Le palais des rois de France, devenu un musée le 10 août 1793, s’est progressivement agrandi au fil du temps : 210 000 m2 dont 60 600 m2 de galeries et près de 35 000 œuvres. Comme l’écrivait si justement André Malraux, « le musée est l’un des lieux qui donnent la plus haute idée de l’homme ». Émerveillé par ce foisonnement artistique, le médecin visiteur abandonne-t-il pour autant son sens de l’observation et son flair ? Quatre œuvres majeures, joyaux de ce musée, ont suscité notre intérêt esthétique mais aussi nos capacités de déduction clinique.

Mona Lisa : hypothyroïdienne en post-partum ?

Chaque jour (hors pandémie virale), environ 25 000 visiteurs s’abîment dans la contemplation du regard énigmatique de La Joconde (Mona Lisa pour les Anglo-­Saxons). Entre 1503 et 1506, il a fallu au moins 10 000 heures à Léonard de Vinci pour réaliser ce chef-d’œuvre dans un extrême souci de perfection. Quand on scrute attentivement le célèbre portrait de Madonna Lisa Maria di Gherardini, on aperçoit une lésion maculeuse jaunâtre irrégulière à l’angle de la paupière supérieure gauche. Par ailleurs, on constate une absence de cils et de sourcils ainsi qu’une tuméfaction de la face dorsale de la main droite.
Une étude récente à l’aide d’une caméra multispectrale a établi que cette main serrait une couverture contre l’abdomen de la belle dame, ce qui suggère qu’elle avait froid. De nombreux médecins se sont intéressés aux possibles affections de cette créature, l’une des plus célèbres de l’histoire de l’humanité. Son sourire énigmatique est-il la séquelle d’une paralysie faciale de Bell, d’un bruxisme, voire même d’une atteinte buccodentaire consécutive au traitement mercuriel de la syphilis ?
Ne devrait-on pas évoquer une hypo­thyroïdie chez cette jeune femme frileuse devant ce cortège de signes/symptômes révélateurs : xanthélasma de l’angle interne de la paupière supérieure gauche (fig. 1), perte des cils et des sourcils et infiltration de la face dorsale de la main droite pouvant témoigner d’un myxœdème ?1
Ce diagnostic est conforté par les travaux de l’acousticien Matsumi Suzuki, du Japan Acoustic Lab qui a établi, grâce à des techniques d’analyse de morphologie faciale, que la voix de La Joconde était relativement basse avec des tons dans le médium.2 Cinq siècles après sa création, le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci garde son mystère. Cet anatomiste de génie qui a inventé le sous-marin, l’avion, l’hélicoptère n’avait malheureusement pas imaginé la conception d’un appareillage biologique apte à fournir un bilan thyroïdien…

Le vieillard de Ghirlandaio : monstrueux ?

Dans ce Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon, peint vers 1490 par Domenico Ghirlandaio, ce qui frappe est le contraste saisissant entre la laideur du vieil homme et la beauté séraphique du bambin (fig. 2). Ce dernier n’éprouve aucune répulsion vis-à-vis du nez difforme, de la verrue au coin du front dégarni et des rides témoignant d’un âge avancé. Le vieillard esquisse un sourire empreint d’émotion et de tendresse.
Sa déformation nasale par le rhinophyma, forme hypertrophique sévère de la rosacée, occupe le centre du tableau.3 Cette hypertrophie des glandes sébacées d’installation progressive, plus ou moins inflammatoire, est accompagnée d’une fibrose dermique. Elle affecte principalement les hommes, dans plus de 95 % des cas, et en général après 50 ans. En outre, elle est souvent de couleur rouge vif avec dilatation des orifices folliculaires. Et ce « gros nez rouge bosselé » est mis à tort sur le compte d’une intoxication éthylique.
Ce tableau est une œuvre majeure de Domenico Ghirlandaio. Ce peintre florentin mort à 45 ans de la peste accueillit dans son atelier un jeune apprenti talentueux pour lui enseigner la technique picturale de la fresque. L’élève qui a fini par dépasser le maître se nommait Michelangelo Buonarroti plus connu sous le nom de Michel-Ange.

Akhenaton : un drôle de pharaon…

Le buste d’Aménophis IV ou Akhenaton (1372-1354 av. J.-C.) exposé au Louvre fait partie d’un pilier provenant d’un édifice bâti à l’est du temple d’Amon à Karnak. Le règne de ce pharaon est marqué par une série de réformes importantes sur le plan religieux, social et politique. Il a remplacé le culte d’Amon par celui du dieu solaire Aton et a transféré sa capitale de Thèbes pour un site à proximité d’Hermopolis, qu’il a baptisé Akhetaton, « l’horizon d’Aton ».
Plusieurs hypothèses diagnostiques sont fondées sur les nombreuses représentations de ce pharaon jeune, grand, longiligne à la morphologie gynoïde (taille marquée, hanches larges).
Son visage est allongé avec une lourde mâchoire, la bouche est lippue, le prognathisme important, les pommettes saillantes. Il est en outre doté de grandes oreilles et d’un long cou, maigre et gracile, comparé à celui d’un cygne (fig. 3).
Deux éléments importants de sa biographie peuvent avoir un intérêt médical. Il souffrait de troubles psychiques manifestes avec une instabilité caractérielle à l’origine des décisions étonnantes qui ont bouleversé l’Égypte tandis que sa libido était considérablement diminuée. Contrairement à ses illustres prédécesseurs, Akhenaton n’a pas entretenu de harem. Il ne s’est pas non plus marié avec une princesse étrangère comme le voulait l’usage diplomatique.
Tout cela supporte l’hypothèse qu’il souffrait d’une lipodystrophie de Barraquer-Simons, rare lipodystrophie progressive de cause inconnue.
Éléments évocateurs : disparition du tissu graisseux sous-cutané de la moitié supérieure du corps contrastant avec une adiposité excessive des hanches et des membres inférieurs, fonte des boules de Bichat (creusement des joues), cou maigre et long comme celui d’un poulet, bras décharnés et obésité de la partie inférieure du corps.4 D’autres médecins ont évoqué un syndrome de Babinski-Fröhlich, voire de Klinefelter (aneuploïdie XXY). Plus de 3 millénaires après sa mort, la maladie dont souffrait Akhenaton soulève encore de nombreuses questions…

Dans la peau de Jean-Paul Marat ?

Le musée du Louvre expose une réplique d’atelier du tableau donné par le peintre Jacques-Louis David à la Convention le 14 novembre 1793. L’original se trouve aujourd’hui au musée Royal des Beaux-Arts de Bruxelles.
Sur cette toile, c’en est fini du célèbre révolutionnaire, assassiné le 13 juillet 1793 dans sa baignoire par la royaliste Charlotte Corday (fig. 4). Sous les traits du peintre, Marat apparaît comme le martyr de la cause révolutionnaire. Il souffrait d’un féroce prurit généralisé qui l’obligeait à passer chaque jour de longues heures dans sa baignoire de cuivre en sabot, dont l’avantage était d’éviter un refroidissement trop rapide de l’eau chaude.
Selon ses contemporains, il avait sur le corps, en particulier au niveau du scrotum, des lésions bulleuses laissant place à des érosions qui avaient tendance à se surinfecter. En l’absence d’examen du corps de Marat, il n’est pas possible d’établir un diagnostic formel. Plusieurs ont été évoqués comme celui d’eczéma lichénifié devant l’aspect clinique et l’amélioration par des bains émollients, une dermatose bulleuse telle la dermatite herpétiforme ou le pemphigus végétant, ou bien une dermatite seborrhéique.5
Certains ont même envisagé que son prurit était psychogène d’autant qu’il se plaignait de céphalées, d’insomnie et d’un cortège de troubles psychiatriques évoquant une grave névrose paranoïaque. Pauvre Marat : assassiné deux fois ?
Références
1. Rousset L, Bernardeschi C, Halioua B. Did Mona Lisa suffer from postpartum thyroiditis? J Eur Acad Dermatol Venereol 2019;33:e225-e226.
2. Mayne E. Enigmatic no more... science brings Mona Lisa’s voice to life. The Mail. 21 May 2006.
http://dailym.ai/2YbQY7e
3. Janson P. Dermatoses in painting and sculpture; rhinophyma in portrait by Ghirlandaio. Z Haut Geschlechtskr 1951;10:430-1.
4. Leavesley JH. Akhenaton. Med J Aust 1985;142: 475-6.
5. Murphy LC. The itches of Jean-Paul Marat. J Am Acad Dermatol 1989;21(3 Pt 1):565-7.

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essentiel

La mystérieuse Mona Lisa souffrait peut-être d’hypothyroïdie.

Non, le grand-père peint par Ghirlandaio n’est pas un ivrogne.

Akhenaton était affligé d’une possible lipodystrophie.

Marat était probablement rongé par un eczéma lichénifié.