En France, alors que des programmes de dépistage auditif existent pour les nouveau-nés et les enfants, le dépistage de la surdité chez l’adulte, réel problème de santé publique, est encore insuffisamment développé. La prévalence de la perte auditive est d’environ 10 %.1 Cependant, selon une étude réalisée sur 186 460 personnes d’âge moyen de 47 ± 13,5 ans, de la cohorte CONSTANCES, ayant bénéficié d’un bilan audiométrique, 25 % avaient une perte auditive et, pour 4,3 %, elle était supérieure ou égale à 35 dB sur leur meilleure oreille ;2 chez les sujets ayant une surdité modérée, moins de 37 % portaient une prothèse auditive.
Des campagnes sont menées pour encourager les personnes à faire tester leur audition. Les difficultés à entendre les conversations à plusieurs, les problèmes de compréhension dans les environnements bruyants ou la présence d’acouphènes sont des signes d’appel auxquels il faut prêter attention. La question qui se pose est de savoir à partir de quand il est nécessaire de consulter pour des problèmes d’audition. Il est souvent considéré qu’une gêne auditive est simplement due au vieillissement « normal » et ne justifie pas une consultation médicale. De plus, la surdité est encore perçue comme un handicap – ce qu’elle est – et certaines personnes hésitent à en parler, surtout si le fait de poser un diagnostic de surdité et/ou de porter un appareil auditif entraîne des conséquences au travail et dans les relations sociales et familiales.
Si l’impact de la surdité sur la qualité de vie est évident, il a été également démontré qu’elle favorise les états dépressifs et est le principal facteur de risque modifiable de la démence.3 De plus, chez les patients de plus de 65 ans, la réhabilitation auditive peut avoir un effet bénéfique sur les fonctions cognitives.4 - 6
Le dépistage des patients déficients auditifs peut se faire par un autoquestionnaire (HHIE-S pour les adultes de plus de 60 ans)7 ou grâce à des applications mobiles.8 L’enjeu est de pouvoir identifier précocement, de manière systématique grâce à un questionnaire simple et rapide, toutes les personnes, quel que soit leur âge, devant bénéficier d’un bilan audiométrique ; il s'agit de déterminer à la fois l’intensité de la perte auditive mais aussi son origine potentielle (surdité de transmission, perception, neurosensorielle). Au décours de ce bilan, une réhabilitation auditive peut être proposée. En effet, l’arrêté du 14 novembre 2018 100 % Santé permet une prise en charge complète des prothèses auditives, même en cas de surdité légère. Dans ce processus de dépistage, compte tenu de la démographie des ORL (environ 3 000 médecins en 2022, soit 4,5 ORL pour 100 000 habitants, dont 43 % ont une activité libérale et 32 % une activité mixte, hospitalière et libérale, avec un âge moyen de 53 ans), la place du médecin traitant est primordiale, garantissant une prise en charge pertinente, adaptée et précoce à chaque patient.
Questionnaire : une méthode simple pour évaluer une surdité
Le questionnaire utilisé fait partie du kit de repérage des troubles neuro-sensoriels testant audition, vision, équilibre et cognition (AVEC).9 Il s’agit d’un questionnaire en ligne, finalisé en 1998 par Hélène Caron et validé par Michel Picard, à l’Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (Québec, Canada).10 Le questionnaire actuel comprend quatorze questions avec quatre réponses possibles selon la fréquence, et une question de conclusion : « Comment trouvez-vous votre audition ? » (tableau 1). Le score maximal est de 45 : plus il est élevé, meilleure est l’audition évaluée par le patient dans la vie courante.
Ce questionnaire a été proposé à 164 patients, âgés de 43 à 62 ans, qui consultaient l’unité Otologie, implants auditifs, et pathologie de la base du crâne du GHU de La Pitié-Salpêtrière (Paris) pour tester l’audition par audiométries tonale et vocale dans le silence (tableau 2). À partir des données de l’audiométrie tonale, la perte tonale auditive moyenne (PTA) a été calculée et pondérée en cas de perte asymétrique entre les deux oreilles, et l’intensité de la surdité a été classée selon les recommandations du Bureau international d’audiophonologie :11
- PTA ≤ 20 dB : audition normale ou subnormale ;
- 21 < PTA ≤ 40 : surdité légère ;
- 41 < PTA ≤ 70 : surdité moyenne ;
- 71 < PTA ≤ 90 : surdité sévère ;
- 91 < PTA < 120 : surdité profonde.
En ce qui concerne l’audiométrie vocale, elle a été réalisée avec des listes de mots dissyllabiques (listes de Fournier). Le seuil pour lequel 50 % des mots dis-syllabiques étaient reconnus a été colligé, et la moyenne des valeurs obtenues pour chacune des oreilles a été calculée (Speech Recognition Threshold [SRT]).
L’analyse statistique réalisée a permis de corréler la PTA (fig. 1) et le SRT (fig. 2) avec le score obtenu au questionnaire et d’évaluer le meilleur score permettant de définir une surdité au-delà de 40 dB.
Résultats obtenus dans la population étudiée et à attendre en population générale
L’utilisation du questionnaire est simple et rapide : une réponse est apportée à toutes les questions sans que des explications soient nécessaires. Le score obtenu au questionnaire est corrélé à la fois à la perte en audiométrie tonale (fig. 1 ; coefficient de Spearman : 0,54 ; p < 0,0001) et au seuil obtenu en audiométrie vocale (fig. 2 ; coefficient de Spearman : 0,52 ; p < 0,0001). Le calcul de l’indice de Youden* a permis de définir qu’un score strictement inférieur à 37 permettait un dépistage très sensible de la surdité : seuls 3 patients (moins de 2 %) avaient un score au questionnaire supérieur ou égal à 37 (faux négatifs) ; ces patients avaient une surdité asymétrique pouvant expliquer le peu de gêne ressentie. Parmi les 71 patients (43 %) avec un score inférieur à 37 et n’ayant pas de surdité moyenne ou profonde (faux positifs), 61 (86 %) avaient une surdité légère et 10 (14 %) une audition considérée comme normale (tableau 3).
La sensibilité du questionnaire a été calculée à 92 % et sa spécificité à 43 %. Le calcul de l’odds ratio permet de dire que les sujets avec un score inférieur à 37 ont un risque multiplié par 9,1 d’avoir une surdité moyenne à profonde, comparés à ceux ayant un score supérieur ou égal à 37.
In fine, le ressenti global du patient, estimé par la réponse à la question 15, est bien corrélé aux valeurs audiométriques : seuls 11 patients (7 %) ont déclaré avoir une bonne audition ou un léger problème d’audition, alors que leur audiométrie mettait en évidence une surdité au-delà de 40 dB de perte. Inversement, ils étaient 55 (34 %) à se plaindre de problèmes modérés ou majeurs d’audition alors que leur perte moyenne ne dépassait pas 40 dB, mettant bien en évidence la gêne ressentie avec une surdité légère, gêne dont il faut tenir compte dans la prise en charge du patient.
Suites à donner au dépistage par questionnaire
Si le questionnaire a été proposé à des patients venant consulter dans un service d’ORL, une répartition équilibrée des différentes intensités de surdité (audition normale, surdités légère, moyenne et sévère) a été observée : 77 % avaient une audition normale ou une surdité légère ; un seul avait une surdité sévère (fig. 1). Pour l’audiométrie vocale, la répartition du SRT est plus hétérogène mais également corrélée au score obtenu au questionnaire (fig. 2).
En conséquence, ce questionnaire doit pouvoir être diffusé par le médecin généraliste à ses patients, afin d’évaluer la gêne auditive au quotidien et d’en assurer une prise en charge et une réhabilitation précoce.
Score rassurant : supérieur ou égal à 37
Il s’agit alors d’expliquer au patient que ce questionnaire est très sensible, mais qu’une surdité asymétrique/unilatérale n’est pas à exclure (moins de 2 % dans notre étude), pour autant que cette asymétrie ne soit pas déjà connue par le patient. La question de la gêne ressentie par le patient mais également par son entourage doit être régulièrement réévaluée.
Score inférieur à 37 : explorer !
En cas de score inférieur à 37, la décision est univoque : après avoir réalisé un examen otoscopique, à la recherche d’une pathologie d’oreille externe ou moyenne (malformation, bouchon de cérumen, corps étranger, perforation tympanique…), un bilan audiométrique complet, tonal et vocal, dans le silence, est demandé.
La moindre asymétrie entre les deux oreilles ou l’existence d’acouphènes unilatéraux (suspicion de schwannome vestibulaire), une différence entre les courbes osseuse et aérienne (atteinte de l’oreille moyenne, otospongiose) ou une audiométrie vocale plus altérée qu’attendu au vu des données de l’audiométrie tonale (suspicion de neuropathie) doivent faire pratiquer des bilans complémentaires (audiométrie dans le bruit, imagerie). En cas de surdité neurosensorielle, une réhabilitation auditive, uni- ou bilatérale, doit être proposée.
À ce jour, la mise en place du 100 % Santé a permis de lever les freins financiers à la réhabilitation auditive.
Score inférieur à 37 et audition considérée comme normale
Reste le cas particulier des personnes gênées avec un score inférieur à 37 pour lesquelles l’audition est considérée comme « normale » (10 patients dans l’étude). Ces patients, manifestement gênés dans le bruit, doivent bénéficier de tests complémentaires, réalisés dans le bruit, afin de poser l’indication d’appareillage auditif. En cas de résultat anormal, une prothèse auditive peut être essayée pendant quatre à six semaines et remboursée si l’essai est concluant. Tous ces patients doivent évidemment être surveillés sur le plan auditif, de façon régulière.
Que dire à vos patients ?
- « Surdité » est un mot qui a une connotation négative, parlons plutôt de déficience auditive.
- Toute déficience auditive, quelle que soit son importance, doit être prise en charge : tout comme le presbyte porte des lunettes, le presbyacousique peut bénéficier d’une prothèse auditive.
- La réhabilitation auditive doit être débutée le plus tôt possible pour améliorer la qualité de vie et préserver les capacités cognitives.
- Aujourd’hui, avec le 100 % Santé, la question financière ne devrait plus être un obstacle à l’achat de deux prothèses auditives, droite et gauche, adaptées à l’intensité de la surdité.
2. Lisan Q, Goldberg M, Lahlou G, et al. Prevalence of hearing loss and hearing aid use among adults in France in the CONSTANCES study. JAMA Netw Open 2022;5:e2217633.
3. Livingston G, Huntley J, Sommerlad A, et al. Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. Lancet 2020;396:413-446.
4. Conceição Santos de Oliveira D, Gomes-Filho IS, Araújo EM, et al. Association between hearing loss and cognitive decline in the elderly: A systematic review with meta-analysis study. PLoS One 2023;18:e0288099.
5. Mosnier I, Vanier A, Bonnard D, et al. Long-term cognitive prognosis of profoundly deaf older adults after hearing rehabilitation using cochlear implants. J Am Geriatr Soc 2018; 66:1553-1561.
6. Lin FR, Pike JR, Albert MS, et al. ACHIEVE Collaborative Research Group. Hearing intervention versus health education control to reduce cognitive decline in older adults with hearing loss in the USA (ACHIEVE): A multicentre, randomised controlled trial. Lancet 2023;402:786-797.
7. Duchêne J, Billiet L, Franco V, et al. Validation of the French version of HHIE-S (Hearing Handicap Inventory for the Elderly - Screening) questionnaire in French over 60-year-olds. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis 2022;139:198-201.
8. Ceccato JC, Duran MJ, Swanepoel W, et al. French Version of the Antiphasic Digits-in-Noise Test for Smartphone Hearing Screening. Front Public Health 2021;9:725080.
9. Lyky Besson E, Bouccara D, Madjlessi A. Validation d’un questionnaire de repérage des troubles auditifs : recherche de corrélations avec les données audiométriques. Les Cahiers de l’Audition 2018; 5:34-37.
10. Polyclinique de l'oreille. Questionnaire de dépistage auditif en ligne : http://tinyurl.com/2zn9mhd3
11. International Bureau for audiophonologie. Recommandation BIAP 02/1 bis. Classification audiométrique des déficiences auditives. 1997. Disponible sur : http://tinyurl.com/47ty4f44