L’inhalation festive de protoxyde d’azote (consommé pour ses effets euphorisants) est de plus en plus répandue. Un nouveau rapport de toxicovigilance de l’Anses confirme une nette augmentation des cas d’intoxication en 2020 chez un public jeune, avec des conséquences neurologiques parfois graves et durables, en particulier chez les consommateurs réguliers. Quels sont les risques et la symptomatologie ? Quelle conduite tenir devant une intoxication ?

 

Le protoxyde d’azote est un gaz utilisé en médecine et odontologie pour son effet analgésique (mélangé à de l’oxygène et inhalé par le patient à l’aide d’un masque), mais il est aussi utilisé dans l’industrie et en cuisine en tant que gaz de compression (dans les siphons culinaires, par exemple de crème chantilly). Il est à ce titre en vente libre, et il est facile de s’en procurer.

Depuis quelques années, son usage est détourné à des fins festives (recherche d’un effet euphorisant par inhalation de cartouches pour les siphons culinaires, par exemple). Cet usage concerne principalement de jeunes adultes, notamment des étudiants, mais il augmente aussi chez les adolescents (lycéens et collégiens), qui constituaient 20 % des cas rapportés aux Centres antipoison en 2020, contre 13,6 % en 2019.

Le dernier rapport de toxicovigilance de l’Anses recense en effet 134 cas (dont 126 symptomatiques) entre le 1er janvier et le 31 décembre 2020, signalés aux Centres antipoison (contre 46 en 2019 et 10 en 2017 et 2018 respectivement), en majorité des hommes d’âge médian 20 ans. L’Île-de-France est la région la plus concernée avec un quart des cas. La forme a également évolué, avec des quantités plus élevées (augmentation de la consommation à partir de bonbonnes, l’équivalant d’une centaine de cartouches : 19,4 % des cas en 2020 contre 3,0 % entre 2017 et 2019) et des profils de consommateurs réguliers, parfois depuis plus de 1 an. À noter que dans près de 20 % des cas, la consommation de protoxyde d’azote était associée à des substances psychoactives (alcool, cannabis, etc.).

Quels risques et symptômes associés ?

Les effets d’une consommation à court terme sont d’abord les effets psychotropes (euphorie, gloussements, distorsion du son et hallucinations légères) culminant après environ 20 secondes avant de diminuer rapidement et revenir à la normale dans les 2 minutes après l’arrêt de l’inhalation.

Les risques immédiats associés à cette utilisation sont en particulier :

– asphyxie par manque d’oxygène : utilisation par cycles respiratoires répétés, dite « en vase clos », qui raréfie progressivement en oxygène le contenant du ballon ; de plus, le protoxyde d’azote en concentration élevée (> 50 %) inhibe la réponse physiologique normale à l’hypoxie ;

– perte de connaissance ;

– brûlure par le froid du gaz expulsé de la cartouche ;

– perte du réflexe de toux et de protection du larynx avec risque de fausse route, voire pneumothorax ou œdème aigu du poumon ;

– désorientation, vertiges et risque de chute (effet anesthésique dissociatif avec diminution du ressenti de la douleur et de conscience de l’environnement).

En cas d’utilisation régulière et/ou à forte dose : du fait de l’action du gaz sur le système nerveux central, des consommations répétées et à intervalles rapprochés peuvent entraîner maux de tête, vertiges, troubles du rythme cardiaque, risque d’asphyxie, voire troubles psychiques et atteintes neurologiques.

Parmi les 126 cas symptomatiques rapportés en 2020, des troubles neurologiques graves, notamment chez les consommateurs réguliers, ont été observés : au moins un symptôme neurologique et neuromusculaire était signalé pour 96 cas, tels que des paresthésies, des hypoesthésies, des déficits moteurs, des tremblements des extrémités. Seize cas de gravité forte concernaient des consommateurs réguliers (de quelques semaines à plusieurs années, de 50 cartouches en une soirée à plus de 600 cartouches par jour, voire plusieurs bonbonnes par jour) ; parmi eux, une atteinte médullaire avait été objectivée en IRM (4 cas de sclérose combinée de la moelle et 3 cas de myélite et de neuropathie périphérique). Cinq consommateurs réguliers ont dû être pris en charge en service de rééducation fonctionnelle et réadaptation dans les suites de leur hospitalisation en neurologie.

Outre les risques décrits ci-dessus pour une consommation isolée, une inhalation chronique peut engendrer des dommages à long terme. Le protoxyde d’azote entraîne une carence en vitamine B12, par son oxydation irréversible. Cela a pour conséquence une anémie mégaloblastique, une dysfonction du système reproducteur (impuissance, diminution de la fertilité et tératogénicité) et une myéloneuropathie sensitivomotrice. Cette dernière se caractérise par une symptomatologie ascensionnelle (commençant aux membres inférieurs et progressant ensuite vers les membres supérieurs), accompagnée d’ataxie et d’une diminution de la sensibilité vibratoire et proprioceptive.

Si les cas étudiés dans la littérature suggèrent que cette symptomatologie se manifeste surtout après une consommation de doses conséquentes pendant de longs intervalles de temps (de quelques dizaines de jours à quelques années) et qu’il est difficile de mettre en évidence une dose seuil menant à une symptomatologie (celle-ci dépendant de la réserve en vitamine B12 propre à chaque individu), des cas ont été rapportés après une seule exposition, notamment chez des patients ayant des facteurs de risque de réserve basse en vitamine B12 (régime végétarien, résection gastrique).

Enfin, outre le danger de la consommation aiguë et chronique, des états délirants ont également été décrits à l’arrêt brutal de ce toxique.

Que faire en cas de suspicion d’intoxication ?

Comme toute intoxication, le premier traitement consiste en l’arrêt de l’agent responsable. Les effets psychotropes disparaissent dans les 2 minutes après l’arrêt de consommation. Ensuite, il faut prendre en charge les conséquences spécifiques dues aux accidents potentiellement survenus lors de l’état dissociatif. En cas d’urgence, prévenir les secours (15 ou 112) et contacter le Centre antipoison ou le Centre d’addictovigilance.

La sédation et l’hypoxie peuvent être résolues par une assistance respiratoire.

La survenue éventuelle d’une méthémo­globinémie, due aux impuretés présentes dans le mélange, est traitée par le bleu de méthylène. Les gelures de point de contact sont traitées par « cooling » immédiat à l’eau tiède.

La toxicité chronique résultant de l’oxydation de la vitamine B12, et plus particulièrement son tableau de myéloneuropathie sensitivomotrice, se traite par une supplémentation en vitamine B12. Deux rapports suggèrent que la supplémentation en méthionine aide également à inverser la toxicité neurologique.

Au vu du bon pronostic et du traitement peu compliqué, il s’avère essentiel de détecter rapidement les effets du protoxyde d’azote sur la santé.

Il est également conseillé de déclarer tout cas grave lié à un abus, une dépendance ou un usage détourné avec le protoxyde d’azote sur le site www.signalement-sante.gouv.fr.

En cas de difficulté à contrôler et/ou à stopper sa consommation, on pourra référer le patient à une structure spécialisée dans la prise en charge des addictions, telle qu’une « consultation jeunes consommateurs » qui propose un service, gratuit et confidentiel, d’accueil, écoute et conseil et, si nécessaire, une orientation (informations disponibles sur www.drogues-info-service.fr).

LMA, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Anses. Protoxyde d’azote : des intoxications en hausse. 16 novembre 2021.

Domont P, Debaize S. Usage extrahospitalier du protoxyde d’azote à visée récréative.Rev Prat 2020;70(10);1143-9.

À lire aussi :

Auffret Y. Utilisation festive du protoxyde d’azote : des risques majeurs !Rev Prat 2019;69(5);535-6.

Brosset C, The Nguyen H, Van TD, et al. Complications neurologiques de l’intoxication au protoxyde d’azote.Rev Prat 2020;70(10);1103.