Pédopsychiatrie. Les troubles somatoformes sont fréquents chez l’enfant et souvent transitoires, mais ils peuvent être responsables d’un retentissement majeur justifiant une prise en charge adaptée et une information claire de l’enfant et de ses parents.
Quelle définition ?
Il est habituel de distinguer les pathologies somatiques et somatoformes (actuellement nommées troubles à symptomatologie somatique, traduction de somatic symptom disorder de la 5e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux),1 car ces dernières n’auraient pas de « substrat organique » ou ne seraient pas « associées à des anomalies structurelles ». Sans aborder les problèmes logiques et théoriques posés par cette distinction (qui est bien utile dans la pratique clinique), il est néanmoins important d’indiquer que de nombreux travaux de recherche ont rapporté des dysfonctionnements cérébraux chez les patients ayant un trouble à symptomatologie somatique.2
Les symptômes somatoformes sont très fréquents et transitoires chez l’enfant. Les plus fréquents sont les douleurs abdominales, les céphalées et la fatigue.3 Quand ces symptômes provoquent une incapacité et/ou un handicap dans la vie de l’enfant, ils constituent un trouble à symptomatologie somatique. Dans les cas où ces symptômes sont manifestés intentionnellement par l’enfant, on se situe dans un trouble factice.
Diversité des troubles à symptomatologie somatique
Les troubles à symptomatologie somatique peuvent se manifester par des symptômes et des signes cliniques affectant la plupart des fonctions physiologiques (déficits sensoriels, douleurs abdominales chroniques, pseudo-crises d’asthme, palpitations inexpliquées, etc.) et concernent donc l’ensemble des spécialités médicales.4 Parmi les symptômes somatoformes, il est important de déterminer si la douleur est prédominante. Les manifestations exclusivement neurologiques sont nommées troubles de conversion (par exemple, les crises non épileptiques psychogènes). D’autres entités peuvent être distinguées telles que la crainte excessive d’avoir une maladie (hypochondrie), les facteurs psychologiques influençant négativement d’autres affections médicales, et les troubles factices.
Une évaluation multidisciplinaire
Approche globale et prise en compte du contexte
L’évaluation clinique s’inscrit dans une approche globale de l'enfant et prend en compte l’environnement dans lequel il se développe.
L’anamnèse doit rechercher des facteurs prédisposants (antécédents personnels ou familiaux psychiatriques), précipitants (traumatisme, harcèlement, etc.) et de maintien (dysfonctionnements familiaux, absentéisme scolaire, etc.) des trou-bles à symptomatologie somatique.
L’évaluation psychiatrique et neurodéveloppementale doit être systématiquement réalisée. Les enfants qui ont des troubles à symptomatologie somatique ont fréquemment des épisodes dépressifs caractérisés, des troubles anxieux (tels que l’anxiété de séparation, la phobie sociale), des troubles liés aux traumatismes et au stress, et des troubles des apprentissages. Une attention particulière doit être portée sur les traits de personnalité de l’enfant (par exemple, les traits de personnalité alexithymiques et histrioniques).
L’évaluation médicale est indis- pensable. La plupart des enfants qui ont un trouble à symptomatologie somatique ont aussi une pathologie somatique associée (par exemple, la moitié des patients qui ont des crises non épileptiques psychogènes ont aussi des crises d’épilepsie qui sont authentiques).5
L’environnement familial de l’enfant doit être pris en compte. En effet, la plupart des situations d’abus physique ou émotionnel a lieu dans le milieu familial. En outre, les stratégies éducatives parentales doivent être considérées dans la perspective de la prise en charge. Il est essentiel de caractériser le rapport de la famille à la médecine (en recherchant des histoires de parcours médicaux difficiles pour des membres de la famille) ainsi que leurs représen- tations de la maladie.
Une attention particulière doit être portée à l’environnement scolaire de l’enfant. Les troubles à sympto- matologie somatique sont plus fréquemment associés à des troubles des apprentissages, des situations de harcèlement, et aboutissent fréquemment à des situations de déscolarisation. La déscolarisation peut constituer un renforcement négatif du trouble (tableau 1 sur les types de conditionnement opérant)
Sémiologie des troubles à symptomatologie somatique
Le critère clinique essentiel est la réponse inadaptée de l’enfant à un ou plusieurs symptômes. La recher- che d’un trouble somatique est indispensable dans la mesure où de nombreux tableaux cliniques de troubles à symptomatologie somatique ressemblent à des pathologies somatiques. De plus, une pathologie somatique coexiste fréquemment avec un trouble à symptomatologie somatique. Dans ce cas, une des clefs du raisonnement clinique est de déterminer si les symptômes sont entièrement expliqués par la pathologie somatique ou non.
Dans leur expression clinique, on peut distinguer des signes généraux (communs à l’ensemble des troubles à symptomatologie somatique) et des signes spécifiques (qui permettent d’orienter le diagnostic différentiel vers une pathologie somatique particulière).
Les symptômes généraux de troubles à symptomatologie somatique sont : le caractère fluctuant des symptômes (et leur fluctuation en fonction des contextes [par exemple rythmés par le calendrier scolaire]), leur atypi- cité, une indifférence du patient à l’égard des symptômes ou au contraire des préoccupations excessives, la présence d’antécédents personnels (somatiques ou psychiatriques) ou familiaux de troubles à symptomatologie somatique (l’héritabilité de ces troubles est élevée), la présence dans l’environnement de l’enfant de quelqu’un ayant eu ce type de symptômes.
D’autres symptômes peuvent être qualifiés de spécifiques ; dans le sens où ils vont permettre d’orienter le diagnostic différentiel vers un trouble somatique particulier (par exemple, la résistance à l’ouverture des yeux ou les mouvements du bassin dans les crises non épileptiques psychogènes6).
Conclusion de l’évaluation multiaxiale
L’évaluation clinique aboutit dans une minorité de situations à un diagnostic assuré de trouble à symptomatologie somatique. Dans la plupart des cas le diagnostic est jugé plus ou moins probable. Il faut donc fréquemment avancer le diagnostic de troubles à symptomatologie somatique comme une hypothèse sur laquelle vont reposer les soins. L’efficacité des interventions a un rôle de test diagnostique. Quand le diagnostic de troubles à symptomatologie somatique est considéré comme probable (et donc pas seulement lorsqu’il est assuré), il est utile de l’évoquer avec le patient et sa famille et de mettre en place des interventions appropriées.
Principes de la prise en charge
Que dire à l’enfant et à ses parents ?
Cette étape indispensable vise moins la compréhension du diagnostic de trouble à symptomatologie somatique par l’enfant et son entourage que la mise en place d’interventions thérapeutiques. L’information diag- nostique doit impliquer l’ensemble des acteurs de l’évaluation diagnostique. Une consultation interdisciplinaire est à privilégier. Elle doit être adaptée à la représentation que l’enfant et sa famille se font du trouble. Dans un premier temps sont présentés les arguments cliniques et paracliniques qui ont conduit à poser le diagnostic de trouble à symptomatologie somatique. Le patient et sa famille doivent être informés des risques liés à la réalisation d’examens complémentaires ou à l’administration de traitements médicamenteux qui ne sont pas justifiés. Un discours clair et empathique favorise l’acceptation du diagnostic. L’enjeu est d’autant plus délicat lorsque le parcours des patients et de leur famille a été long et compliqué (iatrogénie, multiplication des hospitalisations, déscolarisation de longue durée, etc.). Selon les situations, il peut être nécessaire de renouveler ces entretiens d’information. Il convient d’éviter des termes tels que « il n’y a rien » ; en effet, il existe bien un symptôme et une souffrance non simulés (l’enfant ne fait pas semblant). Dans des situations où les familles sont intimement convaincues que la cause non psychiatrique des symptômes n’a pas encore été identifiée, il peut être judicieux de présenter le diagnostic de troubles à symptomatologie somatique comme une hypothèse. Le fait de présenter ce diagnostic comme probable (voire comme le plus probable) peut permettre de maintenir une relation de confiance avec la famille. Lorsqu’il y a une forte résistance à accepter l’hypothèse diagnostique de troubles à symptomatologie somatique, il peut être intéressant d’initier des interventions comportementales en les présentant comme ayant uniquement pour but de limiter le handicap de l’enfant.
L’information diagnostique peut être enrichie par l’utilisation de récits de cas rencontrés et de métaphores (tableaux 2 et 3), lesquels permettent de fournir des éléments de compréhension au patient et à sa famille et amorcent les interventions thérapeutiques.
L’évolution des troubles à symptomatologie somatique est très variable selon les cas. Certains sont très handicapants avec une continuité à l’âge adulte, et des retentis- sements dans le fonctionnement social, scolaire, émotionnel et familial (marginalisation, déscolarisation, troubles dépressifs, dysfonctionnements familiaux). L’évolution favorable se fait rarement de manière brutale (il faut freiner les attentes de « déclic » de la part des enfants et des familles). L’évolution est le plus souvent progressive avec une réapparition des symptômes (sous une autre forme dans bien des cas) dans les périodes de stress. Certains facteurs indiquent un pronostic péjoratif, tels que le retard ou la mauvaise adhésion au diagnostic de troubles à symptomatologie somatique, l’absence de prise en charge des comorbidités, le maintien de facteurs environnementaux renforçateurs des symptômes du trouble.
Quel parcours de soins ?
Le parcours de soins des enfants ayant un trouble à symptomatologie somatique est souvent chaotique (délai important entre l’apparition des symptômes et le diagnostic [dans le cas des crises non épileptiques psychogènes, le diagnostic de troubles à symptomatologie somatique est de 3,5 ans en moyenne6], nomadisme médical, examens complémentaires inutiles, faits en doublons, prescrits sur insistance de la famille mais sans hypothèses cliniques véritables, etc.).
Une coordination médicale est indispensable ; elle est idéalement réalisée par le médecin traitant. Un cadre de prise en charge précis est mis en place avec les parents (par exemple, dans quelles situations doivent-ils se rendre aux urgences ?). Le médecin coordinateur a pour missions d’orienter le patient vers des avis spécialisés complémentaires de manière appropriée, de freiner l’éparpillement des explorations et la multiplication des passages aux urgences, de diminuer et arrêter d’éventuels traitements non indiqués. Le médecin coordinateur devient le centre de la transmission des informations médicales entre les différents intervenants médicaux, psychologues, infirmerie scolaire (v. figure). Les liens avec le milieu scolaire sont essentiels pour soutenir le projet scolaire. La rescolarisation doit être progressive et parfois accompagnée d’un « projet d’accueil individualisé ».
Interventions comportementales
Le cœur du projet de soin est la limitation des renforcements des symptômes somatoformes. Il peut s’agir de renforcements négatifs (par exemple, la déscolarisation ou encore le fait de le soustraire à ses obligations familiales) ou de renforcements positifs (par exemple, des hospitalisations longues) [tableau 1 sur les types de conditionnement opérant]. Une guidance parentale a pour objectif de former les parents à repérer ces renforçateurs et de les guider pour mettre en place de nouvelles stratégies.
Dans les cas où le diagnostic de troubles à symptomatologie somatique est erroné, ce type d’intervention permet par ailleurs de limiter le handicap de l’enfant.
Psychothérapie, suivis médicaux et psychiatriques
Plusieurs axes de travail peuvent être dégagés dans la prise en charge en psychothérapie des patients ayant un trouble à symptomatologie somatique. Mais ils sont nécessairement adaptés à chaque cas. Les parents peuvent bénéficier d’une guidance dans l’application des interventions comportementales visant à réduire les renforçateurs. Des traitements spécifiques des troubles psychiatriques associés (trouble anxieux et de l’humeur) doivent être menés. C’est sur la base de cette analyse fonctionnelle que des interventions cognitives et comportementales sont planifiées. Un monitoring de la fréquence et de l’intensité des symptômes somatoformes (sous la forme d’un agenda) permet d’évaluer l’efficacité des interventions.
Un suivi psychiatrique est recommandé si des troubles psychiatriques sont associés.
La poursuite des soins médicaux et des bilans complémentaires a lieu si des hypothèses diagnostiques le justifient.
Y PENSER DANS TOUTES LES SPÉCIALITÉS
Les symptômes somatoformes sont très fréquents en pratique pédiatri- que et se retrouvent dans toutes les spécialités médicales. Les troubles à symptomatologie somatique peuvent prendre de multiples for- mes (symptômes douloureux, crises épileptiformes, symptômes sen- soriels comme des perturbations visuelles ou auditives, etc.) et ont un retentissement dans la vie de l’enfant, notamment sa scolarité (absentéisme voire déscolarisation). Le diagnostic précoce des troubles à symptomatologie somatique permet de limiter les risques d’évo- lution chronique et de handicap. L’explication des troubles au patient et à sa famille ainsi que l’élaboration de stratégies comportementales constituent les étapes essentielles de la prise en charge. La coordination médicale permet d’organiser le parcours de soins du patient et la transmission des informations entre les médecins, les psychothérapeutes et le milieu scolaire.
1. American Psychiatric Association. Draft DSM-V Criteria for ADHD 2013.
2. Mouchabac S, Salvador A. Voir l’invisible : imagerie cérébrale fonctionnelle de la conversion motrice. Eur Psychiatry 2015;30:S41-2.
3. Garber J, Walker LS, Zeman J. Somatization symptoms in a community sample of children and adolescents: Further validation of the Children’s Somatization Inventory. Psychol Assess J Consult Clin Psychol 1991;3:588-95.
4. Chun TH, Mace SE, Katz ER, et al. Evaluation and management of children with acute mental health or behavioral problems. Part II: Recognition of clinically challenging mental health related conditions presenting with medical or uncertain symptoms. Pediatrics 2016;138:e20161573.
5. Doss JL, Plioplys S. Pediatric psychogenic nonepileptic seizures: a concise review. Child Adolesc Psychiatr Clin N Am 2018;27:53-61.
6. Kozlowska K, Chudleigh C, Cruz C, et al. Psychogenic non-epileptic seizures in children and adolescents: Part II – explanations to families, treatment, and group outcomes. Clin Child Psychol Psychiatry 2018;23:160-76.