienne. L’IRM doit être envisagée lorsqu’il y a une forte suspicion d’anomalies, de tumeurs, ou si l’échographie est douteuse.

Les causes organiques ou générales sont dans la plupart des cas traitées par le spécialiste. Pour la prise en charge des saignements fonctionnels, voir l’encadré ci-dessous.

Aménorrhée

Si durant les 2 à 3 premières années suivant le début des règles, environ 50 % des adolescentes ont des cycles irréguliers, l’aménorrhée primaire – absence de règles après l’âge de 15 ans – peut révéler une pathologie sous-jacente.

Elle peut être liée à un hypogonadisme périphérique (FSH élevée) – telle que : syndrome de Turner, insuffisances ovariennes prématurées 46 XX d’origine auto-immune, génétique ou iatrogène, dysgénésies gonadiques 46 XY – ou central (FSH normale ou basse) – hypogonadismes hypogonadotropes d’origine génétique (dont syndrome de Kallmann), fonctionnelle (anorexie, maladies chroniques) ou iatrogène (radiothérapie, chimiothérapie), adénomes à prolactine, tumeurs hypophysaires.

Associée à un développement pubertaire normal, l’aménorrhée peut être liée à une hyperandrogénie : évoquer alors une cause surrénalienne (hyperplasie surrénalienne, tumeur surrénalienne, hypercorticisme), une hyperprolactinémie ou une dysthyroïdie ; SOPK. Sans hyperandrogénie, elle peut signer une anomalie du développement génital, telle que : syndrome de Rokitansky (aplasie utérovaginale avec présence d’ovaires fonctionnels), syndrome d’insensibilité aux androgènes (caryotype XY, absence d’utérus et faible pilosité), imperforation hyménéale à l’origine d’anomalies obstructives douloureuses.

Que faire ?

Préciser à l’interrogatoire : âge du début du développement pubertaire, stade pubertaire, antécédents familiaux de troubles du développement pubertaire, du cycle ou d’infertilité.

Évaluer : croissance staturopondérale, apports nutritionnels et activité physique. Des douleurs pelviennes, une hyperandrogénie, une galactorrhée, des signes d’hypercorticisme sont aussi à rechercher, ainsi que les signes d’une pathologie systémique.

Examens complémentaires :

  • bêta-HCG (grossesse) ;
  • bilan gonadotrope : LH, FSH, estradiol (+/- AMH), pour déceler l’origine centrale ou périphérique de l’aménorrhée ;
  • taux de TSH pour évaluer la fonction thyroïdienne ;
  • taux de prolactine à la recherche d’une hyperprolactinémie ;
  • androgènes (testostérone, 17OH-progestérone pour déceler une hyperandrogénie d’origine ovarienne ou surrénalienne) ;
  • cortisol libre urinaire 24 h ou test au dexaméthasone acétate (hypercorticisme) ;
  • hémogramme, ionogramme sanguin, fonction rénale, bilan hépatique (pathologie systémique).

L’échographie pelvienne permettra de confirmer la présence d’un utérus, de rechercher des signes d’imprégnation estrogénique, d’évaluer les dimensions de l’utérus et des ovaires.

La prise en charge est évoquée dans l’encadré ci-dessous.

Dysménorrhées

Motif très fréquent de consultation, les dysménorrhées peuvent être fonctionnelles : l’immaturité de l’axe gonadotrope pouvant entraîner une carence en progestérone à l’origine d’une production de prostaglandines qui a pour conséquence une hypercontractilité du myomètre et une vasoconstriction artériolaire. Elles se caractérisent alors par des douleurs qui débutent le jour précédant les règles ou à J1, qui durent 2 à 3 jours et s’améliorent ensuite ; elles sont souvent accompagnées de signes digestifs et neurotoniques.

Contrairement à ces dysménorrhées fonctionnelles qui s’améliorent souvent à distance des premières règles, les dysménorrhées d’origine organique s’aggravent généralement avec le temps : on évoquera alors une pathologie sous-jacente, telle qu’une endométriose, un kyste ovarien ou une malformation utérine.

Quel bilan ?

L’interrogatoire précise l’âge de début du développement pubertaire et de la ménarche, la régularité des cycles et l’abondance du saignement (v. plus haut) et recherche des antécédents familiaux : âge de la ménarche, dysménorrhées ou endométriose chez la mère.

Caractériser la douleur : la patiente précise son intensité (de 0 à 10), le moment de survenue (caractère protoménial et/ou téléménial ?), l’éventuelle aggravation au fil des cycles, la présence de signes associés (digestifs, céphalées) en particulier évocateurs d’endométriose (dyspareunies, douleurs pelviennes non cycliques, dyschésies, dysurie), et enfin ses répercussions (troubles du sommeil, absentéisme scolaire).

L’échographie pelvienne permet de rechercher une malformation utérovaginale ; la présence d’un kyste ovarien ou des lésions d’endométriose. Si douleur résistante au traitement : l’IRM pelvienne est réalisée en complément à la recherche de lésions d’endométriose.

La prise en charge par antalgiques peut être associée à un traitement hormonal (v. encadré).

Encadre

Quelle prise en charge ?

Ménorragies fonctionnelles

Considérer l’éventuel besoin (ou demande) de contraception.

Pour les formes graves avec un taux d’hémoglobine < 8 g/dL : hospitalisation, traitement antifibrinolytique et une estrogénothérapie forte dose à visée hémostatique ; une transfusion est discutée en cas de taux d’hémoglobine < 6 g/dL ou mauvaise tolérance initiale ; un traitement par pilule estroprogestative ou progestative en continue est ensuite proposé (aménorrhée thérapeutique) + supplémentation martiale.

En cas de formes modérées avec un taux d’hémoglobine > 8 g/dL : traitement antifibrinolytique pendant les saignements (acide tranexamique 20 mg/kg/jour) à associer à un progestatif séquentiel 10 à 14 jours par mois (dydrogestérone 10 mg 2 cp, médrogestone 5 mg 2 cp) ou bien une pilule estroprogestative de 2e génération de façon séquentielle ou continue ; supplémentation martiale.

La surveillance est importante, une forme mineure ou modérée pouvant devenir grave si les saignements se prolongent.

Dysménorrhées

En 1re intention : AINS en l’absence de CI, associés au paracétamol, à débuter précocement (idéalement 1 à 2 jours avant le début des règles). Un traitement par progestatif peut être associé en deuxième partie de cycle, par dydrogestérone (10 mg 2 cp par jour pendant 10 jours) ou médrogestone (5 mg 2 cp par jour pendant 10 jours) pour régulariser les cycles, diminuer l’abondance des règles et l’inflammation.

En cas d’inefficacité ou de besoin contraceptif : contraception œstroprogestative ou progestative, qui peut être proposée en schéma continu.

Aménorrhée

Si l’aménorrhée primaire est associée à un impubérisme : induction pubertaire progressive (17-bêta-estradiol par voie percutanée) ensuite associée à un progestatif. En cas d’hyperandrogénie, un traitement hormonal œstroprogestatif peut être initié en l’absence de CI, associé éventuellement à un traitement cosmétique. Les traitements spécifiques en cas d’hyperplasie surrénalienne ou d’hyperprolactinémie sont proposés après avis d’un spécialiste.

D’après
Belien V, Cavasino T, De Pontual L, et al. Ménométrorragies de l’adolescente.  Rev Prat Med Gen 2016;30(954):55-8.
Garczynski C. Troubles des règles : quand explorer et comment traiter ?  Réalités Pédiatriques 27 février 2023.
Raccah-Tebeka B, Plu-Bureau G. Saignements gynécologiques anormaux de la femme jeune. Rev Prat Med Gen 2019;33(1021);367-73.
Harroche A, Meunier S, Falaise C, et al. Ménométrorragies de l’adolescente et de la jeune femme ayant un trouble héréditaire de l’hémostase.  Rev Prat 2019;69(4);417.

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