Abandonner la notion désuète de « symptômes médicalement inexpliqués ».
Des symptômes physiques sans explication organique ont longtemps défini négativement les troubles dits « somatoformes ». Dans la dernière édition du DSM, ce terme n’est plus employé, et les 3 principaux sont:1
– le trouble à symptomatologie somatique ;
– la crainte excessive d’avoir une maladie ;
– le trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle.
Ainsi le premier est défini de façon positive : pensées, émotions ou comportements excessifs ou inappropriés, à l’origine d’un retentissement fonctionnel ou d’une souffrance subjective et accompagnant des symptômes physiques qui peuvent ou non être rattachés à une cause somatique identifiée.
En effet, souvent, ces troubles résultent en partie d’une focalisation de l’attention sur des sensations corporelles autrefois jugées banales mais devenues inquiétantes à la faveur d’un antécédent médical (par exemple infarctus du myocarde augmentant l’inquiétude du patient devant toute manifestation cardiorespiratoire).
Si les symptômes physiques ne sont pas en eux-mêmes pénibles ou invalidants, le diagnostic de « crainte excessive d’avoir une maladie » est alors employé, jugé à juste titre moins stigmatisant que celui d’hypocondrie.
La notion de symptômes somatiques « médicalement inexpliqués » ne demeure centrale que dans le « trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle », héritier de la conversion hystérique. Mais, même dans ce cas, la physiopathologie est désormais mieux connue, rendant caduque l’appellation « médicalement inexpliqué ».2

De quoi parle-t-on ?

Le diagnostic de trouble à symptomato-logie somatique peut s’appliquer à des syndromes très divers. Chaque spécialité médicale reconnaît un ou plusieurs « syndromes somatiques fonctionnels », supposés spécifiques mais en réalité très souvent associés chez un même patient :1 troubles fonctionnels intestinaux en gastroentérologie, fibromyalgie en rhumatologie, syndrome de fatigue chronique en médecine interne…
Leur fortune diverse serait due à un engouement cyclique de la communauté médicale (par exemple, réapparition de la neurasthénie sous la forme du syndrome de fatigue chronique à un siècle d’intervalle) ou encore à des phénomènes « de mode » entretenus par les médias. Bien qu’une telle labellisation puisse apaiser le vécu d’incompréhension et de rejet des patients, elle comporte aussi des risques : renforcer l’attention portée aux symptômes physiques et leur attribution erronée à une origine organique ou à des agents externes, surtout si le terme utilisé y fait référence (intolérance environnementale idiopathique, maladie de Lyme chronique séronégative, hypersensibilité au gluten…) ; favoriser les comportements d’évitement qui renforcent les troubles (cf. infra).
Certains symptômes ou attitudes ont un intérêt clinique particulier : la réticence à envisager une contribution psychologique aux troubles, parce qu’elle rend plus nécessaires et compliqués à la fois la démarche diagnostique et l’établissement d’une alliance thérapeutique de qualité mais aussi car elle est révélatrice des croyances des patients quant à l’origine de l’affection ; les comportements d’évitement (des symptômes ou de l’incertitude), cible thérapeutique potentielle (cf. infra). La notion d’anomalies cérébrales fonctionnelles sous-jacentes2 peut faciliter l’adhésion de certains patients en proposant une physiopathologie décentrée de l’organe périphérique désigné par les symptômes et un rationnel pour la thérapeutique.
Dans tous les cas, proposer une explication médicale aux symptômes est essentiel.

Quels mécanismes ?

Le patient a une attention excessive aux sensations corporelles, souvent renforcée de façon paradoxale par des efforts d’évitement, et leur attribue une signification menaçante pour sa santé. Ces mécanismes peuvent être favorisés par une personnalité anxieuse ainsi que par l’exposition à la maladie, que celle-ci concerne le sujet, un proche ou un cas médiatisé. Soulignons le rôle des informations anxiogènes trouvées sur internet au gré d’une recherche guidée par l’anxiété.
Une réactivité physiologique excessive au stress pourrait également faciliter un ressenti corporel plus intense (par exemple tachycardie) pouvant générer des interprétations inquiétantes, notamment si l’individu a du mal à identifier l’état émotionnel qui en est à l’origine.
Les mécanismes comportementaux sont dominés par le conditionnement et l’évitement. Un stimulus conditionnel (distension du tube digestif) peut acquérir une dimension pénible (douleurs) par association avec un stimulus inconditionnel (gastro-entérite aiguë). Puis le premier entraînera des symptômes gênants même en l’absence du second. L’évitement des symptômes physiques risque alors d’empêcher l’extinction de ce conditionnement initial. Ainsi les patients souffrant d’un syndrome de fatigue chronique évitent tout effort de peur d’augmenter encore leur asthénie à court terme et, de ce fait, renforcent leur fatigabilité à long terme. Les demandes de réassurance et les consultations et examens médicaux se multiplient. Le prix à payer pour un soulagement à court terme est souvent le développement d’une intolérance à l’incertitude et d’une anxiété croissante à long terme. Chez une personne craignant d’avoir une tumeur cérébrale, le recours répété à l’imagerie, en soulageant de façon transitoire, peut rendre le patient « dépendant » des examens médicaux, ce qui fait de la « crainte excessive d’avoir une maladie » un trouble partiellement iatrogène…
Enfin, des mécanismes sociaux peuvent renforcer positivement les symptômes en raison de bénéfices secondaires : avantages sociaux conférés par le statut de malade, réponse de l’entourage à la symptomatologie, etc.

Principes généraux

Il est important de ne pas contester la légitimitéd’une plainte somatique même si le caractère fonctionnel est fortement suspecté. La démarche diagnostique doit être négative (traquer les causes organiques plausibles) et positive (rechercher des facteurs psychologiques déclencheurs ou d’entretien).
On utilise avec parcimonie les examens complémentaires, avis médicaux spécialisés et hospitalisations, en raison de leur pouvoir iatrogène. Dépister les troubles anxieux ou dépressifs associés peut justifier un avis psychiatrique.
Il est crucial d’éviter de dire au patient qu’ « il n’a rien » ou que « c’est dans la tête », même si c’est pour le rassurer. Le diagnostic de trouble somatoforme ne doit pas être évoqué par élimination (« les examens n’ont rien trouvé, donc cela ne peut être que… »), ce qui le discrédite aux yeux du sujet.
On propose un diagnostic positif général (« les symptômes physiques dont vous souffrez sont typiques d’un trouble somatique fonctionnel ») sans récuser ceux auxquels le patient semble adhérer (fibromyalgie) sauf s’ils font référence sans fondement à une origine organique ou un agent externe (électrosensibilité, maladie de Lyme chronique séronégative, etc.).
En proposant un modèle explicatif de survenue et de pérennisation des troubles, même schématique, on construit une alliance thérapeutique et on négocie des objectifs raisonnables (atténuation des symptômes et de leur retentissement plutôt que guérison) et des moyens acceptables.
Enfin, on transmet l’hypothèse diag-nostique à l’ensemble des intervenants (prise en charge nécessairement multi- disciplinaire) dans un courrier synthé- tique.

Quelle thérapie ?

Bien que non remboursées, les TCC ont montré une efficacité modeste mais significative3 et sont généralement bien acceptées car focalisées sur les facteurs d’entretien des troubles sans présupposer une origine purement psychique. Des exercices simples peuvent sensibiliser au rôle de la focalisation émotionnelle sans vexer le patient. On lui demandera par exemple de prendre conscience du poids de son corps sur la chaise, montrant qu’une perception peut être amplifiée, voire apparaître sous l’effet de l’attention, sans pour autant être « imaginaire ». Le prier ensuite de ne plus y prêter attention permet de démontrer l’inanité des exhortations habituelles (« tu n’as qu’à ne pas y penser »). Les raisons pour lesquelles une sensation corporelle peut faire l’objet d’une focalisation attentionnelle durable (par exemple un antécédent personnel ou familial) permettront d’introduire le rôle des cognitions.
La limitation progressive des conduites d’évitement est essentielle et nécessite une bonne coopération avec tous les professionnels de santé impliqués. La simple constatation d’une non-majoration des troubles à distance de l’exposition (p. ex. exercice physique) est à renforcer.
Si l’évitement de l’incertitude prend la forme de recherches sur internet, on peut proposer au patient d’évaluer son anxiété avec une échelle visuelle analogique à plusieurs reprises lors d’une semaine typique, puis de répéter cette évaluation durant la même période en s’interdisant de consulter internet, ce qui apaise généralement cette anxiété en quelques jours. Par ailleurs, le développement des TCC assistées en ligne, dont le niveau de preuve va croissant, laisse envisager une amélioration de l’accessibilité de cette modalité thérapeutique.
Les antidépresseurs peuvent être indiqués pour traiter les troubles anxieux ou dépressifs associés mais aussi une composante douloureuse, voire la fatigue, indépendamment d’une symptomatologie anxieuse ou dépressive. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont ainsi les médicaments les plus efficaces dans le syndrome de l’intestin irritable et se sont avérés utiles dans la crainte excessive d’avoir une maladie.4Les inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline soulagent certains troubles douloureux, notamment la fibromyalgie.5 Il faut cependant tenir compte d’une propension accrue aux effets indésirables (et donc du risque de non-observance, voire de rupture du lien thérapeutique) chez ces patients.
références
1. Lemogne C. Le patient dont les symptômes physiques sont attribués à une cause psychologique. In: Lemogne C, Cole P, Consoli SM, Limosin F, eds. Psychiatrie de liaison. Paris: Lavoisier; 2018: 252-66.

2. Lemogne C. Troubles somatoformes et médecine psychosomatique. In: Fossati P, ed. Imagerie cérébrale en psychiatrie. Paris: Lavoisier;2015: 182‑9.

3. van Dessel N, den Boeft M, van der Wouden JC, et al. Non-pharmacological interventions for somatoform disorders and medically unexplained physical symptoms (MUPS) in adults. Cochrane Database Syst Rev 2014;11:CD011142.

4. Ruepert L, Quartero AO, de Wit NJ, et al. Bulking agents, antispasmodics and antidepressants for the treatment of irritable bowel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2011;8:CD003460.

5. Häuser W, Urrútia G, Tort S, et al Serotonin and noradrenaline reuptake inhibitors (SNRIs) for fibromyalgia syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2013;1:CD010292.

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essentiel

Faire un diagnostic positif et donner une explication médicale même sommaire à la symptomatologie.

➜ Proposer une prise en charge multidisciplinaire et surtout coordonnée (médecin traitant) afin de limiter les examens complémentaires, avis spécialisés et hospitalisations.

Les principes thérapeutiques (TCC) sont fondés sur les mécanismes d’entretien des symptômes.

Les objectifs sont raisonnables : atténuation des symptômes et surtout de leur retentissement plutôt que guérison.