En France, on compte environ 6 000 nouvelles infections/an par le VIH. Aujourd’hui, la mise en place de différentes stratégies de contrôle – traitement universel, PrEP – fera-t-elle enfin baisser ce chiffre ? Si, grâce à la trithérapie, cette infection est devenue une maladie chronique, quels sont les défis posés par l’avancée en âge des patients ? Quoi de neuf sur le plan thérapeutique et vaccinal ? Entretien avec le Pr Jean-Paul Viard, unité d’immuno-infectiologie, centre de diagnostic et de thérapeutique, Hôtel-Dieu, Paris.
Où en est l’épidémie de VIH en France ? Les différents moyens de contrôle feront-ils enfin baisser le nombre de nouveaux cas ?
En France, les derniers chiffres datent de 2019, avec une estimation du nombre de nouvelles contaminations à environ 6 000 par an. Les populations les plus touchées sont les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) français et les personnes originaires de pays à forte endémie (Afrique subsaharienne, territoires et départements français d’Amérique) ; il y a une nouvelle population émergente : les HSH nés à l’étranger provenant de pays ayant des politiques de pénalisation et stigmatisation de l’homosexualité (qui, on le sait, font le lit de la dissémination de l’infection).
En 2018, on a observé pour la première fois une baisse des nouveaux cas chez les HSH nés en France, suggérant un effet des stratégies combinées (traitement universel, mise à disposition de la prophylaxie préexposition [PrEP]) ; puis il y a eu une stabilisation en 2019. Depuis, ces tendances ont-elles été contrecarrées par l’effet de la pandémie ? Selon les toutes dernières données de Santé publique France, l’année 2020 montre une forte baisse du nombre de découvertes de séropositivité du VIH (et également des IST bactériennes), qui s’explique essentiellement par une baisse du recours au dépistage, avec pour conséquence un possible retard au diagnostic et à l’accès aux traitements antiviraux.
Malgré les progrès thérapeutiques, il y a toujours un quart des infections qui sont découvertes à un stade tardif. Il y a donc encore un effort à faire sur le dépistage et le traitement ainsi que sur l’accès à la PrEP, notamment chez les personnes originaires de pays à forte endémie.
Les personnes séropositives traitées efficacement ont-elles aujourd’hui une espérance de vie égale à celle des sujets séronégatifs ?
L’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH et recevant un traitement antirétroviral efficace a énormément augmenté et rejoint aujourd’hui celle de la population générale (avec un petit écart, car elle correspondrait à celle de la tranche défavorisée de la population générale).
Cependant, les enquêtes ont montré un changement dans les causes de mortalité chez les patients séropositifs entre 2005 et 2010 : la mortalité liée au sida est passé de 50 à 25 % alors que les causes liées à d’autres maladies (cancer du poumon, maladies cardiovasculaires) ont doublé. Depuis 2010, des indicateurs suggèrent que l’impact des comorbidités a diminué car on en a pris conscience et on surveille les patients.
Ces patients les plus anciens cumulent un nombre élevé de risques majeurs de comorbidités et de complications : ils sont âgés, ils ont été traités tardivement (souvent lorsqu’ils étaient fortement immunodéprimés), ils ont reçu les médicaments antirétroviraux les plus toxiques au niveau métabolique, et ont eu plus de comportements à risque (alcool, tabac, consommation de produits toxiques…). Ainsi, les patients ayant une longue histoire thérapeutique doivent faire l’objet d’un dépistage des maladies cardiovasculaires, des anomalies du métabolisme glucidolipidique, de l’ostéoporose, d’un certain nombre de cancers.
Pour les plus jeunes, les traitements antirétroviraux actuels étant beaucoup moins toxiques, on espère que ce surrisque sera atténué.
Quoi de neuf sur le plan thérapeutique ?
Ce qui est très positif, c’est que la recherche sur les médicaments anti-VIH ne s’est pas arrêtée : il y a de nouvelles molécules en cours d’étude pour traiter les patients qui développent des résistances, et des thérapies conçues pour améliorer l’observance, comme les traitements injectables à longue durée d’action, qui seront un vrai progrès. On expérimente aussi différentes stratégies d’utilisation des médicaments, avec des protocoles allégés (moins de produit : bithérapie à la place d’une trithérapie ; ou moins de prises par semaine : 4 jours sur 7), avec des résultats virologiques très satisfaisants chez des patients très ciblés, ayant un contrôle virologique depuis plusieurs années ; ces protocoles sont intéressants notamment en cas de mauvaise tolérance médicamenteuse.
La prescription de la PrEP est désormais ouverte aux généralistes : quels messages leur donner ?
Il faut se mettre en situation d’en parler pour éventuellement la prescrire. Dans une consultation médicale bien conduite, personne n’est choqué si on interroge le patient sur son mode de vie, ses antécédents médicaux et chirurgicaux, ses traitements passés ou en cours, ses consommations d’alcool et de tabac… Il faut aussi aborder la question de la sexualité pour faire une analyse du risque ! La PrEP a fait ses preuves chez des personnes à haut risque d’exposition, à la fois dans des essais cliniques randomisés (avec jusqu’à 86 % de réduction de l’incidence de l’infection par le VIH) et en « vie réelle ». La prescription nécessite un certain nombre de précautions, et notamment le dépistage et le traitement des IST…
Un vaccin ARN serait en cours de développement… qu’en penser ?
Les vaccins à ARN ajoutent une technologie puissante à la palette de la recherche vaccinale (adaptabilité, rapidité de production), mais ils n’apportent pas, en eux-mêmes, de nouveau concept susceptible de résoudre les difficultés propres au VIH : grande variabilité virale, pas d’exemple de guérison spontanée pouvant servir de modèle à la recherche vaccinale. Les schémas applicables aux virus respiratoires (coronavirus, grippe) ne sont pas les mêmes. En somme, on espère que cette technologie pourra permettre d’aller plus vite pour trouver de nouveaux concepts, mais elle ne les fournit pas.
Viard JP (dir.). Dossier – Infection par le VIH. Rev Prat 2021;71(9);949-86.
Slama L. Impact des stratégies de dépistage et de traitement sur l’épidémiologie de l’infection par le VIH en France et dans le monde. Rev Prat 2021;71(9);950-6.
Slama L. Il faut aussi interroger le patient sur sa sexualité. Rev Prat 2021;71(9);963-4.
Viard JP. Le suivi au long cours des personnes vivant avec le VIH. Rev Prat 2021;71(9);965-71.
Dans cet article
- Où en est l’épidémie de VIH en France ? Les différents moyens de contrôle feront-ils enfin baisser le nombre de nouveaux cas ?
- Les personnes séropositives traitées efficacement ont-elles aujourd’hui une espérance de vie égale à celle des sujets séronégatifs ?
- Quoi de neuf sur le plan thérapeutique ?
- La prescription de la PrEP est désormais ouverte aux généralistes : quels messages leur donner ?
- Un vaccin ARN serait en cours de développement… qu’en penser ?