Nous avons à peine eu le temps de souffler, la 3e vague derrière nous, que l’arrivée du variant indien fait l’objet d’une avalanche d’infos anxiogènes. Que révèlent les premières données britanniques ? Les vaccins sont-ils efficaces et si oui dans quelle mesure ? Pourquoi des pays à large couverture vaccinale comme l’Angleterre ou Israël n’en sont pas épargnés ? Où en est-on en France ? Nous avons fait le point avec Samuel Alizon (directeur de recherche au CNRS, expert en écologie évolutive et modélisation des maladies infectieuses), qui suit de près la progression et les caractéristiques de ce variant.

 

Pourquoi le variant delta est-il préoccupant ?

Il est deux fois plus contagieux que les lignées qui circulaient début 2020. Le R0 pour le virus historique était de 3 (une personne contaminée en infectait 3 en l’absence de toute mesure de contrôle), alors que pour le variant delta il serait autour de 6. Au niveau individuel, cette lignée semble aussi plus virulente car associée à un risque d’hospitalisation multiplié par 2 mais ces chiffres sont très préliminaires…

On parle également de « delta plus » dans la presse : de quoi s’agit-il ?

Certains virus de la lignée delta ont acquis une mutation supplémentaire (K417N) qui pourrait les rendre plus transmissibles ; il s’agit donc d’un variant « d’intérêt », car potentiellement problématique, sous surveillance notamment en Grande-Bretagne, mais il n’y a pas de données inquiétantes pour le moment.

Quelles sont les conséquences de cette augmentation de contagiosité ?

Il faut savoir que le R0 détermine mécaniquement la couverture vaccinale nécessaire pour empêcher la circulation virale. Si on estimait que dans les grands centres urbains densément peuplés il fallait 2/3 de personnes immunisées (66 %) – ce qui correspond à la couverture vaccinale atteinte en Israël – avec le variant « indien » il faudrait que 80 % des personnes soient immunisées pour qu’il ne puisse pas circuler. Cela explique qu’Israël ait intensifié la vaccination des adolescents…

Dans ce calcul, ne prenez-vous pas en compte l’immunité naturelle, car finalement une bonne partie de la population a été infectée ?

En effet, l’immunité collective est la somme de l’immunité naturelle (conférée par l’infection) et de celle vaccinale. On estime que, au total, 20 à 30 % des Français ont été contaminés par le SARS-CoV-2. Cependant, si le variant alpha n’est pas capable d’échapper à l’immunité naturelle (donc de réinfecter des sujets ayant déjà contracté l’infection), d’autres variants comme le bêta (« sudafricain ») et le gamma (« brésilien ») le peuvent probablement… Quant au variant delta, il semble avoir une certaine capacité d’échappement, mais les données sont encore trop préliminaires. On en saura plus dans les prochaines semaines puisque les Britanniques sont en train de suivre les réinfections

Et la vaccination, est-elle efficace ?

Il faut bien préciser ce qu’on entend par vaccination. Pour prévenir les formes symptomatiques, selon une étude de Public Health England, l’efficacité des vaccins serait de 35 % après une seule dose ; 14 jours après la 2e dose, elle serait de 79 %, donc un peu inférieure à celle obtenue contre le variant alpha (49 % après le 1ère dose et 89 % après la 2e). En revanche, la protection conférée par la vaccination contre le risque d’hospitalisation serait comparable à celle contre le variant alpha : 80 % après 1 dose (comprise entre 69 et 88 %) et 96 % (91-98 %) après 2 doses. Les premières études montrent donc une excellente efficacité d’un schéma vaccinal complet !

En Europe, l’épidémie du variant delta a démarré en Angleterre. Cela peut paraître paradoxal, ce pays ayant une forte couverture vaccinale…

Après l’Inde, cet variant a touché d’abord les États qui avaient des liens étroits avec ce pays. De plus, en Angleterre, son introduction est survenue lors du relâchement des restrictions sanitaires, au moment où la France était confinée. Cela pourrait expliquer pourquoi nous avons 2 mois de décalage par rapport à la Grande-Bretagne. En Angleterre et en Écosse, le variant a beaucoup circulé dans les écoles, chez les adolescents, donc dans des groupes peu vaccinés… On voit d’ailleurs peu d’hospitalisations par rapport au nombre de cas positifs, ce qui montre que, justement, la vaccination est efficace !

Et en France, où en est-on ?

La variant alpha est en train de devenir minoritaire grâce aux mesures de confinement et à l’acquisition de l’immunité collective (naturelle et vaccinale). Il est en chute libre (et ça, c’est une bonne nouvelle !) mais il y a aussi les variants bêta et gamma, qui diminuent moins rapidement. On observe en revanche une progression rapide de la part des infections par le variant delta dans certaines régions comme l’Île-de-France (entre 16 et 35 % des contaminations selon nos estimations). Le nombre absolu de nouveaux cas n’est pas en augmentation pour le moment mais on voit une augmentation du nombre d’infections causées par delta.

Dans votre modélisation, ce variant sera dominant en France à partir du mois d’août (90 % des infections) et pourrait générer une nouvelle vague à la rentrée…

Oui, il va certainement devenir majoritaire, mais la vraie question est : dans quelle mesure cette vague se répercutera sur les services hospitaliers ? Dans notre modélisation, avec 75 % de la population vaccinée mi-août (ce qui correspond à 95 % des adultes), et en gardant les mesures barrières actuelles, il n’y aurait pas de soucis à la rentrée. Mais ce seuil de protection est trop optimiste, d’autant plus que l’administration des premières doses de vaccin marque le pas en France… Nous sommes en train d’étudier un scénario qui prenne en compte un niveau de couverture vaccinale plus réaliste.

L’incidence (nombre de nouvelles infections par jour) est aujourd’hui très basse en France et un contact-tracing performant (ce qui est peu le cas aujourd’hui, faute de moyens) serait particulièrement efficace pour casser les chaînes de transmission. De plus, le consensus scientifique autour du rôle central de la transmission aéroportée devrait conduire à une sécurisation des lieux accueillant du public, notamment les écoles. Car le SARS-CoV-2 reste 10 fois plus virulent que la grippe et beaucoup d’inconnues demeurent quant aux « Covid longs ». Nous avons encore toutes les cartes en main – vaccination, ventilation et contact-tracing – pour empêcher une nouvelle vague à l’automne !

Propos recueillis par Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Sheikh A, McMenamin J, Taylor B, et al. SARS-CoV-2 Delta VOC in Scotland: demographics, risk of hospital admission, and vaccine effectiveness. The Lancet 2021;397;2461-2.

Public Health England. Investigation of SARS-CoV-2 variants of concern: technical briefings. 25 juin 2021.

Lopez Bernal J, Andrews N, Gower C, et al. Effectiveness of COVID-19 vaccines against the B.1.617.2 variant. medRxiv 24 mai 2021.

Nobile C. Covid : une seule dose de vaccin ne protège pas contre les variants circulants ! Rev Prat (en ligne) mai 2021.

Alizon S, Haim-Boukobza S, Foulongne V, et al. Rapid spread of the SARS-CoV-2 delta variant in the area of Paris (France) in June 2021. medRxiv 20 juin 2021.

Nobile C. Entretien avec le Pr Antoine Flahault. Transmission quasi-exclusive du SARS-CoV-2 par aérosols ? Rev Prat (en ligne) mai 2021.

Alizon S. Évolution, écologie et pandémies. Faire dialoguer Pasteur et Darwin. Éditions Point 304 p. 5 novembre 2020.