Consacrer un éditorial au Covid-19, c’est prendre le risque d’être très vite contredit par l’actualité. La question du jour (le 12 mars au moment où nous rédigeons ces lignes) est de savoir, alors que l’Italie a décidé de se mettre tout entière en quarantaine, si on en fait trop ou pas assez pour contenir sa diffusion. Réponse peut-être très bientôt ? Il faut dire qu’une pandémie liée à un virus contre lequel on n’a pas encore de traitement et dont l’évolution est commentée de façon anxiogène en temps réel sur toute la planète est un phénomène inédit pour l’humanité (la situation due au virus grippal H1N1 était différente car il existait un vaccin). Elle confirme au centuple (nous le savions déjà) combien les maladies infectieuses sont révélatrices de nos modes de fonctionnement. Il y aurait des livres entiers à écrire sur la gestion orwellienne de l’épidémie par la Chine (et ce que cela implique dans nos rapports avec elle), sur l’attitude du Japon vis-à-vis des passagers du paquebot de croisière Diamond Princess en quelque sorte abandonnés à leur sort pour sanctuariser le pays (ce qui n’aura pas suffi), sur le talon d’Achille que représentent les sectes dans un pays aussi organisé que la Corée du Sud, sur ce que pense l’opinion iranienne sur la transparence de l’information par le régime, sur les causes qui expliquent pourquoi l’Italie s’est soudain laissée déborder par l’épidémie ou sur la gestion trumpienne de la crise.
Le temps du virus n’est vraiment pas le nôtre. Le 20 février au soir, Olivier Véran, le nouveau ministre de la Santé, déclarait : « Il n’y a ce soir plus aucun malade hospitalisé en France. Le dernier patient est guéri, il n’est plus contagieux et a pu rentrer chez lui. » Trois semaines après, cette phrase semble avoir été prononcée il y a une éternité, tant il est probable que le virus circule à peu près partout sur le territoire français et certainement bientôt dans toute l’Europe avec cet incroyable retournement : alors que l’épidémie semble marquer le pas en Chine, le virus est réintroduit dans le pays par des touristes chinois qui ont été contaminés en Italie… Pendant ce temps, les quarantaines imposées entraînent un ralentissement économique majeur qui socialement fera peut-être plus de dégâts que le virus lui-même. Si des mesures de fermeture ou d’isolement au coup par coup sont nécessaires, le tout-arrêt à l’italienne est-il vraiment tenable face à une infection dont on guérit le plus souvent, les personnes à risque semblant mieux identifiées et donc susceptibles d’être mieux protégées ? À moins que la situation italienne ne préfigure la nôtre ?
Sur nos écrans on peut voir le film chinois, Le Lac aux oies sauvages, un polar tourné à Wuhan, l’épicentre de l’épidémie. La ville n’est pas citée, mais une scène de poursuite nocturne entre truands et policiers se situe dans son zoo. Des plans furtifs montrent éléphants, tigres et autres pensionnaires fixer de leur regard l’activité déraisonnable des hommes : une réprobation muette et prémonitoire ? Alors que le ciel de Pékin retrouve un peu de sa couleur bleue avec la chute de la pollution liée au recul massif de la production industrielle chinoise, le pays vient enfin d’interdire le commerce et la consommation des animaux sauvages. Le pangolin, immensément braconné et possible hôte intermédiaire du virus entre la chauve-souris et l’homme sur le marché aux animaux de la ville, va-t-il pouvoir enfin respirer et nous faire prendre conscience du prix démesuré payé par le saccage de la nature ?