Le 1er septembre, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a autorisé l’utilisation des vaccins adaptés à omicron de Pfizer et Moderna pour une 4e dose, chez les plus de 12 ans, au moins 3 mois après la dernière dose de vaccin. Quelle sera la composition de ces nouveaux vaccins ? Quelle efficacité contre les nouveaux sous-variants d’omicron ? Quelles questions en suspens ? Notre analyse.

L’EMA a donné le feu vert au vaccin adapté à BA.1, c’est-à-dire la souche d’omicron qui a sévi en Europe en janvier 2022. Aux États-Unis, la Food and Drugs Administration (FDA), quant à elle, vient d’autoriser directement les rappels adaptés aux sous-variants BA.4 et BA.5, qui ont circulé en Europe cet été. Pour cet avis, elle s’est toutefois fondée sur les données d’efficacité et sécurité relatives au vaccin adapté à BA.1, les données cliniques sur ceux adaptés à BA.4/5 n’étant pas encore disponibles. Les données sur ces « boosters » sont toutefois limitées et des questions restent en suspens.

Que contiennent ces nouveaux vaccins ?

Les nouveaux vaccins approuvés par l’EMA sont bivalents : ils contiennent à la fois l’ARNm codant la protéine Spike de la souche virale ancestrale et l’ARNm pour la Spike de BA.1 (ou celle de BA.4 et BA.5, pour les vaccins autorisés par la FDA). Attention : ils ne sont pas autorisés en primovaccination. Ce sont des « boosters » pouvant être administrés au moins 3 mois après la dernière dose de vaccin.

Quelles sont les données ?

Vaccin Pfizer

Fin juin 2022, Pfizer a présenté à la FDA des donnéesd’immunogénicité et sécurité du rappel adapté à omicron BA.1. Ces résultats n’ont pas fait l’objet d’une évaluation par les pairs ni d’une publication.

Le premier essai a été mené sur des participants de plus de 55 ans : ils recevaient, 6 mois après la 3e dose (D3) du vaccin originel, une 4e dose soit du vaccin originel (30 ou 60 mg), soit du vaccin monovalent BA.1 (30 ou 60 mg), soit du vaccin bivalent (souche ancestrale + omicron BA.1, 30 ou 60 mg).

Les données de neutralisation contre BA.1 à 1 mois après vaccination montraient une réponse immunitaire supérieure avec le vaccin bivalent par rapport au vaccin originel (rapport des titres géométriques de 1,56 et 1,97 respectivement pour les doses de 30 et 60 mg). Elle l’était encore davantage avec le vaccin monovalent BA.1 (2,23 pour la dose de 30 mg et 3,15 pour celle de 60 mg). Leur capacité à neutraliser BA.4 et BA.5 était inférieure à celle contre BA.1 – le vaccin montrant la réduction la moins prononcée étant le bivalent de 30 mg.

Enfin, le profil de réactogénicité était similaire pour tous les rappels (vaccin originel, bivalent et monovalent), à l’exception des doses de 60 mg pour lesquelles certaines réactions étaient plus fréquentes qu’avec les petites doses, chez les plus de 55 ans (douleur au site d’injection, fatigue, douleurs musculaires).

Un deuxième essai a été réalisé chez 600 personnes de 18 à 55 ans, avec un vaccin monovalent adapté à BA.1 (en 4e dose après un schéma à 3 doses du vaccin Comirnaty originel). Les participants ont reçu, 4 mois après cette 3e dose, soit une 4e dose (D4) du même vaccin, soit une 4e dose (30 mg) du vaccin monovalent adapté à BA.1 (n = 600).

À 1 mois, les essais de neutralisation avec omicron BA.1 ont montré que le sérum des personnes vaccinées avec la D4 adaptée à BA.1 avait des titres géométriques d’anticorps 1,75 supérieurs à celui des personnes vaccinées avec une D4 du vaccin originel.

Il n’y a donc pas de données disponibles pour le vaccin bivalent chez les moins de 55 ans, mais l’EMA a estimé que l’efficacité chez les jeunes devrait être au moins égale à celle chez les plus de 55 ans.

Vaccin Moderna

Les données présentées à la FDA ont été également publiées sur une plateforme preprint.

Il s’agissait d’une étude sur un vaccin bivalent : souche ancestrale + omicron B.1.

Une D4 de ce vaccin a été administrée à 437 participants (âge moyen : 57,3 ans), qui ont été comparés à 377 (âge moyen : 57,5 ans) ayant reçu une D4 de vaccin originel. Tous avaient reçu un schéma primovaccinal avec le vaccin originel (D1 et D2 de 100 mg) puis une D3 de 50 mg. La D4 a été administrée 4 mois après cette dernière. La durée médiane de suivi était de 43 jours pour le vaccin bivalent et 57 pour l’originel.

À 1 mois de la D4, les essais de neutralisation ont montré des titres géométriques moyens plus élevés chez les vaccinés avec le rappel bivalent par rapport au rappel du vaccin originel (3 070 versus 1 933), et ce d’autant plus chez les participants qui avaient eu une infection Covid (respectivement 7 676 et 3 886 ; contre 2 372 et 1 473 chez les non infectés, soit un rapport d’environ 1,6 pour ces derniers).

Dans les essais de neutralisation avec BA.4 et BA.5, les titres géométriques moyens d’anticorps à 1 mois étaient de 941 (tous participants), de 2 337 chez ceux infectés auparavant et 727 chez les non-infectés (pour référence, ces derniers titres sont similaires à ceux observés contre omicron BA.1, 1 mois après la D3 du vaccin originel).

Enfin, la réactogénicité locale et systémique du vaccin bivalent paraissait similaire à celle des D2 et D3 du vaccin originel.

Vaccins adaptés à BA.4/5

Les résultats d’efficacité chez l’homme ne sont pas encore disponibles. Pfizer a présenté à la FDA des données chez des souris ayant déjà reçu 2 doses de vaccin originel : elles recevaient un rappel adapté à BA.4/5, monovalent ou bivalent avec souche ancestrale, 100 jours après la D2. Dans les essais de neutralisation, les titres d’anticorps contre BA.4 et BA.5 étaient :

  • 2 à 6 fois supérieurs (respectivement pour les rappels bivalent et monovalent), par rapport aux souris vaccinées avec dose de rappel originel ;
  • 4 à 11 fois supérieurs (respectivement bivalent et monovalent), par rapport aux souris vaccinées avec rappel avec le vaccin monovalent BA.1.

 

L’EMA a annoncé qu’elle donnerait bientôt l’avis sur ces vaccins adaptés aux souches plus récentes, en se fondant, comme la FDA, principalement sur les données cliniques relatives aux vaccins BA.1.

 

Autoriser ces vaccins sans données cliniques : qu’en penser ?

Ce pari, fait par la FDA et envisagé par l’EMA, est une stratégie similaire à celle adoptée pour le vaccin antigrippal, mis à jour chaque année dans le but de s’adapter à la souche circulante. En effet, ces vaccins reformulés n’ont pas à faire l’objet de nouveaux essais cliniques à moins que les fabricants n’en modifient la composition de manière significative. Selon certains scientifiques, une approche similaire pour les nouveaux variants du Covid-19 est logique, dans la mesure où les modifications de l’ARNm sont mineures et cela permettrait de fournir des vaccins actualisés aussi rapidement que possible, dans un contexte épidémiologique en constante évolution. Néanmoins, ces autorisations rapides en l’absence de données cliniques peuvent aussi avoir des inconvénients : notamment, diminuer l’acceptation globale du public vis-à-vis de la vaccination. De plus, pour le vaccin contre la grippe, nous avons un recul de plusieurs décennies.

Les laboratoires ont indiqué que les essais cliniques pour les vaccins adaptés à BA.4/BA.5 commenceront en septembre. Ces données seront examinées pour l’autorisation complète des vaccins – les demandes récentes ne concernent en effet que l’autorisation d’urgence. Ces essais concerneront probablement l’immunogénicité de ces rappels (comme ceux présentés pour le vaccin BA.1), mais pas leur efficacité clinique contre les infections ou les maladies graves – des essais qui, très coûteux, n’ont pas été réalisés non plus pour le rappel BA.1.

Pourquoi les nouveaux vaccins contiennent-ils encore de l’ARNm ciblant la souche ancestrale, disparue depuis longtemps ?

Ce n’est pas tout à fait clair car, dans l’étude de Pfizer citée ci-dessus, le vaccin monovalent semble être plus efficace que le bivalent contre BA.1. Toutefois, dans une étude publiée sur MedRxiv le 26 août incluant les données de 8 essais, les auteurs n'ont pas trouvé de différence significative entre les formulations monovalentes et bivalentes : la capacité du sérum des receveurs à neutraliser les variants du virus en laboratoire était similaire contre les souches bêta, delta et omicron BA.1. En moyenne, une dose supplémentaire de vaccin original entraînait une augmentation de 11 fois des anticorps neutralisants contre tous les variants, avec un léger avantage pour les vaccins spécifiques à la souche qui avaient, en moyenne, des niveaux d’anticorps 1,5 fois plus élevés que le vaccin non adapté. Selon leur modélisation, les avantages d’un vaccin adapté dépendent beaucoup de l’immunité de la population, avant le rappel, vis-à-vis du variant circulant. Plus l’immunité de la population avant le rappel est faible, plus l’avantage relatif d’un rappel adapté aux variants est important. Mais si une population est protégée déjà à 87 % contre le Covid grave, la différence est minime : le rappel avec un vaccin originel est estimé augmenter cette protection à 98 %, celui avec un vaccin adapté à 98,8 %.

Par ailleurs, d’un point de vue immunologique, l’adaptation des vaccins aux souches circulantes est importante pour minimiser le phénomène appelé « immunological imprinting » :  les stimulations répétées avec le même vaccin ont tendance à induire des réponses immunitaires contre des sites conservés du virus initial plutôt que contre les sites mutés (en pratique, le système immunitaire répond moins bien aux nouveaux variants).

Autre point crucial : tous ces études d’efficacité analysent les titres d’anticorps neutralisants à court terme, mais non la durabilité des réponses antivirales (humorale mais aussi mémoire et cellulaire), notamment contre les formes graves.

Toutes ces questions sont importantes dans un contexte où on se demande s’il est pertinent de revacciner l’ensemble de la population ou seulement les populations à risque et à quel intervalle.

À la suite de l’avis de l’EMA, les autorités nationales des États membres de l’UE détermineront les indications des « boosters ». On attend avec impatience les recos de la HAS…

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