Depuis mars, les femmes enceintes sont prioritaires pour la vaccination anti-Covid, à partir du 2e trimestre, compte tenu des risques de plus en plus documentés que fait courir une infection par le SARS-CoV-2 en cours de grossesse. Les données de vraie vie sur le profil de tolérance de ces vaccins chez les femmes enceintes sont donc très attendues – celles-ci ayant été exclues des essais cliniques initiaux. Que disent celles issues de la pharmacovigilance américaine ayant suivi à ce jour une cohorte de plus de 35 000 femmes enceintes qui ont reçu un vaccin à ARNm ?

 

Publiées dans le NEJM, ces données concernent un système de surveillance actif, le V-safe Surveillance System and Pregnancy Registry, incluant 35 691 femmes enceintes vaccinées depuis décembre 2020 avec l’un des deux vaccins à ARNm (Pzifer ou Moderna) à parts quasi-égales, et un système de surveillance passive, le Vaccine Adverse Event Reporting System (VAERS), ayant reçu 221 déclarations spontanées d’événements associés à ces vaccins chez des femmes enceintes.

La majorité des plus de 35 000 femmes suivies dans le premier système étaient âgées de 25 à 34 ans (62 % de celles ayant reçu le vaccin Pfizer et 61 % de celles ayant reçu Moderna). Les effets indésirables reportés, leur fréquence et leur gravité étaient similaires à ceux observés parmi les femmes non enceintes. La douleur au point d’injection, la fatigue, les céphalées et les myalgies ont été les réactions locales et systémiques les plus fréquentes après l’administration de l’une ou l’autre des doses des deux vaccins (quoique plus fréquemment signalées après la 2e dose). Les femmes enceintes n’ont pas signalé de réactions graves plus fréquemment que celles qui n’étaient pas enceintes ; seulement les nausées et vomissements ont été plus fréquemment signalées par les premières.

Le suivi de l’évolution des grossesses et du retentissement fœtal et néonatal du vaccin a concerné près de 4 000 de ces femmes vaccinées (94 % de professionnelles de santé ; 99 % âgées de 25 à 44 ans) qui dans 98 % des cas n’avaient pas eu un diagnostic de Covid pendant la grossesse. Parmi ces participantes, 2 % ont reçu le vaccin en période périconceptionnelle, 29 % au cours du 1er trimestre, 43 % pendant le 2e et 25 % pendant le 3e trimestre.

Sur les 827 grossesses terminées, 86,1 % ont abouti à des naissances vivantes, 13,9 % à des pertes de la grossesse (104 avortements spontanés, 10 avortements volontaires ou grossesses ectopiques), et 1 mort fœtale in utero a été observée. Les incidences d’issues défavorables (perte fœtale, naissance prématurée, petite taille par rapport à l’âge gestationnel, anomalies congénitales et décès néonataux) étaient similaires à celles observées chez les femmes enceintes étudiées avant la pandémie de Covid-19 (bien que ces deux registres ne soient pas tout à fait comparables) : 12,6 % d’avortements spontanés dans ce registre contre 10-26 % avant la pandémie ; 9,4 % de naissances prématurées contre 8-15 % ; 3,2 % d’hypotrophies contre 3,5 % ; 2,2 % de malformations majeures, contre 3 %.

Toutefois, ces données ne permettent pas d’identifier un éventuel risque malformatif ou d’avortement spontané, puisqu’elles portent essentiellement sur des vaccinations au cours du 3e trimestre, et aucune femme vaccinée en début de grossesse n’avait accouché au moment de l’analyse (le suivi est en cours). L’échantillon était par ailleurs trop petit pour identifier un risque néonatal rare.

Enfin, le système de surveillance VAERS a reçu 221 déclarations spontanées d’effets indésirables associés à ces deux vaccins chez des femmes enceintes, dont 30 % étaient des événements spécifiques à la grossesse : avortement spontané (46 cas, pour la plupart au 1er trimestre), mort fœtale in utero (3 cas), rupture prématurée des membranes (3 cas) et métrorragies (3 cas). Aucune malformation n’a été déclarée. Néanmoins, on ne peut pas estimer le taux de ces événements, puisqu’on ignore le nombre de doses de vaccin administrées à des femmes enceintes.

Si la sûreté des vaccins anti-Covid chez la femme enceinte comme chez l’enfant nécessite certes davantage de recul pour être établie, les résultats préliminaires de cette large étude ne montrent pas de signal évident de risque lié à la vaccination avec des vaccins à ARNm, en particulier au 3e trimestre de la grossesse, pour la mère et le nouveau-né. Un suivi longitudinal est cependant nécessaire pour évaluer les risques tératogènes lorsque le vaccin est administré au début de la grossesse ou en période périconceptionnelle.

Entre temps, les données sur les liens entre l’infection par le SARS-CoV-2 et des complications de la grossesse s’accumulent : en particulier, une étude récente publiée dans le JAMA, portant sur plus de 2 000 femmes enceintes dans 18 pays suivies entre mars et octobre 2020, a montré que, par rapport au groupe contrôle de femmes enceintes non infectées, celles qui sont atteintes de Covid-19 ont un risque plus élevé de forme grave, de décès, de complications de la grossesse et de naissance prématurée. Par exemple, ces dernières avaient 76 % plus de risques de développer une pré-eclampsie ou une éclampsie ; elles étaient 3 fois plus susceptibles de développer une forme grave de Covid et 5 fois plus susceptibles d’être admises dans une unité de soins intensifs en conséquence. L’étude suggère également un lien entre la Covid-19 et une augmentation de 60 à 97 % du taux de naissances prématurées et, chez les femmes infectées ayant de la fièvre et un essoufflement, une multiplication par 5 des complications néonatales (poumons immatures, lésions cérébrales, troubles oculaires…). Des données qui étayent davantage une balance bénéfices-risques favorable de la vaccination anti-Covid dans cette population – d’autant que, selon d’autres études, les anticorps anti-SARS-CoV-2 induits par le vaccin passent aussi dans le lait maternel, offrant une éventuelle protection au nouveau-né…

Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus

Shimbabukuro TT, Kim SY, Myers TR, et al. Preliminary Findings of mRNA Covid-19 Vaccine Safety in Pregnant Persons. NEJM 21 avril 2021.

Kaiser J. Clear link emerges between Covid-19 and pregnancy complications. Science 22 avril 2021.

Leca E. Vaccination contre la Covid-19 en fin de grossesse : les premières données n’indiquent pas de risque. Vidal 6 mai 2021.

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