L’incidence des tumeurs du pancréas est en augmentation préoccupante : ils seront probablement la deuxième cause de mortalité par cancer en 2030 en France. Les causes sont de mieux en mieux comprises. Quid du dépistage ? Quels signes d’appel ? Quelles avancées thérapeutiques ? Le point avec la Pr Vinciane Rebours.

Vivons-nous une épidémie de tumeurs du pancréas ?

On constate effectivement une augmentation majeure de l’incidence des cancers du pancréas (adénocarcinome) depuis une vingtaine d’années : on comptait 6 000 nouveaux cas d’adénocarcinomes du pancréas par an en 2006 et 12 000 en 2012. Aujourd’hui entre 14 000 et 15 000 nouveaux cas sont diagnostiqués tous les ans. Cette hausse devrait perdurer : des projections estiment que ce cancer sera la deuxième cause de mortalité par cancer dans notre pays à l’horizon 2030.

Quelle sont les raisons de cette augmentation ?

L’amélioration du dépistage (par scanner) ne peut pas expliquer cette augmentation de l’incidence en France, qui est par ailleurs observée dans tous les pays occidentaux (en Europe, États-Unis, Canada…). Certains facteurs de risque ont été bien identifiés, avec des preuves solides : l’âge avancé (l’âge moyen au diagnostic est de 70 ans en France, même si on voit de plus en plus de cas chez les jeunes patients), le tabac – qui explique 20 à 30 % de ces cancers –, un diabète qui évolue depuis plusieurs années, l’obésité, la pancréatite chronique quelle que soit la cause (auto-immune, génétique, alcool). Il y a aussi des facteurs génétiques connus à l’origine de certaines formes familiales, qui restent toutefois minoritaires (environ 10 % des cas de cancers).

Or, parmi ces facteurs de risque, ceux qui ont explosé ces 20 dernières années (et qui pourraient donc expliquer la hausse de l’incidence des tumeurs du pancréas) sont le diabète et l’obésité : rappelons que 75 % des personnes adultes vivant aux États-Unis sont aujourd’hui en situation d’obésité ou de surpoids et qu’en France ce pourcentage atteint 49 % de la population ! De même, la prévalence du diabète ne cesse de grimper dans les pays occidentaux. Le lien avec l’obésité est complexe : d’une part, le syndrome inflammatoire chronique peut favoriser les voies de l’oncogenèse au niveau du pancréas ; d’autre part, des études de recherche suggèrent qu’en cas d’obésité le pancréas est plus « gras », ce qui est source d’inflammation dans cet organe.

Enfin, nous sommes de plus en plus convaincus que les changements du mode de vie survenus depuis les années 1980 sont impliqués dans cette épidémie : la modification radicale de notre alimentation, avec l’introduction d’aliments ultratransformés et de produits industriels ; l’augmentation de la sédentarité ; l’exposition accrue à la pollution et aux pesticides. Le rôle causal de ces facteurs est difficile à démontrer, compte tenu de la nécessité de la mise en place de grandes cohortes avec un long suivi et du nombre de facteurs confondants qui compliquent les analyses. Toutefois, des preuves commencent à émerger : des études ont montré dans les ongles des patients ayant un cancer du pancréas des doses plus importants de dérivés de la pollution (benzène, pesticides, hydrocarbures…) par rapport aux personnes n’ayant pas de cancer.1

Comment faire le diagnostic ?

La grande difficulté est que le diagnostic de cancer est trop souvent tardif, ce qui explique son mauvais pronostic : 50 % des patients ont des métastases au diagnostic, 30 % une forme localement avancée inopérable et 20 % un cancer éventuellement opérable après une chimiothérapie néoadjuvante. En l’absence d’un marqueur prédictif précoce, il faut être particulièrement vigilants aux signes d’appel :

  • des douleurs épigastriques irradiant dans le dos, qui ne cèdent pas ;
  • une perte de poids inexpliquée ;
  • l’apparition d’un diabète en l’absence de facteur de risque (antécédent familial, obésité) car le cancer peut être à l’origine d’un diabète néoplasique ;
  • la survenue d’une phlébite sans cause particulière (20 % des patients avec adénocarcinome vous une phlébite ou embolie pulmonaire au cours de leur histoire naturelle) ;
  • une pancréatite aiguë (mode de révélation dans 10 % des cas).

Dans ces situations, il faut prescrire un scanner.

Par ailleurs, le médecin traitant doit être attentif aux antécédents familiaux : à partir de 2 antécédents au premier degré de cancer de pancréas, il faut adresser le patient au gastroentérologue pour qu’il soit inclus dans un programme de dépistage spécifique et qu’une consultation en oncogénétique soit proposée.

Ces signes étant peu spécifiques, y a-t-il des axes de recherche pour améliorer le dépistage ?

Les travaux de recherche visent à identifier des marqueurs sériques tumoraux spécifiques et sensibles, essentiels pour améliorer le dépistage. On pourra ainsi utiliser des modèles s’appuyant sur l’IA pour prédire le risque d’avoir un cancer du pancréas à partir des facteurs de risque, des marqueurs biologiques et de l’imagerie. Mais pour le moment aucun marquer n’est utilisable ! Le CA 19 - 9 n’a pas d’intérêt en pratique clinique car il n’est ni spécifique ni sensible.

Quoi de neuf dans les traitements ?

La survie des patients s’est un peu améliorée grâce à de nouveaux protocoles de chimiothérapie (Folfirinox ou gemcitabine-Abraxane) mais les résultats restèrent globalement décevants.

L’immunothérapie n’a pas encore montré d’efficacité pour ce type de cancer, contrairement à d’autres tumeurs (mélanome, cancer du rein…)

Le développement de signatures moléculaires des tumeurs est réalisé pour prédire la réponse aux traitements et choisir la ligne de chimiothérapie la plus adaptée au patient et à sa tumeur.

Un autre axe de recherche repose sur les analyses moléculaires de la tumeur pour identifier des mutations génétiques qui peuvent être visées par des thérapies ciblées, mais le nombre de patients éligibles reste faible.

Référence
Antwi SO, Eckert EC, Sabaque CV, et al. Exposure to environmental chemicals and heavy metals, and risk of pancreatic cancer.  Cancer Causes Control 2015;26(11);1583-91.
Pour en savoir plus : 
Buscail L. Item 308. Tumeurs du pancréas.  Rev Prat 2022;72(2);201-9.
Miyashita Y, Hitsumoto T, Fukuda H, et al. Metabolic syndrome is linked to the incidence of pancreatic cancer. EClinicalMedecine 2023;67:102353.