La prescription de verres correcteurs a pour but premier la compensation d’une ou plusieurs des quatre anomalies réfractives que sont la myopie, l’hypermétropie, l’astigmatisme et la presbytie.
À partir d’une prescription et sur une monture de lunettes choisie, il existe une multitude de possibilités de réaliser l’équipement. Ces possibilités peuvent différer par les caractéristiques des verres conseillés par l’opticien : géométrie, matériau, traitement de surface, teinte. Ce sont surtout la mise en œuvre des verres, la conception et la réalisation de l’équipement par l’opticien qui déterminent le confort visuel.
Les verres correcteurs compensent les amétropies
La précision du stimulus rétinien est déterminante pour la qualité de la vision ; cette précision n’est plus optimale en présence d’une amétropie.
On distingue trois types d’amétropie : la myopie, l’hypermétropie et l’astigmatisme ; de plus, après 45 ans, la presbytie perturbe la vision de près.
La prescription de verres correcteurs permet la compensation d’une ou plusieurs de ces quatre anomalies réfractives (tableau). Mais le confort visuel global repose sur d’autres composants de la vision : perception des formes, des mouvements, des vitesses, des couleurs, éléments binoculaires et moteurs. Ces composants sont perçus grâce aux sensations recueillies par la totalité des deux surfaces rétiniennes, jusqu’à la périphérie lointaine. Les verres correcteurs se différencient essentiellement par le travail effectué sur leur surface en dehors de la seule zone paraxiale du verre.
Sensation et perception
Un verre correcteur agit directement sur la sensation visuelle en aiguisant la stimulation des photorécepteurs. C’est la précision du stimulus rétinien qui est à l’origine d’une bonne perception de la scène visuelle. La performance visuelle est évaluée en pratique clinique par le relevé de l’acuité visuelle. Cette évaluation concerne un aspect essentiel de la fonction visuelle : la vision fine. C’est surtout le centre de fixation rétinien qui alimente cette perception des détails.
Deux pôles de la perception visuelle
Quand les paupières s’ouvrent, la totalité de la scène visuelle est projetée sur les rétines, mais nous n’accordons pas la même attention à tous les éléments. Une fixation des détails vient préciser un repérage plus passif. La distinction usuelle entre vision centrale et vision périphérique prend source dans la rétine, suivant le type et la variation de la densité des photorécepteurs, leurs connexions et les projections corticales (fig. 1).1-3
La formule du verre prescrit concerne la mise au point sur le centre rétinien et se traduit par l’acuité maximale que le patient peut atteindre pour cet œil.
La vision derrière un verre correcteur
Dans les tâches visuelles courantes de fixation, on utilise principalement une portion restreinte de la surface du verre. Cette petite portion de surface, que les concepteurs de verres ophtalmiques nomment « zone d’usure du verre », doit satisfaire aux exigences de l’œil en vision centrale. Mais dans le même temps, la transmission de la lumière par toute la surface du verre, au voisinage et en dehors de la zone privilégiée ne doit pas être négligée.
Fixation centrale
La ligne de regard qui concerne la fixation par le centre rétinien parcourt la zone d’usure du verre au cours des mouvements oculaires.
Pour les verres unifocaux, cela se fait spontanément.
Pour les verres progressifs s’ajoute le besoin de voir net à la bonne distance, ce qui n’est satisfait que si la ligne de regard suit bien la méridienne de progression (fig. 2).
Rigoureusement, la puissance prescrite pour un verre unifocal n’est exacte que pour la zone proche du centre optique. Lorsque la ligne de regard parcourt le verre, il y a une perte de définition liée à l’incidence ; une géométrie asphérique permet de mieux conserver la formule quand l’incidence varie.
La connaissance des conditions de port de la monture sur le visage du patient autorise une asphérisation individualisée qui respecte idéalement la prescription au cours des mouvements oculaires. Pour la réalisation d’un verre progressif, ces conditions de port doivent impérativement être prises en compte pour un bon étagement de la variation de puissance.
Sensations périphériques
Pendant que la ligne de regard parcourt la zone d’usure, la rétine parafovéale et périphérique reçoit la lumière de l’ensemble de la scène visuelle.
Ces parties de la rétine extrafovéale sont peu sensibles à la vision en détail, mais leurs projections corticales participent au repérage par la détection des formes, des mouvements, des flashs et clignotements, etc. Elles servent aussi à l’assise de la vision binoculaire.
La recherche spécialisée dans la conception des verres n’a de cesse d’affiner la transmission de la lumière au voisinage et en dehors de cette zone d’usure sur le verre, dans le respect des besoins des zones rétiennes concernées. La qualité de ce travail apporte un gain en confort visuel pour tout verre et surtout les progressifs, pour lesquels la variation de puissance centrale peut générer des perturbations gênantes en périphérie et pour l’intégration binoculaire.4
Verres basiques
Les verres basiques ne s’encombrent pas de considérations au-delà du respect des normes de fabrication. Advienne que pourra.
Normes et tolérance
La précision du surfaçage et le montage des verres correcteurs sont encadrés par des normes de tolérance, qui évitent un écart trop important avec les verres prescrits. Une norme ne concerne que certains aspects de la correction par le verre et ne peut pas garantir une qualité visuelle globale.5
À titre d’exemple, la seule contrainte sur la surface d’un verre progressif concerne la puissance en deux points de sa surface : ces deux points encadrent la progression. Le reste de la surface n’est pas défini. Les verres les plus frustes peuvent ainsi satisfaire à l’exécution de la prescription ophtalmologique en toute légalité.
Mise au point et grossissement
Le but d’un verre correcteur est de faire une mise au point pour une distance ou une plage de distances définie. Cette mise au point peut s’accompagner d’un effet grossissant que l’on cherche à limiter afin d’éviter les distorsions et les perturbations spatiales.
Le grossissement de la « lunette-loupe » est une imperfection plutôt qu’une qualité. Il existe des verres grossissants utilisés pour certaines anomalies et en basse vision.
Protection contre la lumière bleue
La lumière qui pénètre le globe oculaire est captée par les pigments visuels mais aussi par des pigments non visuels qui alimentent certaines fonctions métaboliques – oculaires et générales. L’ensemble est calibré pour la lumière naturelle, qui a un niveau d’intensité équilibré pour toutes les radiations visibles.
L’éclairage artificiel à base de LED (Light-Emitting Diode) blanches utilisé pour les moniteurs, tablettes et smartphones comporte un pic d’intensité dans les hautes fréquences visibles, ce qui, en dessous du seuil d’éblouissement, déjoue les protections naturelles et présente un risque de toxicité rétinienne.6
Les verres correcteurs peuvent atténuer cet effet : les plus performants sont ceux qui préservent la lumière bleue utile, tout en filtrant le bleu toxique.
Verres freinateurs de myopie
Une nette augmentation de la prévalence de la myopie est constatée ces dernières années chez les enfants et jeunes adolescents. On relève ainsi un allongement excessif de l’œil sans vraiment l’expliquer. Plusieurs stratégies sont utilisées, seules ou combinées, dans le but de freiner l’évolution de la myopie : atropine faiblement dosée, orthokératologie (port de lentilles de nuit) ou verres freinateurs de myopie. Ces verres, tout en assurant la vision nette dans leur partie centrale, sollicitent la rétine périphérique de manière plus diffuse, au moyen d’une défocalisation ou d’une atténuation des contrastes. Les études en cours montrent une stabilisation sensible de l’allongement axial de l’œil grâce au port de ce type de verres.7
Verres correcteurs : questions fréquentes et idées fausses
Y a-t -il un risque d’aggravation de la vision par le port de verres correcteurs ?
En supposant que la prescription soit récente et pertinente et que la réalisation de l’équipement par l’opticien soit adéquate et de qualité, il n’y a pas de risque d’aggravation. Cette fausse idée peut être liée à l’arrivée de la presbytie qui coïncide souvent avec le premier port de verres correcteurs. La presbytie s’amplifie régulièrement, que le patient porte des lunettes ou non, et rapidement il ne peut plus s’en passer.
Peut-on toujours s’habituer à des verres progressifs ?
Oui, en dehors de toute pathologie ou contre-indication majeure. Il existe aujourd’hui une telle diversité de verres progressifs qu’un opticien libre de ses choix doit pouvoir réaliser un équipement adapté au besoin de chaque patient presbyte.
À quoi sert le traitement anti-reflets ?
Environ 8 % de la lumière est réfléchie sur un verre non traité et seulement 92 % est transmise à l’œil. Un traitement performant porte la transmission à plus de 99,5 %, ce qui améliore la vision en toutes circonstances, notamment pour la conduite. Les verres à fort indice de réfraction ont un taux de réflexion supérieur et n’existent pas sans traitement. Plus le traitement est de qualité, plus il est résistant et facile d’entretien.
Le port de verres correcteurs est-il utile dans la DMLA ?
À terme, une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) condamne la vision centrale et rend peu utile la mise au point par verres correcteurs, sauf en cas de forte amétropie. Le recours à la stimulation de la rétine périmaculaire par des verres filtrants sélectifs et des systèmes grossissants reste une possibilité.8
Limiter le port de verres correcteurs pour faire travailler les yeux a-t-il un intérêt ?
Cette idée fausse provient de la confusion fréquente entre sensation visuelle et perception visuelle. Un verre correcteur bien prescrit vient parfaire la sensation rétinienne. En l’absence de mise au point précise sur la rétine, hormis de vains efforts accommodatifs, c’est surtout le cerveau qui effectue un éprouvant travail perceptuel, en s’efforçant de pallier les lacunes à l’aide des autres informations sensorielles, de l’expérience visuelle acquise, de l’imagination. Il est à noter que cet effort perceptuel est d’autant plus bénéfique pour le confort visuel global que l’œil est parfaitement corrigé.
La notion de « travail des yeux » peut se comprendre au sens de l’action des muscles oculomoteurs dans le cadre du traitement d’une anomalie de la vision binoculaire qui peut générer une fatigue. Il convient ici de respecter les recommandations de l’orthoptiste et de l’ophtalmologue.
Que dire à vos patients ?
L’ordonnance de l’ophtalmologue comporte la formule des verres qui compensent votre amétropie et les indications de port des lunettes prescrites.
Il existe une multitude de verres différents qui respectent tous la formule prescrite.
La détermination du type de verre adapté à votre besoin se fait avec l’opticien : verre unifocal, bifocal, progressif ou de proximité.
Pour chaque type de verre, il existe de nombreuses possibilités de réalisation de l’équipement. Ces variantes, en plus de satisfaire la prescription ophtalmologique, déterminent le confort visuel global.
2. Curcio CA, Sloan KR, Kalina RE, et al. Human photoreceptor topography. J Comp Neurol 1990;292(4):497-523.
3. Westheimer G. Visual acuity: information theory, retinal image structure and resolution thresholds. Prog Retin Eye Res 2009;28(3):178-86.
4. Meslin D. Les verres progressifs. Paris: Essilor; 2018. Disponible sur https://bit.ly/3WMkehL
5. Organisation internationale de normalisation (ISO). Optique ophtalmique – Verres ophtalmiques montés-norme. ISO 21987:2017(fr).
6. Anses. LED et lumière bleue (en ligne). 2017. Disponible sur https://bit.ly/3jPqUgG
7. Bremond-Gignac D. Myopie de l’enfant. Med Sci (Paris) 2020;36(8-9):763-8.
8. Inserm. Dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Une perte progressive de la vision centrale (en ligne). 2017. Disponible sur https://bit.ly/3Qj3tbB