Une patiente de 45 ans, sans antécédents pathologiques notables, se présente aux urgences pour une monoarthrite aiguë fébrile du genou droit sans notion de traumatisme ni de porte d’entrée infectieuse. Initialement considérée comme une arthrite septique, son affection est traitée par antibiothérapie sans examen préalable (ni ponction articulaire ni radiographie). Deux semaines plus tard, la patiente consulte en service de rhumatologie ; son état s’est aggravé aussi bien sur le plan douloureux que fonctionnel : la douleur est devenue permanente, insomniante et la patiente ne peut pas se mettre debout ni marcher sans aide.
À l’examen, la patiente est apyrétique ; son genou droit est tuméfié, chaud, avec présence d’un choc rotulien ; sa mobilisation est impossible en raison de la douleur. Le genou controlatéral est normal.
Les autres articulations sont libres et l’examen somatique est sans anomalie en dehors d’une pâleur cutanéo-muqueuse.
À la ponction articulaire, le liquide est jaune citrin mécanique avec des globules blancs à 180 éléments par mm3, stérile sans microcristaux.
Le reste du bilan biologique est normal, notamment la protéine C réactive (CRP), l’hémogramme, l’électrophorèse des protéines plasmatiques, le bilan métabolique et phosphocalcique.
La radiographie standard du genou de face montre une lésion lytique de type géographique excentrée de siège épiphyso-métaphysaire du fémur droit. Elle s’étend sur toute la largeur de l’os, est à contours flous avec une corticale soufflée et rompue, sans réaction périostée ni ossification au sein de la tumeur (fig. 1). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) du genou droit objective une lésion tumorale épiphyso-métaphysaire et diaphysaire de l’extrémité supérieure du tibia infiltrant les parties molles et l’espace articulaire (fig. 2 et 3).
Une biopsie est réalisée sous guidage échographique, suivie d’une deuxième biopsie chirurgicale sur demande du chirurgien orthopédique. Les deux concluent à une prolifération tumorale à double composante d’architecture nodulaire bien limitée : la première faite de cellules rondes mononuclées fusiformes d’aspect histiocytaire, la deuxième de cellules géantes multinucléées de phénotype ostéoclastique sur un fond de fibrose collagénique dense sans atypies cytonucléolaires ou mitoses atypiques. L’aspect morphologique est concordant avec une tumeur à cellules géantes.
La patiente, adressée en orthopédie, a bénéficié d’un curetage chirurgical avec mise en place d’une prothèse de genou.
La tumeur à cellules géantes est une tumeur osseuse bénigne touchant principalement les épiphyses des os longs. Son origine demeure incertaine. Elle est caractérisée par une ostéolyse parfois extensive. Les clichés simples s’avèrent habituellement assez caractéristiques pour suggérer le diagnostic.
Les tumeurs à cellules géantes sont relativement rares (de 4 à 9,5 % des tumeurs osseuses primitives).1 Elles s’observent, avec une légère prédominance féminine, chez l’adulte jeune entre 20 et 40 ans ;2 elles sont inhabituelles après 50 ans. Ce sont des tumeurs bénignes déroutantes en raison de leur agressivité locale, du risque de récidive, et de la transformation maligne (inférieure à 1 % des cas).
Le siège classique de cette tumeur est « près du genou et loin du coude », puis­que l’atteinte du genou regroupe entre 50 et 75 % des cas. La localisation est métaphyso-épiphysaire, ce qui permet de restreindre les hypothèses autour de quelques diagnostics, tels que le chondroblastome et le chondrosarcome.
Les tumeurs à cellules géantes sont uniques, les formes multiples sont exceptionnelles et font discuter les tumeurs brunes, la chondromatose et la dysplasie fibreuse.
Sur le plan clinique, la douleur est le maître symptôme. Elle est due à la compression nerveuse mécanique, d’apparition insidieuse, d’intensité modérée à intense et permanente. La tuméfaction est tardive et progressive, en rapport avec la progression tumorale locale et l’envahissement des parties molles. Parfois, les fractures pathologiques, la raideur articulaire avec épanchement peuvent être la traduction clinique des tumeurs à cellules géantes diagnostiquées tardivement. (La patiente est venue consulter à un stade tardif et avancé de la tumeur.)
Sur le plan morphologique, la radiographie standard permet d’évoquer le diag­nostic et de classer la lésion selon les stades de Campanacci. La tomodensitométrie (TDM), quant à elle, joue un rôle essentiel dans le suivi et la recherche de récidives. L’IRM montre un hyposignal T1, signal intermédiaire en T2, à la différence des autres lésions notamment l’abcès et le kyste.
Sur le plan thérapeutique, le traitement est classiquement chirurgical, cependant un traitement médical peut être discuté pour les lésions jugées inopérables. Le traitement de choix reste le traitement conservateur par curetage extensif de la lésion avec comblement de la cavité de curetage, pour des raisons mécaniques, par plusieurs matériaux : allogreffe, autogreffe, ciment acyclique et biomatériaux. La résection en bloc avec reconstruction prothétique donne le plus faible taux de récidive ; elle est réservée aux formes étendues et fracturaires, ou en cas de localisation à haut risque de récidive telle que l’extrémité distale du radius. L’embolisation peut être proposée pour les localisations difficiles comme le rachis et le sacrum. La radiothérapie, s’accompagnant d’un risque de transformation maligne (sarcome post-radique dans près de 10 % des cas si la dose est supérieure à 10 grays) est réservée aux localisations difficiles. D’autres traitements médicaux pourraient être efficaces comme les bisphosphonates et la calcitonine (en cours d’expérimentation). La meilleure connaissance du rôle de RANK-L dans la physiopathologie de ces tumeurs a conduit à des essais cliniques avec le dénosumab. Ce traitement est proposé pour les lésions inopérables ou agressives, notamment du rachis, du pelvis et du sacrum, avant une résection en bloc.
Les tumeurs à cellules géantes sont des tumeurs osseuses bénignes qui peuvent se développer de manière agressive et détruire les os proches d’une articulation. Elles nécessitent un diagnostic précoce et une exérèse en marges saines dès la première intervention afin de diminuer le risque de récidive et d’éviter des traitements plus mutilants. ●
Références
1. Semlali S, Malajati H, Eddarai M, Amil T, Bousselmame N, Akjouj S, et al. Les tumeurs à cellules géantes de l’os. Feuillets de Radiologie 2012;52(3):131-46.
2. Turcotte RE, Isler M, Doyon J. Tumeur à cellules géantes, Encyclopédie médico-chirurgicale 2001;14-772.

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