Ajouté fin août à la liste des variants d’intérêt (VOI) par l’Organisation mondiale de la santé, le variant mu (B.1.621) avait été détecté alors dans 39 pays ; il l’est actuellement dans 47, mais sa prévalence estimée au niveau mondial serait encore inférieure à 0,5 %. S’il inquiète, c’est principalement parce qu’il partage plusieurs mutations avec des variants dont la plus grande contagiosité, pathogénicité ou risque d’échappement immunitaire sont déjà connus, mais les données cliniques font encore défaut… Le point sur ce que l’on sait pour le moment.
Mu est-il plus transmissible ?
Isolé pour la première fois en Colombie en janvier 2021, ce variant aurait été à l’origine de la troisième vague qu’a connue le pays entre avril et juin 2021. Elle serait ainsi, selon l’Institut national de santé, plus contagieuse (mais son effet sur la sévérité de la maladie restait encore à étudier).
Une transmissibilité accrue que semble étayer une modélisation mathématique (preprint) sur la trajectoire épidémiologique à Bogota : celle-ci suggère que la troisième vague dans cette ville (dont 30 % des adultes avaient début août un schéma vaccinal complet) a été causée principalement par B.1.621, notamment à partir de juin, la première partie du pic (avril-mai) ayant été dominée par le variant gamma. Les auteurs ont alors estimé que mu pouvait être de 1,2 à 1,98 fois plus transmissible que la lignée historique, et avec une capacité 37 % plus importante que celle-ci d’échapper à l’immunité conférée par une infection passée.
Toutefois, selon ce même modèle, la quatrième vague que risque de connaître bientôt la ville (et le pays) sera causée majoritairement par le variant delta, dont les chercheurs estiment qu’il dominera de façon exponentielle, au détriment des autres. Une projection qui paraît en accord avec les affirmations de Public Health England, dont un document d’évaluation des risques sur le variant mu, datant d’août, stipulait que, dans l’état actuel des connaissances, il semblait peu probable qu’il soit plus transmissible que delta, donc qu’il puisse le supplanter (la mutation P681H, que mu partage avec alpha, apparenterait sa transmissibilité à celle de ce dernier variant).
Aujourd’hui, en tout cas, sa prévalence est estimée à 43 % en Colombie et 12 % en Équateur, mais elle ne dépasse pas, pour le moment, 0,5 % dans la plupart des autres 45 pays où il a été détecté (dont la France, le Brésil, les États-Unis…), raison pour laquelle, sans doute, ce dernier pays, même s’il surveille le variant, ne le considère pas encore particulièrement préoccupant.
Y a-t-il un plus grand risque d’échappement immunitaire ?
Ce même rapport britannique soulignait que les résultats de laboratoire sur le variant mu étaient similaires à ceux du variant bêta, suggérant qu’il pourrait avoir des propriétés semblables d’échappement immunitaire. L’OMS, quant à elle, soulignait aussi ce point dans son bulletin épidémiologique hebdomadaire du 31 août : des résultats préliminaires montraient une réduction de la capacité de neutralisation de mu sur des sérums de patients convalescents et vaccinés similaire à celle observée pour bêta. Mu possède, en effet, des mutations comme N501Y et E484K en commun avec bêta et gamma – cette dernière étant associée, en particulier, à une plus grande capacité de résistance aux anticorps de patients vaccinés ou infectés. Les deux institutions rappelaient cependant que les études manquaient encore concernant ce variant, en particulier sur des données de vie réelle…
Depuis, une étude japonaise récente (preprint) a comparé in vitro, avec des pseudovirus exprimant la protéine Spike de différents variants (alpha, bêta, gamma, delta, epsilon, lambda et mu), leurs capacités neutralisatrices vis-à-vis du sérum de 8 patients convalescents (infectés entre avril et septembre 2020) et de celui de 10 patients vaccinés avec Pfizer. Résultats : mu serait 12,4 fois plus résistant aux anticorps des personnes infectées et 7,6 fois plus résistant à ceux des vaccinés que les virus « historique » – des chiffres supérieurs à ceux de bêta (respectivement 8,2 et 6,3).
Néanmoins, une étude italienne publiée fin juillet suggérait au contraire que l’efficacité du vaccin Pfizer n’était pas entamée par le variant mu : les chercheurs ont isolé ce variant à partir d’un cluster de 7 personnes et ont testé sa résistance sur le sérum de 37 personnes vaccinées (collecté 10 à 20 jours après la seconde dose). Ils ont observé que les anticorps avaient neutralisé efficacement ce virus, même si les capacités neutralisantes étaient un peu diminuées par rapport à la lignée prédominante dans le pays à ce moment, qui a servi de comparaison.
Enfin, les premières données de vraie vie vont aussi dans ce sens. Les résultats préliminaires de l’étude de vie réelle sur la campagne vaccinale en Colombie, qui viennent d’être présentées par le ministère de la Santé, suggèrent en effet qu’un schéma de vaccination complet (Pfizer, Sinovac, AstraZeneca ou Janssen) est efficace à 73 % dans la prévention de l’hospitalisation par Covid-19 chez les personnes de 60 ans et plus (plus de 1,5 million étudiées, comparées à une cohorte de même nombre de sujets non vaccinés aux caractéristiques similaires – âge, sexe, comorbidités…). Cette étude, portant sur les premiers mois de la campagne vaccinale (mars-août), concerne donc la période où le variant mu avait déjà acquis une prédominance, suggérant que celui-ci n’a pas diminué outre-mesure l’efficacité des vaccins.
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien