L’inhalation récréative de protoxyde d’azote est de plus en plus répandue. L’ANSM alerte sur une nette augmentation des intoxications, avec des complications notamment neurologiques, et met à disposition une fiche pour les soignants précisant les signes évocateurs et la prise en charge.
Le protoxyde d’azote (N2O) est un gaz utilisé en médecine et odontologie pour son effet analgésique (mélangé à de l’oxygène et inhalé par le patient à l’aide d’un masque), mais il est aussi utilisé dans l’industrie et en cuisine en tant que gaz de compression (dans les siphons culinaires, par exemple de crème chantilly). Il est à ce titre en vente libre, et il est facile de s’en procurer ; toutefois, sa vente a été interdite aux mineurs en 2021.
Depuis quelques années et de façon croissante, son usage est détourné à des fins récréatives, notamment par la recherche d’un effet euphorisant par inhalation de cartouches pour les siphons culinaires, ou de bonbonnes (d’où l’appellation de gaz hilarant). Cet usage concerne principalement les jeunes adultes.
Les cas graves d’intoxication en augmentation
Par rapport aux précédents rapports de l’ANSM et de l’Anses sur l’année 2020, un rapport récent portant sur les cas déclarés aux centres d’addictovigilance et aux centres antipoison (toxicovigilance) fait état d’une augmentation en 2021 du nombre de signalements de cas graves d’intoxication au protoxyde d’azote : ils ont été multipliés par 3, passant de 82 cas déclarés aux centres d’addictovigilance en 2020 à 265 cas en 2021.
En outre, 80 % des cas déclarés à ces centres mentionnent des complications neurologiques ; de même, 65 % des symptômes rapportés aux centres antipoison sont des atteintes neurologiques ou neuromusculaires.
De plus, la consommation quotidienne a augmenté (47 % des signalements aux centres d’addictovigilance pour lesquels cette information est disponible mentionnent une consommation quotidienne, contre 34 % en 2020), et les doses consommées semblent plus élevées, allant jusqu’à 24 bouteilles/jour et 48 bouteilles en une soirée (les bouteilles et bombonnes, et non plus les cartouches, représentent désormais la majorité des formes consommées), mais il est difficile d’évaluer précisément les doses, en raison de la variabilité de la taille des bonbonnes utilisées et de leur usage partagé.
Si la moyenne d’âge est de 22 ans, les mineurs représentent encore une part non négligeable des utilisateurs (11,2 % des cas déclarés aux centres d’addictovigilance et 16,6 % de ceux déclarés aux centres antipoison), et ce malgré l’interdiction de la vente de ce gaz aux mineurs depuis juin 2021. Ces signalements concernent des hommes dans 58 % des cas.
L’ANSM signale, enfin, que le protoxyde d’azote est généralement utilisé seul, contrairement à d’autres situations d’addiction qui associent plusieurs substances (dans le précédent rapport, 20 % des personnes avaient néanmoins associé sa consommation à des substances psychoactives telles que l’alcool ou le cannabis), mais son usage dépasse désormais le cadre « festif », avec denouveaux effets recherchés ou ressentis (thymorégulateur, effets semblables au cannabis, tristesse de l’humeur à l’arrêt…).
Quels risques ?
Les effets d’une consommation à court terme sont d’abord les effets psychotropes (euphorie, gloussements, distorsion du son et hallucinations légères) culminant après environ 20 secondes avant de diminuer rapidement et revenir à la normale dans les 2 minutes après l’arrêt de l’inhalation. Les risquesimmédiats associés à cette utilisation sont en particulier :
- asphyxie par manque d’oxygène : utilisation par cycles respiratoires répétés, dite « en vase clos », qui raréfie progressivement en oxygène le contenant du ballon ; de plus, le protoxyde d’azote en concentration élevée (> 50 %) inhibe la réponse physiologique normale à l’hypoxie ;
- perte de connaissance ;
- brûlure par le froid du gaz expulsé de la cartouche ;
- perte du réflexe de toux et de protection du larynx avec risque de fausse route, voire pneumothorax ou œdème aigu du poumon ;
- désorientation, vertiges et risque de chute (effet anesthésique dissociatif avec diminution du ressenti de la douleur et de conscience de l’environnement).
En cas d’utilisation régulière et/ou à forte dose : du fait de l’action du gaz sur le système nerveux central, des consommations répétées et à intervalles rapprochés peuvent entraîner maux de tête, vertiges, troubles du rythme cardiaque, risque d’asphyxie, voire troubles psychiques et atteintes neurologiques.
Enfin, une inhalation chronique peut engendrer des dommages à long terme : le protoxyde d’azote entraîne une carence en vitamine B12, par son oxydation irréversible. Cela a pour conséquence une anémie mégaloblastique, une dysfonction du système reproducteur (impuissance, diminution de la fertilité et tératogénicité) et une myéloneuropathie sensitivomotrice. Cette dernière se caractérise par une symptomatologie ascensionnelle (commençant aux membres inférieurs et progressant ensuite vers les membres supérieurs), accompagnée d’ataxie et d’une diminution de la sensibilité vibratoire et proprioceptive.
Quand penser à une intoxication et quelle est la conduite à tenir ?
L’ANSM a élaboré une fiche à destination des professionnels de santé (v. figure ci-contre), listant les principaux signes (neurologiques, CV, psychiatriques…) qui doivent faire penser à une intoxication au protoxyde d’azote, et conduire à une prise en charge immédiate.
Comme pour toute intoxication, le premier traitement consiste en l’arrêt de l’agent responsable. Les effets psychotropes disparaissent dans les 2 minutes suivant l’arrêt de consommation.
Il faut ensuite prendre en charge les conséquences spécifiques dues aux accidents potentiellement survenus lors de l’état dissociatif. En cas d’urgence, prévenir les secours (15 ou 112) et contacter le Centre antipoison ou le Centre d’addictovigilance.
La sédation et l’hypoxie peuvent être résolues par une assistance respiratoire.
La survenue éventuelle d’une méthémoglobinémie, due aux impuretés présentes dans le mélange, est traitée par le bleu de méthylène. Les gelures de point de contact sont traitées par « cooling » immédiat à l’eau tiède.
La toxicité chronique résultant de l’oxydation de la vitamine B12, et plus particulièrement son tableau de myéloneuropathie sensitivomotrice, se traite par une supplémentation en vitamine B12. L’ANSM déplore toutefois dans le rapport de toxicovigilance le recours plus fréquemment rapporté à une automédication par vitamine B12 chez les usagers de protoxyde d’azote.
Enfin, pour déclarer tout cas grave lié à un abus, une dépendance ou un usage détourné avec le protoxyde d’azote : www.signalement-sante.gouv.fr.
En cas de difficulté du patient à contrôler et/ou à stopper sa consommation, on pourra le référer à une structure spécialisée dans la prise en charge des addictions, telle qu’une « consultation jeunes consommateurs » qui propose un service, gratuit et confidentiel, d’accueil, écoute et conseil et, si nécessaire, une orientation (informations disponibles sur www.drogues-info-service.fr).
ANSM. Intoxication au protoxyde l’azote : l’ANSM publie un document d’aide au diagnostic et à la prise en charge pour les professionnels de santé. 19 janvier 2023.
À lire aussi :
Domont P, Debaize S. Usage extrahospitalier du protoxyde d’azote à visée récréative. Rev Prat 2020;70(10);1143-9.
Auffret Y. Utilisation festive du protoxyde d’azote : des risques majeurs ! Rev Prat 2019;69(5);535-6.
Brosset C, The Nguyen H, Van TD, et al. Complications neurologiques de l’intoxication au protoxyde d’azote. Rev Prat 2020;70(10);1103.