La série d’attaques terroristes de 2015 et 2016, par son ampleur, a mobilisé des circuits de soins multiples et hétérogènes. Le nombre élevé des personnes exposées a, dès les premières heures, débordé les structures normalement dédiées à leur accueil (cellules d’urgence médico-psychologique [CUMP] et services d’urgences référents). Le maintien sur plusieurs mois des recours aux soins a encore participé à élargir le nombre de primo-intervenants dans la prise en charge. Les démarches médico-judiciaires, souvent peu connues des non-spécialistes, sont nécessaires à la reconnaissance du statut de victime. Elles comportent plusieurs étapes bien définies. Or le manque d’harmonisation des réponses médico-légales peut entraîner une perte de chance dans l’établissement des droits, ainsi qu’une multiplication des démarches et examens médicaux. En effet, la victime, devenue « plaignante », doit se livrer à un parcours de reconnaissance dont la pénibilité l’expose à des conséquences de surtraumatisme.
Cette nécessaire harmonisation justifie des recommandations de bonnes pratiques destinées à tout praticien, pour guider la rédaction du certificat initial, préciser la place de ce premier constat médico-légal dans les suites judiciaires, et mettre en place les conseils initiaux à donner aux victimes. Cela implique la connaissance par le praticien du parcours pénal et civil depuis le dépôt de plainte jusqu’à la phase d’indemnisation. Cet accompagnement personnalisé dans les démarches judiciaires et administratives doit en effet s’associer aux soins, afin d’aider au processus de reconstruction des personnes impliquées.

Certificat médical initial d’une victime d’attentat terroriste

La rédaction d’un certificat médical de coups et blessures physiques et psychiques relève d’un constat que tout médecin inscrit à l’Ordre des médecins doit pouvoir établir à la demande de la victime, ou sur réquisition d’une autorité judiciaire. Afin d’alléger et d’anticiper le parcours médico-judiciaire, nous conseillons de proposer, dès le premier recours médical, l’établissement de ce certificat. En effet, ce premier temps de soin implique souvent le récit de l’événement traumatique et de ses suites. Une nouvelle consultation ultérieure imposée par les autorités judiciaires expose à un nouveau et obligatoire rappel de l’événement, dans un processus souvent épuisant. Cette consultation, alors déclenchée par la procédure, fait parfois entrave aux stratégies individuelles de récupération psychologique.
La rédaction du certificat médical répond à des impératifs légaux : le médecin doit ne rapporter que ce qui est constaté (sans interprétation ni tri) ; le certificat doit comporter l’identification du médecin signataire (nom, prénom, adresse, numéro d’inscription à l’Ordre des médecins), l’identification de la victime (nom, prénom, date de naissance), celle du représentant légal ou d’un traducteur éventuel, la signature du praticien, la date, l’heure et le lieu de l’examen.1, 2 Par ailleurs, si le certificat médical est effectué sur réquisition, il doit mentionner la prestation de serment (sauf si le rédacteur est expert inscrit auprès d’une cour d’appel), et indiquer le nom et la fonction du requérant.1, 2
Lors de l’entretien avec le patient, le médecin doit répertorier le type d’exposition au traumatisme, de la manière la plus précise possible (lieu, durée, exposition visuelle, sonore ou autre). Il doit ensuite décrire l’ensemble des symptômes psychiques qui ont émergé dans les suites de l’agression, en précisant la réaction péritraumatique, post-traumatique immédiate, ainsi que l’état clinique objectivement constaté lors de l’examen.
Ce certificat doit comporter l’estimation d’un temps d’incapacité totale de travail (ITT). Pour rappel, l’ITT correspond à la période pendant laquelle il existe un retentissement significatif sur les actes de la vie courante (manger, dormir, se laver, se déplacer). En cas d’examen initial dans les heures qui suivent l’événement, nous proposons de délivrer une ITT provisoire minimale (de type « supérieure à quinze jours » ou « supérieure à trente jours »), cela malgré l’absence de parallélisme obligatoire entre la gravité de l’événement et l’intensité du traumatisme psychique. Cette ITT aidera à la recevabilité de la plainte pénale, et évitera, là encore, les répétitions d’examens en séquence. Elle pourra, le cas échéant, être complétée par une réévaluation ultérieure lors d’un nouvel examen à distance (le plus souvent sur réquisition en unité médico-judiciaire).1, 2
À l’occasion du dispositif de prise en charge hospitalière des victimes d’attentats mis en place à l’hôpital Hôtel-Dieu en novembre 2015, des certificats médicaux initiaux de retentissement psychologique mentionnant l’ITT ont été systématiquement établis. Cette préconisation a été reprise dans le référentiel national des cellules d’urgence médicopsychologique (CUMP).3 Nous proposons un modèle qui peut aider tout praticien à l’établissement de ce certificat (fig. 1).

Informations sur le parcours judiciaire

Ce premier examen permet de délivrer une information quant aux possibilités d’aide juridique et psychologique, d’expliquer l’importance d’une plainte pénale et les principes de l’indemnisation. Cette information est bien sûr ajustée à l’état clinique de la personne exposée.
L’examen médical permet de conseiller le patient et de l’orienter vers un soutien psychologique, psychiatrique, et juridique. Dès les premiers moments, il est recommandé d’indiquer les lieux et coordonnées des associations d’aide aux victimes qui offrent un accompagnement d’information et de soutien, qui peut se maintenir tout au long de la procédure judiciaire, du dépôt de la plainte jusqu’à l’exécution de la décision.1, 2
Ce premier temps d’accès aux soins doit également souligner l’intérêt de se diriger rapidement vers les services de police afin de réaliser un dépôt de plainte pénale. Cette démarche, bien qu’essentielle à la reconnaissance ultérieure, est parfois difficile pour les personnes exposées non blessées physiquement, qui vont souvent mettre plusieurs semaines à constater ou accepter le niveau d’impact psychologique. Pour faciliter cette démarche de plainte, une permanence de police a parfois été mise en place à proximité des lieux de soins. De manière complé­mentaire, des volontaires des CUMP ont pu organiser une présence sur les lieux des services de police qui recevaient les plaintes, afin de faciliter dès les premiers jours l’accès à une prise en charge.
Il est important d’informer la victime de ses droits à se constituer partie civile. Précisons qu’après la survenue d’un acte de terrorisme, les victimes, les familles des personnes décédées et toute personne s’estimant lésée peuvent se constituer partie civile, une information judiciaire étant systématiquement ouverte par le parquet. Cette disposition permet d’être informé de l’évolution du dossier, d’avoir accès à l’ensemble des pièces et de solliciter une audition et la réalisation d’actes d’investigation auprès du juge d’instruction. La constitution de partie civile peut se faire à tout moment de la procédure, jusqu’au jour de l’audience.4
Enfin, les personnes exposées doivent être informées de la possibilité d’une indemnisation par le Fonds de garantie des victimes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). La saisine de ce fonds peut être effectuée par le procureur de la République qui adresse la liste unique de victimes (LUV), constituée notamment à partir du relevé des plaintes pénales. Cette liste n’est cependant pas limitative. Ainsi, toute personne non signalée qui s’estime victime d’un acte de nature terroriste peut saisir le FGTI pour une demande d’indemnisation, si elle apporte les justifications nécessaires. Elle dispose pour ce faire d’un délai de 10 ans à compter de la date de l’attentat (article L. 422-3 du code des assurances).4-6
Au niveau de la politique publique, la délégation inter­ministérielle à l’aide aux victimes, qui a relayé en aout 2017 le secrétariat d’état à l’aide aux victimes, vise à améliorer la coordination dans la prise en charge immédiate des victimes de terrorisme. Il est en charge de la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV), dont les missions sont précisément de centraliser les données concernant les impliqués, d’informer et d’accompagner la victime et son entourage, de coordonner l’action de tous les ministères intervenants, en relation avec les associations et le parquet (fig. 2).4, 5

Procédure d’indemnisation

L’indemnisation par le FGTI concerne l’intégralité des dommages corporels (physiques et psychiques) et les préjudices moraux et économiques. Cette indemnisation concerne aussi bien les victimes et personnes impliquées que les ayants droit des victimes décédées. Le FGTI verse une première provision au plus tard un mois après avoir reçu la demande de la victime pour faire face aux premiers frais, ce qui constitue une avance financière sur l’indemnisation définitive. Si la situation le justifie, d’autres provisions pourront être versées tant que l’indemnisation définitive du préjudice ne sera pas intervenue.6 En effet, l’indemnisation définitive nécessite une procédure parfois longue, à la recherche d’une « juste indemnisation ».
L’évaluation du préjudice ne se fera qu’après une expertise médico-légale complète organisée par le FGTI, qui comporte une expertise principale parfois complétée d’avis spécialisés (notamment psychiatriques). Le principe de ces expertises est d’évaluer les postes de préjudice, à travers l’examen médical, aidé des documents médicaux présentés par la victime. L’évaluation des séquelles permanentes ne peut se faire que si l’état est « consolidé », c’est-à-dire stabilisé et peu susceptible d’évolution en aggravation ou amélioration. En l’absence de consolidation, l’expert reverra le demandeur à une date ultérieure avant de pouvoir évaluer définitivement le dommage subi, ce qui n’est parfois possible qu’après plusieurs mois ou années. C’est pour éviter une répétition d’examens que le FGTI recommande aux victimes d’interroger leur médecin traitant ou le spécialiste qui les suit pour savoir si leur état clinique est évolutif, ou si l’expertise définitive peut avoir lieu.
Après consolidation, l’offre d’indemnisation définitive est présentée par le FGTI au plus tard trois mois après réception des justificatifs des préjudices. La victime dispose alors d’un délai de 15 jours de recours concernant l’offre d’indemnisation. En cas de refus, ce sont les tribunaux qui déterminent judiciairement le montant que le FGTI devra régler.6
Par ailleurs, les victimes d’actes de terrorisme peuvent bénéficier des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, au titre de victimes civiles de guerre.4, 5 En ce qui concerne les organismes d’assurance maladie, depuis décembre 2015, les personnes présentes sur les lieux de l’attentat ayant subi un dommage lié directement à l’acte de terrorisme peuvent bénéficier d’un remboursement à 100 % de tous les soins liés à l’acte de terrorisme (loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la Sécurité sociale).4, 5

CONCLUSION

Les dispositifs d’aide aux victimes d’actes terroristes ont pour but de reconnaître et de soulager la souffrance. Les démarches légales accompagnent cette lente reconstruction. Le praticien, mobilisé aux différentes étapes, participe à cette démarche par ses certificats, en particulier le certificat initial, et via l’information qu’il délivre. Cette information implique sa connaissance des démarches judiciaires et des acteurs institutionnels que la victime doit activer afin d’obtenir, souvent après des années, une indemnisation définitive.
Source : http://www.gouvernement.fr/partage/8045-comment-fonctionne- la-cellule-interministerielle-d-aide-aux-victimes-ciav
Encadre

La qualification de l’infraction comme « acte terroriste » incombe aux autorités de l’État dans lequel l'acte survient.

Lors d’un attentat

Lors d’un attentat, des dispositifs particuliers de gestion de l’événement sont mis en place par les autorités consulaires et judiciaires françaises afin de coordonner l’information et la prise en charge de l’ensemble des familles et il peut être proposé un dispositif simplifié d’indemnisation en parallèle de la procédure pénale.


Dépôt de plainte

La victime ou ses ayants droit ont la possibilité de déposer plainte auprès des autorités locales qui peuvent dénoncer officiellement le crime aux autorités françaises. Dans ce cas, la qualification pénale de l’infraction sera fixée par la loi nationale. Les droits des plaignants, en termes notamment d’information sur l’évolution de la procédure, de statut à l’audience et d’indemnisation dans le cadre de la procédure pénale, sont alors fixés par la législation nationale applicable dans le pays où les faits ont été commis.La victime ou ses ayants droit ont la possibilité de déposer plainte auprès du commissariat de police ou de la brigade de gendarmerie de leur domicile et ainsi de se constituer partie civile devant le juge d’instruction du tribunal de leur domicile. En effet, l’article 113-7 du Code pénal dispose que « la loi française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction ». Il n’est pas utile qu’il y ait une réciprocité d’incrimination (c’est-à-dire que les deux pays qualifient de la même façon les faits dès lors que ceux-ci sont considérés en France comme un délit ou un crime). Le critère de nationalité ne s’attache qu’à la victime directe. Si la victime ne dispose d’aucune résidence en France, la juridiction compétente est le parquet de Paris.


Demande d’indemnisation

La victime, ou ses ayants droit, peuvent transmettre directement une demande d’indemnisation au Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (FGTI).* Ils peuvent en complément s’adresser à l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM),** qui pourra leur accorder une assistance psychologique et juridique (informations sur ses droits, aide pour déposer le dossier d’indemnisation).La Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC)*** propose de façon complémentaire soutien psychique et informations.

* FGTI – www.fondsdegarantie.fr Tél. : 01.43.98.77.00 ou 01.43.98.77.39** INAVEM ­– www.france-victimes.fr N° national « 08 victimes » 08 842 846 37Tél depuis l’étranger :+33 (0)1 41 83 42 08e-mail : 08victimes@inavem.org *** FENVAC – www.fenvac.org Tél. : 01 40 04 96 87 e-mail : federation@fenvac.org

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Résumé

La France a récemment été le terrain de multiples attaques terroristes confrontant de nombreux médecins, parfois non spécialisés, à prendre en charge un afflux soudain et massif de personnes exposées. Dans ce cadre, l’urgence médicale initiale se complète d’un accompagnement dans les démarches médico-judiciaires. Celles-ci, souvent peu connues des non-spécialistes, sont nécessaires à la reconnaissance du statut de victime. Elles comportent plusieurs étapes bien définies. Nous proposons des recommandations afin de guider le praticien dans la rédaction du certificat médical initial, et dans l’accompagnement aux démarches de plainte pénale et d’indemnisation.