Les vascularites cryoglobulinémiques correspondent à l’ensemble des manifestations induites par l’occlusion vasculaire ou l’inflammation liées aux dépôts de complexes immuns contenant de la cryoglobuline. Leur prise en charge est intimement liée à leur cause, qu’il convient donc de rechercher par un bilan exhaustif.
Les cryoglobulines sont des immunoglobulines qui précipitent au froid lorsque le sérum du patient est incubé à des températures inférieures à 37° C et qui se dissolvent à nouveau lorsque le sérum est réchauffé. La présence d’une cryoglobuline circulante, appelée cryoglobulinémie, n’est pas toujours associée à la survenue de symptômes. La vascularite cryoglobulinémique correspond à l’ensemble des manifestations induites par l’atteinte des petites et moyennes artères par les cryoglobulines.
Caractéristiques des cryoglobulinémies
La classification de Brouet et al., habituellement utilisée, répartit les cryoglobulines selon l’isotype de l’immunoglobuline qui les compose (
Trois types de cryoglobulines
La cryoglobuline de type I correspond à une immunoglobuline monoclonale et constitue 10 à 25 % des cryoglobulines.2, 3
Les cryoglobulines de type II et III, appelées mixtes, correspondent respectivement à une immunoglobuline monoclonale associée à des immunoglobulines polyclonales et à une association d’immunoglobulines polyclonales.
La distinction entre ces groupes, type I et mixte, est importante car les causes en sont différentes et, par conséquent, leur bilan diagnostique et leur prise en charge thérapeutiques également.
Cryoglobulines : des propriétés physico-chimiques variées
La précipitation des cryoglobulines induite par le froid dépend de la concentration sérique de la protéine mais aussi des propriétés physico-chimiques de celle-ci, incluant son caractère hydrophobe, sa taille, sa charge électrique et les caractéristiques de l’environnement (température, composition ionique et pH). Les manifestations cliniques peuvent différer selon les patients : elles ne dépendent pas seulement de la concentration de la protéine dans le sérum.
Des données épidémiologiques incertaines
La prévalence et l’incidence des cryoglobulinémies ne sont pas connues précisément, en particulier en raison de l’hétérogénéité de présentation, avec de nombreuses formes asymptomatiques. La prévalence des vascularites cryoglobulinémiques est estimée à 1 cas pour 100 000 habitants.4 La prévalence de détection d’une cryoglobulinémie asymptomatique peut être beaucoup plus élevée dans certaines situations, notamment 15 à 25 % des patients avec des connectivites et jusqu’à 40 à 65 % des patients avec une hépatite C chronique.5, 6
Différentes causes selon le type de cryoglobulinémie
La cryoglobuline de type I correspond à une immunoglobuline monoclonale et signe la présence d’une population lymphocytaire B clonale. Les maladies causales sont donc essentiellement les myélomes, les hémopathies lymphoïdes B de bas grade mais aussi les gammapathies monoclonales de signification indéterminée. En présence de symptômes, ces dernières sont qualifiées de gammapathie monoclonale de signification clinique.
Les cryoglobulinémies mixtes, type II et III, résultent généralement d’une stimulation antigénique chronique par une infection virale persistante (hépatite C, parfois virus de l’immunodéficience humaine [VIH] et hépatite B), une pathologie auto-immune (notamment le lupus systémique et le syndrome de Gougerot-Sjögren) ou une hémopathie B pour la cryoglobuline de type II. Lorsqu’aucune pathologie sous-jacente n’est retrouvée, la cryoglobulinémie est qualifiée d’essentielle.
Des symptômes aux multiples localisations
Les manifestations cliniques associées aux vascularites cryoglobulinémiques peuvent être variées (
La cryoglobulinémie de type I doit être considérée, dans la majorité des cas, comme une maladie vasculaire microthrombotique avec des manifestations ischémiques et peu ou pas de vascularite. Les manifestations sont en effet essentiellement liées à la précipitation de la protéine qui obstrue la lumière des petits vaisseaux et entraîne une ischémie d’aval.
Les cryoglobulinémies de type II et III, mixtes, induisent des dépôts de complexes immuns.7 Ces dépôts provoquent une activation du système immunitaire et un infiltrat vasculaire et périvasculaire par des cellules immunitaires, avec de véritables lésions de vascularite. Les manifestations de la vascularite cryoglobulinémique peuvent concerner tous les organes, mais les principales sont le purpura, la neuropathie périphérique et l’atteinte rénale glomérulaire.
Atteinte cutanée
La vascularite cryoglobulinémique induit un purpura vasculaire, c’est-à-dire déclive, infiltré, parfois nécrotique et épargnant les muqueuses (
Atteinte neurologique
La plus fréquente est la polyneuropathie sensitive et motrice, essentiellement dans les cryoglobulinémies mixtes (types II et III). Des mononévrites sont aussi possibles, mais plus rares. Lorsqu’elle est réalisée, la biopsie neuromusculaire révèle une démyélinisation liée à une vascularite des vasa nervorum et parfois à une ischémie dans les cryoglobulinémies de type I.
Atteinte rénale
Elle se présente classiquement sous la forme d’un syndrome néphrotique impur avec une protéinurie glomérulaire (faite d’albumine), une hématurie et/ou une insuffisance rénale aiguë. Si possible, la biopsie est systématique pour attester de l’atteinte rénale, évaluer son étendue et distinguer les lésions aiguës et chroniques à visée pronostique. L’histologie classique est celle d’une glomérulonéphrite avec prolifération endocapillaire. Les petites artères peuvent être le siège de lésions de vascularite, et une thrombose microvasculaire peut s’observer.
Atteintes générales et des autres organes
Des signes généraux sont possibles : altération de l’état général, fièvre prolongée, arthralgies inflammatoires, arthromyalgies, voire arthrites. La triade de Meltzer correspond à l’association d’un purpura vasculaire, d’arthralgies et d’une asthénie.
Beaucoup plus rarement, des atteintes du système nerveux central, pulmonaires, rétiniennes, digestives ou cardiaques sont rapportées.
Enfin, un syndrome d’hyperviscosité peut survenir lorsque l’immunoglobuline (Ig) est présente en grande quantité, notamment de type M. Véritable urgence diagnostique et thérapeutique, ce syndrome associe des saignements muqueux, des signes neurosensoriels (acouphènes, myodésopsies), des céphalées et parfois un syndrome confusionnel et des troubles de la vigilance.
Un diagnostic essentiellement paraclinique
Si la clinique peut être évocatrice, il existe de nombreuses formes asymptomatiques ou évoluant à bas bruit. Les examens biologiques et histologiques sont alors nécessaires pour affirmer le diagnostic (
Recherche de la cryoglobuline
La mise en évidence d’une cryoglobuline peut être complexe car elle nécessite des conditions de prélèvement strictes.8 Afin d’éviter la cryoprécipitation avant l’analyse, l’échantillon sanguin de 10 à 20 mL doit être maintenu à 37° C entre le prélèvement et la centrifugation (si le tube refroidit, le cryoprécipité est éliminé par la centrifugation). Après centrifugation, le tube est placé à 4° C. La présence d’un cryoprécipité est alors recherchée jusqu’à un délai de cinq à sept jours (
En cas de suspicion de vascularite cryoglobulinémique, d’autres analyses peuvent révéler, de façon indirecte, la présence d’une cryoglobuline : l’immunofixation des protéines sériques peut révéler un pic monoclonal, le dosage du complément une consommation de la fraction C4 et un facteur rhumatoïde peut exister (dans les cryoglobulinémies mixtes). Ces éléments indirects sont intéressants car leurs résultats sont disponibles plus rapidement que la recherche de la cryoglobuline elle-même.
La cryoglobuline peut également induire des artéfacts sur les autres analyses biologiques, notamment une pseudoleucocytose, une pseudomacrocytose et une fausse élévation de la vitesse de sédimentation.
Apport de l’anatomopathologie
L’analyse histologique peut également aider pour affirmer le diagnostic de vascularite cryoglobulinémique. En cas de lésion cutanée ou d’atteinte rénale, une biopsie de chacun de ces organes doit ainsi être réalisée. Enfin, lorsqu’il s’agit d’une atteinte neurologique isolée, la biopsie neuromusculaire, plus invasive, est à discuter avec une équipe spécialisée.
Rechercher la cause
Une fois la vascularite cryoglobulinémique confirmée, le diagnostic étiologique doit être effectué (
Cryoglobulinémie de type I
Une hémopathie doit être recherchée.9
En cas d’isotype IgM, le bilan est orienté vers un lymphome lymphoplasmocytaire ou une maladie de Waldenström par TEP-TDM (TEP : tomographie par émissions de positons, TDM : tomodensitométrie) et biopsie ostéomédullaire.
En cas d’isotype IgG, IgA, de chaînes légères ou autres, on recherche un myélome, une hémopathie lymphoïde B de bas grade ou une gammapathie monoclonale de « signification indéterminée ».
Cryoglobulinémies de type II et III
Le bilan doit rechercher une hépatite virale, notamment de type C,10 une connectivite (anticorps antinucléaires, antigènes solubles, anti-ADN natif), voire une hémopathie B selon le bilan initial.
De nombreux diagnostics différentiels
Les autres causes de vascularite des petits vaisseaux doivent être éliminées : vascularites à ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles), vascularite à IgA, vascularites associées aux connectivites, endocardites.
Les causes de nécrose cutanée comme le syndrome des antiphospholipides ou les cardiopathies emboligènes sont à évoquer, de même que les pathologies avec manifestations associées au froid (exemple de la cryofibrinogénémie qui correspond à la précipitation de protéines contenues dans le plasma, sans précipitation du sérum du patient – plasma duquel on retire les protéines de la coagulation ; le cryoprécipité contient généralement du fibrinogène et d’autres protéines ; les manifestations principales en sont l’acrosyndrome et les nécroses cutanées).
Traiter la vascularite cryoglobulinémique, c’est traiter sa cause
Le traitement de la vascularite cryoglobulinémique est directement lié à sa cause. Il repose ainsi sur la prise en charge de l’hémopathie B, de l’hépatite C, de la pathologie auto-immune sous-jacente. La décision de traiter et l’intensité du traitement nécessitent le plus souvent une discussion avec une équipe experte (
Certaines situations sont cependant de véritables urgences thérapeutiques, et le bilan étiologique doit être réalisé dans un second temps : syndrome d’hyperviscosité, nécrose cutanée extensive, syndrome de glomérulonéphrite rapidement progressive ; les échanges plasmatiques permettent alors d’épurer le plasma de la cryoglobuline et des complexes immuns, dans l’attente du bilan étiologique et du traitement de la pathologie sous-jacente.11
Hors urgence vitale, les modalités de traitement dépendent du type de cryoglobuline et du bilan étiologique initial (
Dans les cryoglobulinémies mixtes, le traitement associant une corticothérapie systémique avec du rituximab est utilisé.12, 13
Le pronostic de la vascularite cryoglobulinémique est intimement lié à celui de la pathologie sous-jacente, en particulier dans le cas de l’hémopathie des cryoglobulinémies de type I. Certaines atteintes d’organe, notamment pulmonaire, gastro-intestinale, du système nerveux central, l’insuffisance rénale chronique, sont associées à un moins bon pronostic.14
La mise à jour des vaccinations est recommandée au plus tôt et, si possible, avant la mise en route du traitement immunosuppresseur.
La vascularite cryoglobulinémique est un diagnostic qui doit être évoqué en présence de manifestations de vascularite des petits vaisseaux. La mise en évidence de la cryoglobuline impose des conditions de prélèvements et de transport strictes. La prise en charge thérapeutique nécessite toujours de considérer la pathologie sous-jacente et donc de réaliser un bilan exhaustif guidé par le type de cryoglobuline mis en évidence.
Les objectifs de la prise en charge thérapeutique des cryoglobulinémies (voir réf. 2)
L’objectif du traitement est la baisse rapide du taux de cryoglobulinémie en agissant de manière combinée sur la maladie causale (à l’origine de la production de la cryoglobuline) et sur la clairance de la cryoglobuline (épuration).
À court terme
- Permettre le confort quotidien
- Parfois assurer un sauvetage fonctionnel, voire vital
- Dépister les atteintes potentiellement graves
À moyen terme
- S’opposer à l’évolution prévisible des atteintes graves, notamment rénales, neurologiques et digestives
- Prévenir les poussées
- Prévenir les manifestations thrombotiques
- Préserver la qualité de vie et l’insertion socio-professionnelle
- Préserver l’intégrité des organes vitaux et contrôler la survenue des poussées
- Prévenir les atteintes ischémiques entraînant nécrose, gangrène et parfois amputation
- Prévenir les complications sévères liées aux vascularites rénales, du système nerveux central et du tube digestif
- Prévenir les complications infectieuses liées au traitement immunosuppresseur ou à la chimiothérapie
- Assurer le maintien des activités socio-professionnelles du patient
À long terme
- Limiter les séquelles de la maladie
- Limiter les effets délétères différés du traitement immunosuppresseur ou de la chimiothérapie
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