L’essor de la stratégie vaccinale en France est une avancée scientifique incomparable pour lutter contre le développement de maladies contagieuses mortelles ou responsables de handicap.
Depuis les années 1990, l’association entre sclérose en plaques (SEP) et vaccination (initialement celle contre l’hépatite B) est un sujet polémique.
Grâce à la médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine), les années 2000 ont apporté beaucoup d’arguments contre une imputabilité des vaccins dans le développement des maladies démyélinisantes du système nerveux central (SNC).
En 2017, la Société francophone de la sclérose en plaques (SFSEP) a établi dans ses priorités de communiquer sur des recommandations pratiques, pour permettre d’éclairer les patients et les professionnels de santé sur la littérature actualisée et sur la conduite à tenir à chaque étape de la prise en charge de la maladie, dès le diagnostic puis à la mise en place d’un traitement immuno-actif. Des ­recommandations européennes ont été publiées à l’automne 2021.

Vaccins et sclérose en plaques : d’où vient la controverse ?

Le calendrier vaccinal s’est considérablement étoffé chez les enfants, avec une uniformisation européenne qui montre la volonté des pays à ­maintenir l’éradication ou le contrôle de maladies contagieuses. Le bénéfice des vaccinations est également démontré chez les patients atteints de SEP et maladies apparentées, comme pour toutes les maladies chroniques, permettant la réduction des infections graves. Ces bases n’ont pourtant pas permis d’éviter la genèse d’une polémique.

Des similitudes physiopathologiques induisant la suspicion

La sclérose en plaques est une maladie auto-immune dans laquelle l’ensemble des acteurs du répertoire de l’inflammation intervient contre les antigènes de la myéline du SNC. Les lymphocytes T autoréactifs, monocytes et lymphocytes B participent au mécanisme physiopathologique. Cela explique en partie pourquoi les processus infectieux et les vaccins ont été suspectés de déclencher ou d’aggraver, au moins temporairement, la maladie.

Une polémique essentiellement française

C’est en France que la controverse sur le lien entre la vaccination contre l’hépatite B (VHB) et la survenue de SEP a été la plus vive dans les années 1990.
En 1993, l’Organisation mondiale de la santé lance une campagne de vaccination de masse des nourrissons et des adolescents contre l’hépatite B ; les autorités françaises sui­vent cette recommandation. Dans ce contexte, des cas isolés puis des ­séries de cas d’association tempo­-relle entre cette vaccination et l’apparition de SEP ont été rapportés. Cause ou coïncidence ? Cette question a dû trouver une réponse. En 1997, les autorités de santé françaises initient la réalisation d’études épidémiologiques pour évaluer l’existence, ou non, d’un lien entre la vaccination contre le VHB et la SEP. Les conclusions finales de ces études ont été très rassurantes.1
Malgré cela persistent des ambiguïtés sur l’analyse légale des événements survenus après des vaccinations, conduisant à des indemnisations. En effet, au regard de la loi, le lien chronologique suffit à justifier une ­réparation pour le plaignant.

Lever le doute sur le lien entre vaccins et SEP

Des cas sporadiques ou des séries de cas ont, depuis plusieurs années, posé la question d’une éventuelle relation entre l’injection de vaccins contre différents pathogènes et le développement de la sclérose en plaques. Ces doutes ont justifié la mise en place de suivi de cohortes.2 Généralement, la discussion sur l’imputabilité est amenée par l’apparition précoce de symptômes neurologiques après une vaccination (de quelques jours à 6 mois), que le diagnostic de SEP soit connu (nouvelle poussée) ou non (premier événement démyélinisant). Or l’âge auquel ces vaccins sont réalisés est un facteur de confusion car il correspond à l’âge habituel de survenue de la maladie.
Enfin, l’encéphalomyélite aiguë disséminée est un diagnostic différentiel à connaître : il s’agit d’une complication vaccinale identifiée bien différente d’une première poussée de sclérose en plaques. Ce risque vaccinal monophasique est possible avec tous les vaccins, et son mécanisme physiopathologique ainsi que sa prise en charge sont bien différents de ceux de la SEP.

Suspicion persistante et apparition de nouveaux traitements : des recommandations nécessaires

Le travail du groupe d’experts français de la SFSEP, rassemblant neurologues et infectiologues, a débuté en 2017. Il a été initié devant la persistance des réticences envers la vaccination, tant de la part des patients que des professionnels de santé.
Par ailleurs, de nombreuses thérapeutiques immuno-actives destinées à lutter contre l’évolution de la SEP sont aujourd’hui disponibles. De nouvelles questions se posent donc sur la prévention des risques infectieux, sur l’efficacité vaccinale et sur l’adaptation la plus pertinente du calendrier ­vaccinal mis à jour tous les ans par les autorités de santé.3
Des données importantes relatives à la vaccination d’autres catégories de patients atteints de maladies dysimmunitaires générant une immunodépression ont été acquises ces dix dernières années, autorisant un partage d’expérience.4 Les données de la littérature se sont enrichies : recherche d’association entre vaccinations et SEP (ou autres affections démyélinisantes du système nerveux central) et rapport bénéfices/risques ont ainsi pu être formalisés. Les recomman­dations européennes et celles de la SFSEP confirment l’absence de relation entre vaccins et déclenchement de la maladie, ou survenue de poussées ultérieures (tableau 1).5, 6
La mise à jour du calendrier vaccinal doit être effectuée dès le diag­nostic chez les patients mais aussi pour leur entourage, ou à l’occasion de toute situation qui le justifie (grossesse, voyage).

Traitements de fond : quel impact sur la protection vaccinale ?

L’absence de lien de causalité entre vaccination et survenue d’une SEP est désormais bien démontrée. Qu’en est-il de l’efficacité vaccinale chez des patients traités par des molécules interférant avec le système immunitaire du patient ?

Traitements auto-injectables : pas de perte d’efficacité vaccinale

Les patients atteints de SEP sont désormais traités le plus tôt possible après le diagnostic avec des molécules ayant une action immunomo­dulatrice ou immunosuppressive. Les traitements dits auto-injectables (interféron bêta et acétate de glatiramère) influencent peu la réponse immunitaire nécessaire pour l’efficacité des primovaccinations et des rappels.

Influence de certains traitements sur les réponses immunitaire et/ ou cellulaire

Certains traitements par voie orale ou par perfusion (azathioprine, mycophénolate mofétil, mitoxantrone, fingolimod et autres modulateurs du S1P, alemtuzumab, cyclophosphamide, corticoïdes à fortes doses) agissent comme des immunosuppresseurs ­globaux en diminuant la réponse des lymphocytes T et des lymphocytes B. La réponse immunitaire est alors affectée si la primovaccination ou le rappel sont effectués en cours de traitement.
D’autres molécules ciblant plutôt le lymphocyte B (anti-CD19, anti-­CD20) affectent également la réponse sérologique mais épargnent l’immunité cellulaire.
 

Des tests spécifiques

Il existe actuellement des tests biologiques effectués en routine qui évaluent le niveau d’immunisation cellulaire en réponse à un vaccin donné, surtout si le patient est déjà sous immunosuppresseurs. Cette évaluation du statut vaccinal permet d’envisager des traitements préventifs dans des situations parti­culières (cas contact du virus de l’hé­patite B, papillomavirus, Covid-19…).
 

Vaccins vivants : contre-indiqués sous immunosuppresseurs

Les seules restrictions concernent l’utilisation des vaccins vivants (rougeole-oreillons-rubéole, fièvre jaune, varicelle, zona, BCG) pour les patients qui suivent un traitement immunosuppresseur par voie orale ou par perfusion. Il est donc très important d’effectuer les rappels de vaccination le plus précocement possible (avant de débuter ces traitements) et de vacciner l’entourage et les professionnels proches de ces patients.

Des messages clairs et triviaux

Malgré les données rassurantes multiples, la vaccination reste en France un sujet vivement débattu.
Le calendrier vaccinal, dont l’objectif est d’augmenter la couverture vaccinale nationale, l’immunité collective et, en conséquence, la prévention des maladies contagieuses, est annuellement actualisé.3 La prévention vaccinale doit impliquer tous les acteurs en santé.
La mise à jour des vaccinations doit être effectuée dès le diagnostic chez les patients atteints de SEP.
En se vaccinant, l’entourage des patients et les professionnels de santé se protègent et protègent les personnes fragiles et celles qui ne peuvent se faire vacciner efficacement contre des maladies transmissibles comme la grippe, la coqueluche, la rougeole ou plus récemment le SARS-CoV-2 (tableau 2). 

Références

1. HAS. Réunion de consensus. Vaccination contre le virus de l’hépatite B. Septembre 2003. https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/VHB_recos.pdf
2. Confavreux C, Suissa S, Saddier P, Bourdes V, Vukusic S, for the Vaccines in Multiple Sclerosis Study Group. Vaccinations and the risk of relapse in multiple sclerosis. N Engl J Med 2001; 344:319-26.
3. Calendrier des vaccinations et recommandations vaccinales. Mise à jour le 12 juillet 2021. https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/vaccination/calendrier-vaccinal
4. Vaccinations des personnes immunodéprimées ou aspléniques. Recommandations. Haut Conseil de la santé publique. Décembre 2014. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=504
5. Lebrun C, Vukusic S pour France4MS et la SFSEP. Immunization and multiple sclerosis: recommendations from the French Multiple Sclerosis Society. Rev Neurol 2019;175(6):341-57.
6. Otero-Romero S, Lebrun-Frénay C, Reyes S, Amato MP, Campins M, Farez MF, et al. ECTRIMS-EAN consensus on vaccination in patients with multiple sclerosis: improving immunization strategies in the era of highly active immunotherapeutic drugs. ECTRIMS 2021, late breaking news.
L’argumentaire complet des recommandations « Vaccinations et SEP » et « SEP et Covid » est disponibleen téléchargement libre sur sfsep.org/vaccinations
Une application pratique de la SFSEP pour l’aide à la mise à jour des vaccinations pour les patients suivis pour une sclérose en plaques et maladies apparentées est téléchargeable gratuitement sur l’App Store et Google Store.

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