Les connaissances sur la maladie d’Alzheimer, qui ont largement progressé ces 5 dernières années, suggèrent que sa physiopathologie pourrait commencer par une accumulation anormale de peptide amyloïde suivie d’une agrégation anormale de protéine tau (ou de tau anormalement phosphorylée). D’autres facteurs pourraient intervenir, comme facteurs d’aggravation ou au contraire de protection, tels que la neuro-inflammation et l’activation des cellules microgliales, les facteurs vasculaires que sont les micro-lacunes, les micro-saignements et les anomalies de la barrière hémato-encéphalique ou enfin la réserve cognitive.
Des travaux récents menés par un consortium européen dirigé par l’Université de Genève, dont fait notamment partie l’Inserm, suggèrent que contrairement à une hypothèse déterministe (où le dépôt d’amyloïde dans le cortex cérébral puis l’augmentation de la protéine tau hyperphosphorylée dans les neurones conduiraient inéluctablement à une dégénérescence neurocognitive), il existerait différents types « d’enchaînements » aboutissant à des caractéristiques diverses de la maladie d’Alzheimer, avec des implications notamment au niveau de la prévention et de la thérapeutique.
Paru dans Nature Reviews Neuroscience, cet article a analysé les données de près de 200 études et proposé une classification des malades en trois groupes, se distinguant notamment par des facteurs de risque génétiques différents qui conduisent à des évolutions distinctes de la maladie.
En effet, d’après ces chercheurs, si l’hypothèse déterministe était vraie pour tous les malades, « l’arrêt de la production de bêta-amyloïde par un médicament devrait logiquement interrompre la perte neuronale et donc la perte de mémoire » ; or cela « n’a pas été massivement observé […] avec le premier médicament ciblant le dépôt de plaques amyloïdes [l’aducanumab], approuvé il y a quelques mois par les autorités régulatrices européennes et américaines », explique le Pr Giovanni Frisoni, directeur de ces travaux. « De plus, poursuit-il, nous avons constaté que certaines personnes ayant de l’amyloïde ne développent pas de symptômes cognitifs ».
Ainsi, la « prédiction en cascade » – à partir de l’accumulation de peptide amyloïde dans le cerveau – ne se confirmerait que dans l’un de ces trois groupes : celui des personnes porteuses d’une mutation génétique héréditaire autosomique dominante rare, qui conduit au développement systématique d’un déficit cognitif précoce (entre 30 et 50 ans).
Dans le deuxième groupe, constitué de patients souffrant d’une forme sporadique de la maladie, le développement d’un déficit cognitif dépendrait de la présence d’une variation génétique, l’allèle e4 du gène APOE, qui apparaît alors comme un facteur de risque important. Selon leurs estimations, un tiers des patients qui en sont porteurs développent plus ou moins tardivement les symptômes de la maladie d’Alzheimer.
Enfin, dans le troisième groupe, chez les personnes sans mutation génétique associée, la présence de protéines neurotoxiques serait certes un facteur de risque important, mais pas unique. « Or la moitié de nos patients appartient à ce troisième groupe », souligne Giovanni Frisoni.
Ce modèle probabiliste suggère ainsi qu’il faut considérer l’ensemble des facteurs de risque génétiques et environnementaux, le déficit cognitif se développant « lorsque leur poids surmonte la résilience du cerveau, elle-même déterminée par des facteurs protecteurs d’origine génétique et environnementale ». En particulier, cela pourrait conduire à cibler les personnes les plus à risque afin de les traiter dans la phase présymptomatique, voire à adapter les stratégies préventives et thérapeutiques en fonction du profil de chaque patient, à rebours d’un protocole standardisé.
LMA, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Université de Genève. Il n’y aurait pas une maladie d’Alzheimer, mais trois. 23 novembre 2021.
À lire aussi :
Dossier – Maladie d’Alzheimer : aspects précliniques et précoces (sous la direction du Pr Jacques Hugon). Rev Prat 2020;70(2);147-77.
Martin Agudelo L. Alzheimer : un premier traitement contre sa progression ?Rev Prat (en ligne) juin 2021.