Lorsqu’on interroge les professionnels de santé, les violences sur mineurs sont souvent perçues comme des situations rares, difficilement identifiables. Elles concerneraient pourtant 10 % de la population pédiatrique dans les pays développés.1 Le nombre de mineurs bénéficiant d’au moins une prestation ou mesure relevant du dispositif de protection de l’enfance au 31 décembre 2020 est estimé à 308 000 sur la France entière (hors Mayotte), ce qui représente un taux de 21,4 ‰ des mineurs (rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance [ONPE] 2022).2
Survenant le plus souvent dans un contexte intrafamilial, les violences et les négligences sont un des sujets les plus sensibles et les plus difficiles à traiter pour les médecins de terrain. Comme pour toutes les situations rencontrées dans la pratique médicale, un fléchage des ressources possibles de prévention et de soins gradués sur le territoire représente, outre la formation initiale et continue, un point d’appui fort pour les praticiens qui repèrent ces situations. En lien étroit avec les départements, et en particulier les médecins référents protection de l’enfance des conseils départementaux,3 les unités d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED) et les équipes régionales référentes enfance en danger (ERRED) – telles que présentées dans l’instruction récente4 – constituent des ressources sur les territoires de santé.
Les situations de violence et de maltraitance des enfants et des adolescents peuvent entraîner des conséquences graves sur le développement physique et psychique. Une organisation territoriale graduée impliquant tout praticien et des équipes spécialisées, en lien étroit avec ses partenaires institutionnels, est un atout pour les mineurs en danger.
Mineurs et maltraitance : des signes difficiles à voir et à concevoir
Les violences faites aux mineurs font partie intégrante de la clinique pédiatrique. Leur expression clinique peut constituer un signe d’appel pour les praticiens de terrain. La santé des enfants et des adolescents en danger est une préoccupation médicale forte, mobilisant les praticiens et les instances quant à la mise en place d’un parcours en santé.
Toutefois, évoquer les situations de violence pour un praticien de terrain n’est pas évident. Les signes cliniques à repérer sont souvent mal connus et peu accessibles en raison d’une formation universitaire et post-universitaire perfectible. Or ces situations confrontent le plus souvent les professionnels à une sidération, une incapacité à penser et à concevoir l’impensable. Même quand ils sont formés à cette clinique singulière, ces éléments de déni conduisent à une sous-estimation ou une mésestimation de la situation de danger de la part du praticien. Il est donc essentiel de penser à plusieurs pour établir un diagnostic et une conduite à tenir qui intègre la notion de soins, de protection et de préservation des preuves médico-légales.
À qui en parler ?
Afin de traiter au mieux ces situations, le praticien peut se rapprocher du médecin référent protection de l’enfance du conseil départemental – depuis la loi n° 2016/297 du 14 mars 2016, chaque département devrait en être doté. Il est l’interlocuteur des médecins de terrain et fait le lien avec les professionnels du conseil départemental en charge de la protection de l’enfance. Sa présence permet des échanges plus fluides tant avec les professionnels de santé qu’avec les travailleurs sociaux autour de la santé des mineurs en protection de l’enfance, la prise en compte de leurs besoins, le partage de connaissances sur les sujets de la santé en protection de l’enfance.
Les médecins peuvent également partager des informations à caractère secret avec les professionnels de la protection de l’enfance, en particulier avec la cellule départementale de recueil des informations préoccupantes (CRIP), s’ils ont des inquiétudes sur une situation de danger pour un mineur.5
Un nouveau dispositif pour améliorer le parcours des victimes
L’instruction n° DGOS/R4/R3/R2/2021/220 du 3 novembre 2021 relative à la structuration de parcours de soins pour les enfants victimes de violence est une formidable avancée pour le parcours de soins et la prise en charge médico-judiciaire des mineurs victimes. Elle prévoit le déploiement d’unités d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED) – au moins une par département – en s’appuyant sur le réseau existant, ainsi que la création d’équipes régionales référentes enfance en danger (ERRED) (
Les UAPED doivent répondre à deux missions sur le même site pédiatrique :
• donner un avis spécialisé en pédiatrie médico-légale pour le repérage et le diagnostic des situations de violences faites aux enfants en tant qu’équipe ressource, en hospitalisation ou en consultation, notamment sur demande d’un praticien de ville ou d’une famille ;
• organiser le parcours médico-judiciaire protégé des mineurs victimes avec mise à disposition pour les enquêteurs d’une salle d’audition intégrée et réalisation des examens médico-psychologiques sur réquisition judiciaire en collaboration avec les services de médecine légale et les unités médico-judiciaires (UMJ).
En alliant l’ensemble de ces compétences, elles répondent à l’objectif d’un « meilleur repérage des violences et une meilleure prise en charge précoce des enfants victimes ».
Briser le secret pour protéger l’enfant
Une fois les situations de danger repérées, le médecin est confronté à la révélation, auprès des autorités compétentes, des faits qui lui laissent présumer que des violences ont été commises sur un mineur. Or il est dépositaire du secret professionnel.6
Sauf si son statut l’oblige à le faire (médecins scolaires, de la PMI, fonctionnaires et assimilés…), il peut se délier du secret auprès des autorités administratives ou judiciaires dès lors qu’il suspecte une situation de danger.7 Sa responsabilité civile, pénale ou disciplinaire ne peut être engagée par la rédaction d’un tel écrit, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi.
Toutefois, la forme de l’écrit est importante. La saisine de l’autorité judiciaire se fait par la voie d’un signalement judiciaire (SJ) qui est adressé au procureur de la République ; la saisine des services de protection de l’enfance du conseil départemental se fait par la voie de la rédaction d’une information préoccupante (IP) adressée à la CRIP (
De même, le médecin peut partager des éléments qui lui permettent de retenir une situation de risque ou de danger avec les professionnels des services mettant en œuvre ou concourant à la protection de l’enfance.8
Agir en transparence avec les détenteurs de l’autorité parentale
Le médecin doit informer la famille de ses démarches, sauf intérêt contraire du mineur. Il est parfois difficile de réaliser cette annonce auprès des familles ; le praticien peut évoquer une inquiétude vis-à-vis de l’enfant en centrant son propos sur son état de santé et son bien-être. Rappeler aux parents – comme étant une notion partagée – les retentissements sur la santé des négligences et des violences subies peut constituer un appui important.
Il peut aussi évoquer la nécessité d’une évaluation de la situation afin de permettre à la famille de recevoir un éventuel soutien pour répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant.
Partager avec les familles cette inquiétude, lorsque cela est possible pour le praticien, ne met pas l’enfant en danger ; cela constitue une accroche en santé qui inscrit ce dernier dans une perspective de soins. Dans les situations de négligence et de violence, la santé globale au sens de la définition de l’Organisation mondiale de la santé, ainsi que les soins, constituent un levier qui permet de faire alliance malgré les différends perçus ou soulevés par les familles, et de faciliter les interventions ultérieures en protection de l’enfance.
Ne pas rester seul face à un doute ou une inquiétude
Les praticiens intervenant auprès des enfants doivent faire la promotion d’une éducation bienveillante et sans violence, conformément à la loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires.9
Les situations de mineurs en danger sont difficiles à diagnostiquer et à annoncer dans la pratique médicale. Il est important de savoir les repérer en ayant une bonne connaissance de la clinique de la violence. Il est essentiel de ne pas rester seul face à ces situations et de pouvoir partager ses inquiétudes et ses doutes. Pour ce faire, le médecin peut se rapprocher du médecin référent protection de l’enfance du conseil départemental, des CRIP et des UAPED pour discuter des situations, avoir un avis spécialisé sur la conduite à tenir, voire organiser une hospitalisation. Dans tous les cas, le praticien a le devoir de protéger les mineurs en danger.
1. Gilbert R, Spatz Widom C, Browne K, et al. Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries. Lancet 2009;373(9657):68-81.2. Momic M, Capelier F. Chiffres clés en protection de l’enfance au 31 décembre 2020. Note statistique. Observatoire national de la protection de l’enfance. Février 2022.3. Art. L221-2 du code de l’action sociale et des familles.4. Instruction n° DGOS/R4/R3/R2/2021/220 du 3 novembre 2021 relative à la structuration de parcours de soins pour les enfants victimes de violences, parue le 15 décembre, concernant le déploiement des unités d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED) et la création d’équipes régionales référentes de l’enfance en danger.5. Art. L226-2-2 du code d’action sociale et des familles.6. Art. 226-13 du code pénal.7. Art. 226-14 du code pénal.8. Art. L226-2-2 du code d’action sociale et des familles.9. Loi n° 2019-721 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires.
Les auteurs remercient Monsieur Stéphane Cantero, avocat général près la cour d’appel de Rennes, pour sa relecture.
Mineurs et maltraitance : les feux rouges
Trois situations imposent une hospitalisation ou un avis spécialisé en urgence :
• la découverte de lésions d’allure traumatique, en particulier cutanées ou profondes (osseuses, neurologiques, intra-abdominales…) chez l’enfant non déambulant ;
• les agressions sexuelles datant de moins de cinq jours ;
• les situations prostitutionnelles.
Que dire à vos patients ?
• Parler au pluriel permet d’aborder le sujet des violences au travers d’une approche collégiale et d’éviter la relation duelle : « Nous sommes inquiets … nous sommes préoccupés… »
• Aborder les inquiétudes en évoquant la santé physique, psychique et sociale des enfants et des adolescents et le retentissement connu des violences sur celle-ci.
• Recentrer les échanges sur le mineur et sa santé et non sur la genèse du traumatisme et des violences : « Nous sommes inquiets pour votre enfant qui a les signes cliniques suivants… »
• Évoquer la nécessité de demander un autre avis ou une évaluation en rédigeant une information préoccupante (IP) ou un signalement judiciaire (SJ), sauf intérêt contraire du mineur.
Dans cet article
- Mineurs et maltraitance : des signes difficiles à voir et à concevoir
- À qui en parler ?
- Un nouveau dispositif pour améliorer le parcours des victimes
- Briser le secret pour protéger l’enfant
- Agir en transparence avec les détenteurs de l’autorité parentale
- Ne pas rester seul face à un doute ou une inquiétude