En s’autosaisissant sur la question des enjeux éthiques du vieillissement, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu un avis remarquable qui fera date et dont le constat est sans appel : « L’institutionnalisation de personnes âgées dépendantes, leur concentration entre elles, dans des établissements d’hébergement, les excluant du reste de la société est probablement le fruit d’une dénégation collective de ce que peut être la vieillesse, la fin de la vie et la mort. Elle n’est pas respectueuse de ces personnes lorsqu’elle procède d’une contrainte, ce qui est souvent le cas. Quand bien même cette institutionnalisation contrainte serait revendiquée au nom de principes de bienveillance et dans le but d’assurer la sécurité de ces personnes vulnérables, la contrainte, en elle-même, l’absence fréquente d’alternative à celle-ci et de surcroît l’obligation de les faire payer pour ce que ces personnes ne souhaitent pas apparaissent contraire à une éthique du respect de ces personnes ».1 Mais comment en est-on arrivé là ?
Jusque dans les années 1960, la prise en charge des personnes âgées était « une affaire privée, à la charge des familles ou des hospices pour les plus nécessiteux  ».2 Mais tout a changé avec l’augmentation rapide de leur nombre, le coût croissant de la dépendance, l’épuisement des aidants, les insuffisances des aides au maintien à domicile… Dans un monde hanté par l’idée de la performance et en proie à un jeunisme exacerbé, le regard porté sur la vieillesse s’est profondément modifié : celle-ci apparaît désormais moins comme un inéluctable (et parfois serein) désengagement du monde que comme une somme de pénibles handicaps. L’inutilité des vieux s’est substituée à la sagesse des anciens. Il ne s’agit ni d’accuser ni de culpabiliser quiconque, mais de reconnaître que notre société a fait de la vie une sorte d’entonnoir au bout duquel les personnes très âgées et dépendantes sont aspirées dans un espace qu’elles n’ont pas choisi d’habiter et où, ayant perdu tout intérêt à vivre, elles s’y sentent pour la plupart malheureuses, en dépit des efforts d’un personnel généralement dévoué mais au bord du burn-out : « une situation parfois indigne qui génère en miroir un sentiment d’indignité des personnes et accroît l’angoisse de vieillir dans notre société ».1
Pour tenter d’inverser les choses, le CCNE fait de nombreuses propositions dont la mise en œuvre appellerait une forte volonté politique, mais il pointe aussi l’exigence préalable de « renforcer dans l’éducation des enfants […]le rapport avec les personnes âgées et leur sensibilisation précoce à la notion de solidarité. Il semble essentiel d’enseigner la relativité de la vie, de faire savoir que le vieillissement est un processus naturel, inhérent à la vie. Il semble important également d’enseigner la solidarité envers les personnes les plus vulnérables dès le plus jeune âge […].C’est ainsi qu’une culture de l’assistance à autrui, une culture de l’altruisme consubstantiel à la vie en société pourrait naître et faciliter les démarches d’entraides intergénérationnelles ». Il suffit de prendre le métro à Paris et de voir combien sont peu nombreux les voyageurs qui spontanément cèdent leur place assise à une personne âgée, pour réaliser que le chemin sera long…
 
Voir aussi dans ce numéro la Tribune de Jean-François Delfraissy, président du CCNE, sur l’organisation des États généraux de la bioéthique (p. 595) ainsi que l’article Éducation thérapeutique du sujet âgé (p. 591).
1. Comité consultatif national d’éthique. Avis n° 128 (15 février 2018) : « Enjeux éthiques du vieillissement »
2. Soleymani D, Berrut G, Campéon A (sous la dir.). Dossier « Promouvoir la participation sociale des personnes âgées ». La santé en action 2018;443:8-43.