Les veisalgies ou gueules de bois peuvent avoir des conséquences néfastes, notamment sur la santé cardiovasculaire, et ce même chez les personnes qui n’ont pas de troubles de l’usage d’alcool. Ce qu’on sait aujourd’hui sur les mécanismes impliqués, les risques associés, l’efficacité des « remèdes » post-cuite. Par le Dr Pascal Menecier, CH de Mâcon.
La clinique des lendemains d’ivresse, trivialement gueule de bois (ou xylostome), a été théorisée dans les années 2000 sous le terme de veisalgie ;1vesialgia ou hangover pour les Anglo-Saxons. Plus qu’un prix à payer pour avoir trop bu (ou trop consommé de substance psychoactive), c’est une expérience déplaisante avec un tableau clinique spécifique et de possibles conséquences individuelles ou collectives dommageables à court ou moyen termes.
Elle peut survenir après de faibles consommations, même s’il s’agit essentiellement d’un aléa différé du binge-drinking, dont elle ne résume pas les dommages potentiels.
En parler peut aider à dénormaliser ce moment, ni banal ni nécessaire, qui peut justifier une part de médicalisation.
Quels produits concernés ?
La veisalgie concerne surtout l’alcool, mais peut aussi survenir dans les suites de surconsommations de cannabis (weed hangover, avec sécheresse buccale, fatigue, troubles cognitifs…), ou de benzodiazépines (intriquée à des effets persistants de molécules à demi-vie longue).2 Ces tableaux sont parfois combinés (tendances croissantes de consommations associées).
Quels mécanismes ?
C’est la première conséquence négative de surconsommations d’alcool, dont la clinique et les conséquences ont pu à tort être banalisées et négligées. Les signes apparaissent dès que l’alcoolémie revient vers zéro, de 6 à 8 heures après l’alcoolisation, pour ensuite durer une vingtaine d’heures.3
Ses mécanismes physiopathologiques sont essentiellement inconnus, mais sa réalité clinique est certaine, pas seulement par auto-expérimentation.
Plusieurs hypothèses étiopathogéniques coexistent entre déshydratation, désordres métaboliques induits (hypoglycémies relatives, acidoses métaboliques…), ou surproduction d’acétaldéhyde avec effets antabuses… D’autres envisagent aussi de possibles stress oxydatifs, dysrégulations immunitaires ou des cytokines.
Le tableau n’est pas réservé aux malades de l’alcool, mais peut survenir chez tout consommateur, en dehors de troubles de l’usage d’alcool (TUAL). Les liens entre TUAL et veisalgie sont peu clairs, même si des antécédents familiaux de TUAL ont été associés à des tableaux plus fréquents de veisalgie.2
Quelle clinique ?
Le tableau physique, psychique et cognitif associe des signes défavorables avec une part subjective difficilement quantifiable.
Les signes cliniques se répartissent entre :2
- malaise général, faiblesse, fatigue, mal-être, soif intense, sécheresse buccale ;
- irritabilité, culpabilité et remords, anxiété, dysphorie, dépression… ;
- céphalées, crampes musculaires, douleurs abdominales ;
- anorexie, gastralgies, nausées, vomissements, diarrhée (motrice) ;
- palpitations, tachycardie, hypertension artérielle, sueurs, tremblements ;
- hypersensibilité au son et à la lumière, vertiges ;
- divers troubles cognitifs concernant l’attention/concentration, mémoire, aptitudes visuospatiales, habiletés psychomotrices… ;
- troubles du sommeil associés et majorant les autres signes.
Diagnostics différentiels : le sevrage alcoolique ne doit pas être confondu avec la veisalgie, même si celle-ci peut parfois rapidement le succéder. Il ne s’agit pas non plus de manifestations d'alcoolopathies, quelles qu’elles soient.
Intensité des signes : variable
L’intensité est proportionnelle aux quantités d’alcool bues et surtout au dépassement des niveaux habituels de consommation, mais au moins 25 % de sujets sont asymptomatiques, dits « résistants ».
Une différence a été décrite selon le type de boisson consommée, ou les autres substances ingérées en dehors de l’éthanol (polyphénols, histamine…).
Des formes plus sévères surviendraient avec l’âge ou la consommation associée de tabac (nicotine).2
Quelles conséquences ?
De multiples conséquences négatives individuelles ou collectives peuvent survenir, dépassant le seul inconfort.
• Conséquences sur la santé :
- cardiovasculaires, avec troubles du rythme cardiaque et augmentation du travail myocardique associé à une surmortalité d’origine cardiaque et des morts subites ;4
- des gastrites aiguës érosives ont été décrites ainsi que des exacerbations de reflux gastro-œsophagien symptomatiques ;
- traumatiques, avec une accidentologie domestique ou au travail et des conséquences pour soi-même ou pour les autres.
• Coût socioéconomique important (perte de productivité) et risques au travail (accidents de travail ou de trajets par privation de sommeil, perte de vigilance), chez des sujets avec alcoolémie revenue à zéro.4
Quel traitement ?
L’essentiel des soins sont auto-appliqués, automédiqués (ou sans intervention des professionnels de santé). Il faut proposer de (se) réhydrater (avec des boissons non alcooliques), manger modérément et dormir… il n’y a pas d’autre traitement validé. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou l’aspirine, souvent employés, sont peu efficaces (hormis sur les céphalées) ou dangereux (ajoutant un risque gastro-toxique).2
Aucune recette plus ou moins complexe (ou comestible) n’a jamais fait preuve de son intérêt préventif ni curatif.5 Parmi différentes herbes ou champignons proposés, le cannabis parfois envisagé dans ce rôle n’a pas non plus démontré d’efficacité sans risques. Bien sûr, reconsommer de l’alcool n’est pas adapté et encore moins recommandé. La prévention repose surtout sur la limitation des surconsommations d’alcool.
Les points à retenir :
> Toute intoxication par une substance psychoactive est source de conséquences immédiates (ivresse) puis différées.
> Veisalgie, gueule de bois ou hangover ne doivent pas être banalisées, car elles peuvent être associées à des conséquences négatives, individuelles ou collectives.
> Un tableau clinique varié avec malaise, inconfort, troubles de vigilance et troubles cognitifs peut survenir chez tout buveur, même sans trouble de l’usage de l’alcool.
> Surmorbidité cardiovasculaire ou digestive et surmortalité immédiate sont associées
> Traitement symptomatique simple : boire (sans alcool), manger, dormir. Prévention des récurrences en limitant les alcoolisations.
Pascal Menecier, service d’addictologie, CH de Mâcon ; institut de psychologie à l’Université Lumière Lyon 2, équipe de recherche DIPHE. L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
Références :
1. Verster JC, Scholey A, van de Loo AJAE, et al. Updating the Definition of the Alcohol Hangover. J Clin Med 2020;9(3):823.
2. Menecier P. Les illusions de l’ivresse. Éditions In Press 2022.
3. Razvodovsky YE. Hangover Syndrome : Pathogenesis and Treatment. Int Arch Subste Abuse and Rehabil 2021;3(009).
4. Wiese JG, Shlipak MG, Browner WS. The alcohol hangover. Ann Int Med 2000;132(11) :897-902.
5. De Rudder O. Bréviaire de la gueule de bois. Éditions Librio 2005.