Alors que toute l’actualité est focalisée sur la vaccination anti-Covid, notamment des enfants malgré les incertitudes de son utilité dans cette population, il y a une autre vaccination qui a fait aujourd’hui ses preuves : celle contre les papillomavirus, qui en Angleterre, après une campagne vaccinale massive, vient de montrer la quasi-éradication du cancer du col de l’utérus dans la plus vaste étude de cohorte publiée à ce jour.

 

En 2008, l’Angleterre a mis en place une campagne de vaccination systématique contre les papillomavirus humains (HPV). Cette étude observationnelle a comparé 3 cohortes de jeunes filles vaccinées depuis avec Cervarix, vaccin bivalent ciblant les papillomavirus de type 16 et 18 (responsables de près de 80 % des cancers du col utérin au Royaume-Uni), à des cohortes non éligibles à la vaccination (plus âgées). Les cohortes de vaccinées étaient constituées selon l’âge où le vaccin a été proposé : 12-13 ans, 14-16 ans, 16-18 ans (pour ces deux derniers groupes, vaccination en rattrapage entre 2008 et 2010). À noter que Cervarix a été remplacé par Gardasil (tétravalent) en 2012, non évalué dans ce papier.

Entre 2008-2009 et 2011-2012, la couverture annuelle (pour une dose du vaccin) en Angleterre se situait entre 85,9 % et 90,6 % dans les cohortes de routine de l’étude et entre 55,6 % et 81,9 % dans celles de rattrapage. Elle est restée élevée par la suite jusqu’à ce que la pandémie de Covid-19 ait affecté le taux de participation au cours de l’année scolaire 2019-2020.*

Dix ans après l’initiation en 2008 de cette campagne vaccinale, des réductions conséquentes dans les infections par les HPV 16 et 18 parmi les femmes âgées de 16-24 ans ont été constatées en Angleterre, mais des données concernant les effets de cette vaccination sur le cancer faisaient encore défaut, en raison d’une part de l’histoire naturelle de la maladie – avec un temps très long entre l’infection et l’apparition d’un cancer cervical – et d’autre part de la réduction du risque de lésions cervicales après vaccination. En 2018, une étude finlandaise qui a suivi à long terme deux cohortes de patientes ayant participé à un essai vaccinal et une population témoin non vaccinée avait rapporté un taux de cancer associé aux HPV 16 et 18 de 0/100 000 chez les 3 331 femmes vaccinées contre 8/100 000 dans la population témoin. En 2020, une étude suédoise ayant suivi plus de 1 million de jeunes femmes (10-30 ans) entre 2006 et 2017, dont la moitié vaccinées avec Gardasil 4, a établi que le risque de développer un cancer du col était diminué de 88 % chez les femmes vaccinées avant l’âge de 17 ans, par rapport aux non vaccinées ; toutefois, soulignent les auteurs de l’étude anglaise, l’ampleur de l’effet constaté dans ces travaux dépendait des différents ajustements effectués pour les facteurs de confusion.

Le suivi de cette étude britannique, plus vaste, couvrait 13,7 millions de personnes-années (âgées de 20 ans à moins de 30 ans en ce qui concerne les cohortes vaccinées). Les données des registres de cancer ont été étudiées entre 2006 et 2019, pour les femmes de 20 à 64 ans, concernant les cancers et les dysplasies intraépithéliales de grade 3 (CIN3) du col utérin. Pendant cette période, 27 946 cancers du col de l’utérus et 318 058 CIN3 ont été diagnostiqués. Pour ces deux pathologies, la diminution du risque relatif atteignait respectivement 87 % et 97 % pour les filles vaccinées entre 12 et 13 ans, 62 % et 75 % entre 14 et 16 ans, et 34 % et 39 % entre 16 et 18 ans, comparées aux cohortes non vaccinées. Ainsi, les auteurs ont estimé qu’en juin 2019, la vaccination anti-HPV avait permis d’éviter 448 cancers du col et 17 235 CIN3 ; autrement dit, que la campagne vaccinale anti-HPV permet la quasi-élimination du cancer du col utérin chez les femmes nées depuis septembre 1995. 

Ces travaux fournissent ainsi la première preuve directe de l’effet de la vaccination anti-HPV par un vaccin bivalent sur l’incidence du cancer du col de l’utérus. Des données d’autant plus encourageantes que ce vaccin est depuis remplacé par des vaccins ayant plus de valences (Gardasil 4 et 9). 

Pour rappel, en France, la vaccination contre les papillomavirus est désormais recommandée aussi bien chez les filles que chez les garçons, de 11 à 14 ans, avec un rattrapage possible entre 15 et 19 ans (et jusqu’à 26 ans pour les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes [HSH]), avec Gardasil 9 (nonavalent) pour toute nouvelle vaccination chez les sujets non antérieurement vaccinés. 

Pourtant, la couverture vaccinale chez les jeunes filles reste encore faible, bien loin de celle obtenue en Angleterre : 40,7 % pour une dose chez les filles âgées de 15 ans et seulement 32,7 % pour le schéma complet chez les filles de 16 ans

*En Angleterre, en 2020-2021 (7e année du calendrier à deux doses et 1ère année où le vaccin a été proposé aussi aux garçons), la couverture vaccinale pour une dose chez les filles âgées de 12-13 ans était de 76,7 % (60,6% pour celles ayant complété les deux doses entre 13-14 ans). Chez les garçons de 12-13 ans, elle était de 71,0 % pour une dose et de 54,7 % pour ceux de 13-14 ans ayant complété les deux.

Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Falcaro M, Castañon A, Ndlela B, et al. The effects of the national HPV vaccination programme in England, UK, on cervical cancer and grade 3 cervical intraepithelial neoplasia incidence: a register-based observational study. Lancet 2021;398(10316) :2084-2092. 

Santé publique France. Bulletin de santé publique vaccination. Mai 2021.

Vaccination Info Service. Infections à papillomavirus humains (HPV). Juillet 2021.

À lire aussi :

Prétet JL, Mougin C. Dossier – Vaccination contre les papillomavirus. Rev Prat 2020;70:89-111.

Péré H, Pavie J, Bats AS, Veyer D, Badoual C. HPV et cancers : où en est-on ?Rev Prat Med Gen 2019;33:374-6.

Rousseau S, Gaillot-de Saintignon J, Barret AS. Vaccination contre les HPV : un enjeu de prévention des cancers. Rev Prat 2019;69:529-34. 

Gaudelus J. Vaccination contre le papillomavirus : bilan et nouvelles extensions. Rev Prat 2019;69:7-12.

Pour quand l’éradication du cancer du col utérin en France ?Rev Prat (en ligne) 7 juin 2021.